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– Mais si l’on vous frappait vous-mêmes? dit Athos.

– Impossible! dit d’Artagnan, ces buveurs de bière sont trop lourds et trop maladroits; d’ailleurs vous frapperez à la gorge, Porthos, cela tue aussi vite et empêche de crier ceux que l’on tue.

– Très bien! dit Porthos, ce sera un joli petit égorgement.

– Affreux! affreux! dit Athos.

– Bah! monsieur l’homme sensible, dit d’Artagnan, vous en feriez bien d’autres dans une bataille. D’ailleurs, ami, continua-t-il, si vous trouvez que la vie du roi ne vaille pas ce qu’elle doit coûter, rien n’est dit, et je vais prévenir M. Groslow que je suis malade.

– Non, dit Athos, j’ai tort, mon ami, et c’est vous qui avez raison, pardonnez-moi.

En ce moment la porte s’ouvrit et un soldat parut.

– M. le capitaine Groslow, dit-il en mauvais français, fait prévenir monsieur d’Artagnan et monsieur du Vallon qu’il les attend.

– Où cela?

– Où cela? demanda d’Artagnan.

– Dans la chambre du Nabuchodonosor anglais, répondit le soldat, puritain renforcé.

– C’est bien, répondit en excellent anglais Athos, à qui le rouge était monté au visage à cette insulte faite à la majesté royale, c’est bien; dites au capitaine Groslow que nous y allons.

Puis le puritain sortit; l’ordre avait été donné aux laquais de seller huit chevaux, et d’aller attendre, sans se séparer les uns des autres ni sans mettre pied à terre, au coin d’une rue située à vingt pas à peu près de la maison où était logé le roi.

LXVI. La partie de lansquenet

En effet, il était neuf heures du soir; les postes avaient été relevés à huit, et depuis une heure la garde du capitaine Groslow avait commencé.

D’Artagnan et Porthos armés de leurs épées, et Athos et Aramis ayant chacun un poignard caché dans la poitrine, s’avancèrent vers la maison qui ce soir-là servait de prison à Charles Stuart. Ces deux derniers suivaient leurs vainqueurs, humbles et désarmés en apparence, comme des captifs.

– Ma foi, dit Groslow en les apercevant, je ne comptais presque plus sur vous.

D’Artagnan s’approcha de celui-ci et lui dit tout bas:

– En effet, nous avons hésité un instant, M. du Vallon et moi.

– Et pourquoi? demanda Groslow.

D’Artagnan lui montra de l’œil Athos et Aramis.

– Ah! ah! dit Groslow, à cause des opinions? peu importe. Au contraire, ajouta-t-il en riant; s’ils veulent voir leur Stuart, ils le verront.

– Passons-nous la nuit dans la chambre du roi? demanda d’Artagnan.

– Non, mais dans la chambre voisine; et comme la porte restera ouverte, c’est exactement comme si nous demeurions dans sa chambre même. Vous êtes-vous munis d’argent? Je vous déclare que je compte jouer ce soir un jeu d’enfer.

– Entendez-vous? dit d’Artagnan en faisant sonner l’or dans ses poches.

– Very good! dit Groslow, et il ouvrit la porte de la chambre. C’est pour vous montrer le chemin, messieurs, dit-il.

Et il entra le premier.

D’Artagnan se retourna vers ses amis. Porthos était insoucieux comme s’il s’agissait d’une partie ordinaire; Athos était pâle, mais résolu; Aramis essuyait avec un mouchoir son front mouillé d’une légère sueur.

Les huit gardes étaient à leur poste: quatre étaient dans la chambre du roi, deux à la porte de communication, deux à la porte par laquelle entraient les quatre amis. À la vue des épées nues, Athos sourit; ce n’était donc plus une boucherie, mais un combat.

À partir de ce moment toute sa bonne humeur parut revenue.

Charles, que l’on apercevait à travers une porte ouverte, était sur son lit tout habillé: seulement une couverture de laine était rejetée sur lui.

À son chevet, Parry était assis lisant à voix basse, et cependant assez haute pour que Charles, qui l’écoutait les yeux fermés, l’entendît, un chapitre dans une Bible catholique.

Une chandelle de suif grossier, placée sur une table noire, éclairait le visage résigné du roi et le visage infiniment moins calme de son fidèle serviteur.

De temps en temps Parry s’interrompait, croyant que le roi dormait visiblement; mais alors le roi rouvrait les yeux et lui disait en souriant:

– Continue, mon bon Parry, j’écoute.

Groslow s’avança jusqu’au seuil de la chambre du roi, remit avec affectation sur sa tête le chapeau qu’il avait tenu à la main pour recevoir ses hôtes, regarda un instant avec mépris ce tableau simple et touchant d’un vieux serviteur lisant la Bible à son roi prisonnier, s’assura que chaque homme était bien au poste qu’il lui avait assigné, et, se retournant vers d’Artagnan, il regarda triomphalement le Français comme pour mendier un éloge sur sa tactique.

– À merveille, dit le Gascon; cap de Diou! vous ferez un général un peu distingué.

– Et croyez-vous, demanda Groslow, que ce sera tant que je serai de garde près de lui que le Stuart se sauvera?

– Non, certes, répondit d’Artagnan. À moins qu’il ne lui pleuve des amis du ciel.

Le visage de Groslow s’épanouit.

Comme Charles Stuart avait gardé pendant cette scène ses yeux constamment fermés, on ne peut dire s’il s’était aperçu ou non de l’insolence du capitaine puritain. Mais malgré lui, dès qu’il entendit le timbre accentué de la voix de d’Artagnan, ses paupières se rouvrirent.

Parry, de son côté, tressaillit et interrompit la lecture.

– À quoi songes-tu donc de t’interrompre? dit le roi, continue, mon bon Parry; à moins que tu ne sois fatigué, toutefois.

– Non, sire, dit le valet de chambre.

Et il reprit sa lecture.

Une table était préparée dans la première chambre, et sur cette table, couverte d’un tapis, étaient deux chandelles allumées, des cartes, deux cornets et des dés.

– Messieurs, dit Groslow, asseyez-vous, je vous prie, moi, en face du Stuart, que j’aime tant à voir, surtout où il est; vous, monsieur d’Artagnan, en face de moi.

Athos rougit de colère, d’Artagnan le regarda en fronçant le sourcil.

– C’est cela, dit d’Artagnan; vous, monsieur le comte de La Fère, à la droite de monsieur Groslow; vous, monsieur le chevalier d’Herblay, à sa gauche; vous, du Vallon, près de moi. Vous pariez pour moi, et ces messieurs pour monsieur Groslow.

D’Artagnan les avait ainsi: Porthos à sa gauche, et il lui parlait du genou; Athos et Aramis en face de lui, et il les tenait sous son regard.

Aux noms du comte de La Fère et du chevalier d’Herblay, Charles rouvrit les yeux, et malgré lui, relevant sa noble tête, embrassa d’un regard tous les acteurs de cette scène.

En ce moment Parry tourna quelques feuillets de sa Bible et lut tout haut ce verset de Jérémie:

«Dieu dit: Écoutez les paroles des prophètes, mes serviteurs, que je vous ai envoyés avec grand soin, et que j’ai conduits vers vous.»

Les quatre amis échangèrent un regard. Les paroles que venait de dire Parry leur indiquaient que leur présence était attribuée par le roi à son véritable motif.

Les yeux de d’Artagnan pétillèrent de joie.

– Vous m’avez demandé tout à l’heure si j’étais en fonds? dit d’Artagnan en mettant une vingtaine de pistoles sur la table.

– Oui, dit Groslow.

– Eh bien, reprit d’Artagnan, à mon tour je vous dis. Tenez bien votre trésor, mon cher monsieur Groslow, car je vous réponds que nous ne sortirons d’ici qu’en vous l’enlevant.

– Ce ne sera pas sans que je le défende, dit Groslow.

– Tant mieux, dit d’Artagnan. Bataille, mon cher capitaine, bataille! Vous savez ou vous ne savez pas que c’est ce que nous demandons.

– Ah! oui, je sais bien, dit Groslow en éclatant de son gros rire, vous ne cherchez que plaies et bosses, vous autres Français.

En effet, Charles avait tout entendu, tout compris. Une légère rougeur monta à son visage. Les soldats qui le gardaient le virent donc peu à peu étendre ses membres fatigués, et, sous prétexte d’une excessive chaleur, provoquée par un poêle chauffé à blanc, rejeter peu à peu la couverture écossaise sous laquelle, nous l’avons dit, il était couché tout vêtu.

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