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Parry s’inclina sur la main de son maître et la baisa avec respect.

– En vérité, d’Artagnan, dit Athos, vous êtes à la fois homme de parole et d’esprit. Mais que dites-vous du roi?

– Sa physionomie me revient tout à fait, dit d’Artagnan; il a l’air à la fois noble et bon.

– Oui, mais il se laisse prendre, dit Porthos, c’est un tort.

– J’ai bien envie de boire à la santé du roi, dit Athos.

– Alors, laissez-moi porter la santé, dit d’Artagnan.

– Faites, dit Aramis.

Porthos regardait d’Artagnan, tout étourdi des ressources que son esprit gascon fournissait incessamment à son camarade.

D’Artagnan prit son gobelet d’étain, l’emplit et se leva.

– Messieurs, dit-il à ses compagnons, buvons, s’il vous plaît, à celui qui préside le repas. À notre colonel, et qu’il sache que nous sommes bien à son service jusqu’à Londres et au-delà.

Et comme, en disant ces paroles, d’Artagnan regardait Harrison, Harrison crut que le toast était pour lui, se leva et salua les quatre amis, qui, les yeux attachés sur le roi Charles, burent ensemble, tandis que Harrison, de son côté, vidait son verre sans aucune défiance.

Charles, à son tour, tendit son verre à Parry, qui y versa quelques gouttes de bière, car le roi était au régime de tout le monde; et le portant à ses lèvres, en regardant à son tour les quatre gentilshommes, il but avec un sourire plein de noblesse et de reconnaissance.

– Allons, messieurs, s’écria Harrison en reposant son verre et sans aucun égard pour l’illustre prisonnier qu’il conduisait, en route!

– Où couchons-nous, colonel?

– À Tirsk, répondit Harrison.

– Parry, dit le roi en se levant à son tour et en se retournant vers son valet, mon cheval. Je veux aller à Tirsk.

– Ma foi, dit d’Artagnan à Athos, votre roi m’a véritablement séduit et je suis tout à fait à son service.

– Si ce que vous me dites là est sincère, répondit Athos, il n’arrivera pas jusqu’à Londres.

– Comment cela?

– Oui, car avant ce moment nous l’aurons enlevé.

– Ah! pour cette fois, Athos, dit d’Artagnan, ma parole d’honneur, vous êtes fou.

– Avez-vous donc quelque projet arrêté? demanda Aramis.

– Eh! dit Porthos, la chose ne serait pas impossible si on avait un bon projet.

– Je n’en ai pas, dit Athos; mais d’Artagnan en trouvera un.

D’Artagnan haussa les épaules, et on se mit en route.

LXV. D’Artagnan trouve un projet

Athos connaissait d’Artagnan mieux peut-être que d’Artagnan ne se connaissait lui-même. Il savait que, dans un esprit aventureux comme l’était celui du Gascon, il s’agit de laisser tomber une pensée, comme dans une terre riche et vigoureuse il s’agit seulement de laisser tomber une graine.

Il avait donc laissé tranquillement son ami hausser les épaules, et il avait continué son chemin en lui parlant de Raoul, conversation qu’il avait, dans une autre circonstance, complètement laissée tomber, on se le rappelle.

À la nuit fermée on arriva à Tirsk. Les quatre amis parurent complètement étrangers et indifférents aux mesures de précaution que l’on prenait pour s’assurer de la personne du roi. Ils se retirèrent dans une maison particulière, et, comme ils avaient d’un moment à l’autre à craindre pour eux-mêmes, ils s’établirent dans une seule chambre en se ménageant une issue en cas d’attaque. Les valets furent distribués à des postes différents; Grimaud coucha sur une botte de paille en travers de la porte.

D’Artagnan était pensif, et semblait avoir momentanément perdu sa loquacité ordinaire. Il ne disait pas mot, sifflotant sans cesse, allant de son lit à la croisée. Porthos, qui ne voyait jamais rien que les choses extérieures, lui, parlait comme d’habitude. D’Artagnan répondait par monosyllabes. Athos et Aramis se regardaient en souriant.

La journée avait été fatigante, et cependant, à l’exception de Porthos, dont le sommeil était aussi inflexible que l’appétit, les amis dormirent mal.

Le lendemain matin, d’Artagnan fut le premier debout. Il était descendu aux écuries, il avait déjà visité les chevaux, il avait déjà donné tous les ordres nécessaires à la journée qu’Athos et Aramis n’étaient point levés, et que Porthos ronflait encore.

À huit heures du matin, on se mit en marche dans le même ordre que la veille. Seulement d’Artagnan laissa ses amis cheminer de leur côté, et alla renouer avec M. Groslow la connaissance entamée la veille.

Celui-ci, que ses éloges avaient doucement caressé au cœur, le reçut avec un gracieux sourire.

– En vérité, monsieur, lui dit d’Artagnan, je suis heureux de trouver quelqu’un avec qui parler ma pauvre langue. M. du Vallon, mon ami, est d’un caractère fort mélancolique, de sorte qu’on ne saurait lui tirer quatre paroles par jour; quant à nos deux prisonniers, vous comprenez qu’ils sont peu en train de faire la conversation.

– Ce sont des royalistes enragés, dit Groslow.

– Raison de plus pour qu’ils nous boudent d’avoir pris le Stuart, à qui, je l’espère bien, vous allez faire un bel et bon procès.

– Dame! dit Groslow, nous le conduisons à Londres pour cela.

– Et vous ne le perdez pas de vue, je présume?

– Peste! je le crois bien! Vous le voyez, ajouta l’officier en riant, il a une escorte vraiment royale.

– Oui, le jour, il n’y a pas de danger qu’il vous échappe; mais la nuit…

– La nuit, les précautions redoublent.

– Et quel mode de surveillance employez-vous?

– Huit hommes demeurent constamment dans sa chambre.

– Diable! fit d’Artagnan, il est bien gardé. Mais, outre ces huit hommes, vous placez sans doute une garde dehors? On ne peut prendre trop de précaution contre un pareil prisonnier.

– Oh! non. Pensez donc: que voulez-vous que fassent deux hommes sans armes contre huit hommes armés?

– Comment, deux hommes?

– Oui, le roi et son valet de chambre.

– On a donc permis à son valet de chambre de ne pas le quitter?

– Oui, Stuart a demandé qu’on lui accordât cette grâce, et le colonel Harrison y a consenti. Sous prétexte qu’il est roi, il paraît qu’il ne peut pas s’habiller ni se déshabiller tout seul.

– En vérité, capitaine, dit d’Artagnan décidé à continuer à l’endroit de l’officier anglais le système laudatif qui lui avait si bien réussi, plus je vous écoute, plus je m’étonne de la manière facile et élégante avec laquelle vous parlez le français. Vous avez habité Paris trois ans, c’est bien; mais j’habiterais Londres toute ma vie que je n’arriverais pas, j’en suis sûr, au degré où vous en êtes. Que faisiez-vous donc à Paris?

– Mon père, qui est commerçant, m’avait placé chez son correspondant, qui, de son côté, avait envoyé son fils chez mon père; c’est l’habitude entre négociants de faire de pareils échanges.

– Et Paris vous a-t-il plu, monsieur?

– Oui, mais vous auriez grand besoin d’une révolution dans le genre de la nôtre; non pas contre votre roi, qui n’est qu’un enfant, mais contre ce ladre d’italien qui est l’amant de votre reine.

– Ah! je suis bien de votre avis, monsieur, et que ce serait bientôt fait, si nous avions seulement douze officiers comme vous, sans préjugés, vigilants, intraitables! Ah! nous viendrions bien vite à bout du Mazarin, et nous lui ferions un bon petit procès comme celui que vous allez faire à votre roi.

– Mais, dit l’officier, je croyais que vous étiez à son service, et que c’était lui qui vous avait envoyé au général Cromwell?

– C’est-à-dire que je suis au service du roi, et que, sachant qu’il devait envoyer quelqu’un en Angleterre, j’ai sollicité cette mission, tant était grand mon désir de connaître l’homme de génie qui commande à cette heure aux trois royaumes. Aussi, quand il nous a proposé, à M. du Vallon et à moi, de tirer l’épée en l’honneur de la vieille Angleterre, vous avez vu comme nous avons mordu à la proposition.

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