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Et d’Artagnan, après avoir serré la main d’Athos, choisit le moment où par un mouvement de tangage la felouque plongeait de l’arrière; de sorte qu’il n’eut qu’à se laisser glisser dans l’eau, qui l’enveloppait déjà jusqu’à la ceinture.

Athos le suivit avant même que la felouque fût relevée; après Athos elle se releva, et l’on vit se tendre et sortir de l’eau le câble qui attachait la chaloupe.

D’Artagnan nagea vers ce câble et l’atteignit.

Là il attendit suspendu à ce câble par une main et la tête seule à fleur d’eau.

Au bout d’une seconde, Athos le rejoignit.

Puis l’on vit au tournant de la felouque poindre deux autres têtes. C’étaient celle d’Aramis et de Grimaud.

– Blaisois m’inquiète, dit Athos. N’avez-vous pas entendu, d’Artagnan, qu’il a dit qu’il ne savait nager que dans les rivières?

– Quand on sait nager, on nage partout, dit d’Artagnan; à la barque! à la barque!

– Mais Porthos? je ne le vois pas.

– Porthos va venir, soyez tranquille, il nage comme Léviathan lui-même.

En effet Porthos ne paraissait point; car une scène, moitié burlesque, moitié dramatique, se passait entre lui, Mousqueton et Blaisois.

Ceux-ci, épouvantés par le bruit de l’eau, par le sifflement du vent, effarés par la vue de cette eau noire bouillonnant dans le gouffre, reculaient au lieu d’avancer.

– Allons! allons! dit Porthos, à l’eau!

– Mais, monsieur, disait Mousqueton, je ne sais pas nager, laissez-moi ici.

– Et moi aussi, monsieur, disait Blaisois.

– Je vous assure que je vous embarrasserai dans cette petite barque, reprit Mousqueton.

– Et moi je me noierai bien sûr avant que d’y arriver, continuait Blaisois.

– Ah çà, je vous étrangle tous deux si vous ne sortez pas, dit Porthos en les saisissant à la gorge. En avant, Blaisois!

Un gémissement étouffé par la main de fer de Porthos fut toute la réponse de Blaisois, car le géant, le tenant par le cou et par les pieds, le fit glisser comme une planche par la fenêtre et l’envoya dans la mer tête en bas.

– Maintenant, Mouston, dit Porthos, j’espère que vous n’abandonnerez pas votre maître.

– Ah! monsieur, dit Mousqueton les larmes aux yeux, pourquoi avez-vous repris du service? nous étions si bien au château de Pierrefonds!

Et sans autre reproche, devenu pensif et obéissant, soit par dévouement réel, soit par l’exemple donné à l’égard de Blaisois, Mousqueton donna tête baissée dans la mer.

Action sublime en tout cas, car Mousqueton se croyait mort.

Mais Porthos n’était pas homme à abandonner ainsi son fidèle compagnon. Le maître suivit de si près son valet, que la chute des deux corps ne fit qu’un seul et même bruit; de sorte que lorsque Mousqueton revint sur l’eau tout aveuglé, il se trouva retenu par la large main de Porthos, et put, sans avoir besoin de faire aucun mouvement, s’avancer vers la corde avec la majesté d’un dieu marin.

Au même instant, Porthos vit tourbillonner quelque chose à la portée de son bras. Il saisit ce quelque chose par la chevelure: c’était Blaisois, au-devant duquel venait déjà Athos.

– Allez, allez, comte, dit Porthos, je n’ai pas besoin de vous.

Et en effet, d’un coup de jarret vigoureux, Porthos se dressa comme le géant Adamastor au-dessus de la lame, et en trois élans il se trouva avoir rejoint ses compagnons.

D’Artagnan, Aramis et Grimaud aidèrent Mousqueton et Blaisois à monter; puis vint le tour de Porthos, qui, en enjambant par-dessus le bord, manqua de faire chavirer la petite embarcation.

– Et Athos? demanda d’Artagnan.

– Me voici! dit Athos, qui, comme un général soutenant la retraite, n’avait voulu monter que le dernier et se tenait au rebord de la barque. Êtes-vous tous réunis?

– Tous, dit d’Artagnan. Et vous, Athos, avez-vous votre poignard?

– Oui.

– Alors coupez le câble et venez.

Athos tira un poignard acéré de sa ceinture et coupa la corde; la felouque s’éloigna; la barque resta stationnaire, sans autre mouvement que celui que lui imprimaient les vagues.

– Venez, Athos! dit d’Artagnan.

Et il tendit la main au comte de La Fère, qui prit à son tour place dans le bateau.

– Il était temps, dit le Gascon, et vous allez voir quelque chose de curieux.

LXXVIII. Fatality

En effet, d’Artagnan achevait à peine ces paroles qu’un coup de sifflet retentit sur la felouque, qui commençait à s’enfoncer dans la brume et dans l’obscurité.

– Ceci, comme vous le comprenez bien, reprit le Gascon, veut dire quelque chose.

En ce moment on vit un falot apparaître sur le pont et dessiner des ombres à l’arrière.

Soudain un cri terrible, un cri de désespoir traversa l’espace; et comme si ce cri eût chassé les nuages, le voile qui cachait la lune s’écarta, et l’on vit se dessiner sur le ciel, argenté d’une pâle lumière, la voilure grise et les cordages noirs de la felouque.

Des ombres couraient éperdues sur le navire, et des cris lamentables accompagnaient ces promenades insensées.

Au milieu de ces cris, on vit apparaître, sur le couronnement de la poupe, Mordaunt, une torche à la main.

Ces ombres qui couraient éperdues sur le navire, c’était Groslow qui, à l’heure indiquée par Mordaunt, avait rassemblé ses hommes; tandis que celui-ci, après avoir écouté à la porte de la cabine si les mousquetaires dormaient toujours, était descendu dans la cale, rassuré par le silence.

En effet, qui eût pu soupçonner ce qui venait de se passer?

Mordaunt avait en conséquence ouvert la porte et couru à la mèche; ardent comme un homme altéré de vengeance et sûr de lui comme ceux que Dieu aveugle, il avait mis le feu au soufre.

Pendant ce temps, Groslow et ses matelots s’étaient réunis à l’arrière.

– Halez la corde, dit Groslow, et attirez la chaloupe à nous.

Un des matelots enjamba la muraille du navire, saisit le câble et tira; le câble vint à lui sans résistance aucune.

– Le câble est coupé! s’écria le marin: plus de canot!

– Comment! plus de canot! dit Groslow en s’élançant à son tour sur le bastingage, c’est impossible!

– Cela est cependant, dit le marin, voyez plutôt; rien dans le sillage, et d’ailleurs voilà le bout du câble.

C’était alors que Groslow avait poussé ce rugissement que les mousquetaires avaient entendu.

– Qu’y a-t-il? s’écria Mordaunt, qui, sortant de l’écoutille, s’élança à son tour vers l’arrière sa torche à la main.

– Il y a que nos ennemis nous échappent; il y a qu’ils ont coupé la corde et qu’ils fuient avec le canot.

Mordaunt ne fit qu’un bond jusqu’à la cabine, dont il enfonça la porte d’un coup de pied.

– Vide! s’écria-t-il. Oh! les démons!

– Nous allons les poursuivre, dit Groslow; ils ne peuvent être loin, et nous les coulerons en passant sur eux.

– Oui, mais le feu! dit Mordaunt, j’ai mis le feu!

– À quoi?

– À la mèche!

– Mille tonnerres! hurla Groslow en se précipitant vers l’écoutille. Peut-être est-il encore temps.

Mordaunt ne répondit que par un rire terrible; et, les traits bouleversés par la haine plus encore que par la terreur, cherchant le ciel de ses yeux hagards pour lui lancer un dernier blasphème, il jeta d’abord sa torche dans la mer, puis il s’y précipita lui-même.

Au même instant et comme Groslow mettait le pied sur l’escalier de l’écoutille, le navire s’ouvrit comme le cratère d’un volcan; un jet de feu s’élança vers le ciel avec une explosion pareille à celle de cent pièces de canon qui tonneraient à la fois; l’air s’embrasa tout sillonné de débris embrasés eux-mêmes, puis l’effroyable éclair disparut, les débris tombèrent l’un après l’autre, frémissant dans l’abîme, où ils s’éteignirent, et, à l’exception d’une vibration dans l’air, au bout d’un instant on eût cru qu’il ne s’était rien passé.

Seulement la felouque avait disparu de la surface de la mer, et Groslow et ses trois hommes étaient anéantis.

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