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– Allez donc, monsieur, et que Dieu vous ait dans sa sainte garde, comme je disais du temps que j’étais roi.

Aramis sortit; Charles le reconduisit jusqu’au seuil. Aramis lança sa bénédiction, qui fit incliner les gardes, passa majestueusement à travers les antichambres pleines de soldats, remonta dans son carrosse, où le suivirent ses deux gardiens, et se fit ramener à l’évêché, où ils le quittèrent.

Juxon attendait avec anxiété.

– Eh bien? dit-il en apercevant Aramis.

– Eh bien! dit celui-ci, tout a réussi selon mes souhaits; espions, gardes, satellites m’ont pris pour vous, et le roi vous bénit en attendant que vous le bénissiez.

– Dieu vous protège, mon fils, car votre exemple m’a donné à la fois espoir et courage.

Aramis reprit ses habits et son manteau, et sortit en prévenant Juxon qu’il aurait encore une fois recours à lui.

À peine eut-il fait dix pas dans la rue qu’il s’aperçut qu’il était suivi par un homme enveloppé dans un grand manteau; il mit la main sur son poignard et s’arrêta. L’homme vint droit à lui. C’était Porthos.

– Ce cher ami! dit Aramis en lui tendant la main.

– Vous le voyez, mon cher, dit Porthos, chacun de nous avait sa mission; la mienne était de vous garder, et je vous gardais. Avez-vous vu le roi?

– Oui, et tout va bien. Maintenant, nos amis, où sont-ils?

– Nous avons rendez-vous à onze heures à l’hôtel.

– Il n’y a pas de temps à perdre alors, dit Aramis.

En effet, dix heures et demie sonnaient à l’église Saint-Paul.

Cependant, comme les deux amis firent diligence, ils arrivèrent les premiers.

Après eux, Athos entra.

– Tout va bien, dit-il avant que ses amis eussent eu le temps de l’interroger.

– Qu’avez-vous fait? dit Aramis.

– J’ai loué une petite felouque, étroite comme une pirogue, légère comme une hirondelle; elle nous attend à Greenwich, en face de l’île des Chiens; elle est montée d’un patron et de quatre hommes, qui, moyennant cinquante livres sterling, se tiendront tout à notre disposition trois nuits de suite. Une fois à bord avec le roi, nous profitons de la marée, nous descendons la Tamise, et en deux heures nous sommes en pleine mer. Alors, en vrais pirates, nous suivons les côtes, nous nichons sur les falaises, ou si la mer est libre, nous mettons le cap sur Boulogne. Si j’étais tué, le patron se nomme le capitaine Roger, et la felouque l’Éclair. Avec ces renseignements, vous les retrouverez l’un et l’autre. Un mouchoir noué aux quatre coins est le signe de reconnaissance.

Un instant après, d’Artagnan rentra à son tour.

– Videz vos poches, dit-il, jusqu’à concurrence de cent livres sterling, car, quant aux miennes…

Et d’Artagnan retourna ses poches absolument vides.

La somme fut faite à la seconde; d’Artagnan sortit et rentra un instant après.

– Là! dit-il, c’est fini. Ouf! ce n’est pas sans peine.

– Le bourreau a quitté Londres? demanda Athos.

– Ah bien, oui! ce n’était pas assez sûr, cela. Il pouvait sortir par une porte et rentrer par l’autre.

– Et où est-il? demanda Athos.

– Dans la cave.

– Dans quelle cave?

– Dans la cave de notre hôte! Mousqueton est assis sur le seuil, et voici la clef.

– Bravo! dit Aramis. Mais comment avez-vous décidé cet homme à disparaître?

– Comme on décide tout en ce monde, avec de l’argent; cela m’a coûté cher, mais il y a consenti.

– Et combien cela vous a-t-il coûté, ami? dit Athos; car, vous le comprenez, maintenant que nous ne sommes plus tout à fait de pauvres mousquetaires sans feu ni lieu, toutes dépenses doivent être communes.

– Cela m’a coûté douze mille livres, dit d’Artagnan.

– Et où les avez-vous trouvées? demanda Athos; possédiez-vous donc cette somme?

– Et le fameux diamant de la reine! dit d’Artagnan avec un soupir.

– Ah! c’est vrai, dit Aramis, je l’avais reconnu à votre doigt.

– Vous l’avez donc racheté à M. des Essarts? demanda Porthos.

– Eh! mon Dieu, oui, dit d’Artagnan; mais il est écrit là-haut que je ne pourrai pas le garder. Que voulez-vous! les diamants, à ce qu’il faut croire, ont leurs sympathies et leurs antipathies comme les hommes; il paraît que celui-là me déteste.

– Mais, dit Athos, voilà qui va bien pour le bourreau; malheureusement tout bourreau a son aide, son valet, que sais-je moi.

– Aussi celui-là avait-il le sien; mais nous jouons de bonheur.

– Comment cela?

– Au moment où je croyais que j’allais avoir une seconde affaire à traiter, on a rapporté mon gaillard avec une cuisse cassée. Par excès de zèle, il a accompagné jusque sous les fenêtres du roi la charrette qui portait les poutres et les charpentes; une de ces poutres lui est tombée sur la jambe et la lui a brisée.

– Ah! dit Aramis, c’est donc lui qui a poussé le cri que j’ai entendu de la chambre du roi?

– C’est probable, dit d’Artagnan; mais comme c’est un homme bien pensant, il a promis en se retirant d’envoyer en son lieu et place quatre ouvriers experts et habiles pour aider ceux qui sont déjà à la besogne, et en rentrant chez son patron, tout blessé qu’il était, il a écrit à l’instant même à maître Tom Low, garçon charpentier de ses amis, de se rendre à White-Hall pour accomplir sa promesse. Voici la lettre qu’il envoyait par un exprès qui devait la porter pour dix pence et qui me l’a vendue un louis.

– Et que diable voulez-vous faire de cette lettre? demanda Athos.

– Vous ne devinez pas? dit d’Artagnan avec ses yeux brillants d’intelligence.

– Non, sur mon âme!

– Eh bien! mon cher Athos, vous qui parlez anglais comme John Bull lui-même, vous êtes maître Tom Low, et nous sommes, nous, vos trois compagnons; comprenez-vous maintenant?

Athos poussa un cri de joie et d’admiration, courut à un cabinet, en tira des habits d’ouvrier, que revêtirent aussitôt les quatre amis; après quoi ils sortirent de l’hôtel, Athos portant une scie, Porthos une pince, Aramis une hache, et d’Artagnan un marteau et des clous.

La lettre du valet de l’exécuteur faisait foi près du maître charpentier que c’était bien eux que l’on attendait.

LXX. Les ouvriers

Vers le milieu de la nuit, Charles entendit un grand fracas au-dessous de sa fenêtre: c’étaient des coups de marteau et de hache, des morsures de pince et des cris de scie.

Comme il s’était jeté tout habillé sur son lit et qu’il commençait à s’endormir, ce bruit l’éveilla en sursaut; et comme, outre son retentissement matériel, ce bruit avait un écho moral et terrible dans son âme, les pensées affreuses de la veille vinrent l’assaillir de nouveau. Seul en face des ténèbres et de l’isolement, il n’eut pas la force de soutenir cette nouvelle torture, qui n’était pas dans le programme de son supplice, et il envoya Parry dire à la sentinelle de prier les ouvriers de frapper moins fort et d’avoir pitié du dernier sommeil de celui qui avait été leur roi.

La sentinelle ne voulut point quitter son poste, mais laissa passer Parry.

Arrivé près de la fenêtre, après avoir fait le tour du palais, Parry aperçut de plain-pied avec le balcon, dont on avait descellé la grille, un large échafaud inachevé, mais sur lequel on commençait à clouer une tenture de serge noire.

Cet échafaud, élevé à la hauteur de la fenêtre, c’est-à-dire à près de vingt pieds, avait deux étages inférieurs. Parry, si odieuse que lui fût cette vue, chercha parmi huit ou dix ouvriers qui bâtissaient la sombre machine ceux dont le bruit devait être le plus fatigant pour le roi, et sur le second plancher il aperçut deux hommes qui descellaient à l’aide d’une pince les dernières fiches du balcon de fer; l’un d’eux, véritable colosse, faisait l’office du bélier antique chargé de renverser les murailles. À chaque coup de son instrument la pierre volait en éclats. L’autre, qui se tenait à genoux tirait à lui les pierres ébranlées.

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