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– Oui, dit Aramis, je comprends.

– Moi, je ne comprends pas, dit Porthos, mais n’importe; puisque cet avis est à la fois celui de d’Artagnan et d’Athos, ce doit être le meilleur.

– Mais, dit Aramis, ne paraîtrons-nous point suspects au colonel Harrison?

– Eh! mordioux! dit d’Artagnan, c’est justement sur lui que je compte; le colonel Harrison est de nos amis; nous l’avons vu deux fois chez le général Cromwell; il sait que nous lui avons été envoyés de France par mons Mazarini: il nous regardera comme des frères. D’ailleurs, n’est-ce pas le fils d’un boucher? Oui, n’est-ce pas? Eh bien! Porthos lui montrera comment on assomme un bœuf d’un coup de poing, et moi comment on renverse un taureau en le prenant par les cornes; cela captera sa confiance.

Athos sourit.

– Vous êtes le meilleur compagnon que je connaisse, d’Artagnan, dit-il en tendant la main au Gascon, et je suis bien heureux de vous avoir retrouvé, mon cher fils.

C’était, comme on le sait, le nom qu’Athos donnait à d’Artagnan dans ses grandes effusions de cœur.

En ce moment Grimaud sortit de la chambre. Le blessé était pansé et se trouvait mieux.

Les quatre amis prirent congé de lui et lui demandèrent s’il n’avait pas quelque commission à leur donner pour son frère.

– Dites-lui, répondit le brave homme, qu’il fasse savoir au roi qu’ils ne m’ont pas tué tout à fait; si peu que je sois, je suis sûr que Sa Majesté me regrette et se reproche ma mort.

– Soyez tranquille, dit d’Artagnan, il le saura avant ce soir.

La petite troupe se remit en marche; il n’y avait point à se tromper de chemin; celui qu’il voulait suivre était visiblement tracé à travers la plaine.

Au bout de deux heures de marche silencieuse, d’Artagnan, qui tenait la tête, s’arrêta au tournant d’un chemin.

– Ah! ah! dit-il, voici nos gens.

En effet, une troupe considérable de cavaliers apparaissait à une demi-lieue de là environ.

– Mes chers amis, dit d’Artagnan, donnez vos épées à M. Mouston, qui vous les remettra en temps et lieu, et n’oubliez point que vous êtes nos prisonniers.

Puis on mit au trot les chevaux qui commençaient à se fatiguer, et l’on eut bientôt rejoint l’escorte.

Le roi, placé en tête, entouré d’une partie du régiment du colonel Harrison, cheminait impassible, toujours digne et avec une sorte de bonne volonté.

En apercevant Athos et Aramis, auxquels on ne lui avait pas même laissé le temps de dire adieu, et en lisant dans les regards de ces deux gentilshommes qu’il avait encore des amis à quelques pas de lui, quoiqu’il crût ces amis prisonniers, une rougeur de plaisir monta aux joues pâlies du roi.

D’Artagnan gagna la tête de la colonne, et, laissant ses amis sous la garde de Porthos, il alla droit à Harrison, qui le reconnut effectivement pour l’avoir vu chez Cromwell, et qui l’accueillit aussi poliment qu’un homme de cette condition et de ce caractère pouvait accueillir quelqu’un. Ce qu’avait prévu d’Artagnan arriva: le colonel n’avait et ne pouvait avoir aucun soupçon.

On s’arrêta: c’était à cette halte que devait dîner le roi. Seulement cette fois les précautions furent prises pour qu’il ne tentât pas de s’échapper. Dans la grande chambre de l’hôtellerie, une petite table fut placée pour lui, et une grande table pour les officiers.

– Dînez-vous avec moi? demanda Harrison à d’Artagnan.

– Diable! dit d’Artagnan, cela me ferait grand plaisir, mais j’ai mon compagnon, M. du Vallon, et mes deux prisonniers que je ne puis quitter et qui encombreraient votre table. Mais faisons mieux: faites dresser une table dans un coin, et envoyez-nous ce que bon vous semblera de la vôtre, car, sans cela, nous courrons grand risque de mourir de faim. Ce sera toujours dîner ensemble, puisque nous dînerons dans la même chambre.

– Soit, dit Harrison.

La chose fut arrangée comme le désirait d’Artagnan, et lorsqu’il revint près du colonel il trouva le roi déjà assis à sa petite table et servi par Parry, Harrison et ses officiers attablés en communauté, et dans un coin les places réservées pour lui et ses compagnons.

La table à laquelle étaient assis les officiers puritains était ronde, et, soit par hasard, soit grossier calcul, Harrison tournait le dos au roi.

Le roi vit entrer les quatre gentilshommes, mais il ne parut faire aucune attention à eux.

Ils allèrent s’asseoir à la table qui leur était réservée et se placèrent pour ne tourner le dos à personne. Ils avaient en face d’eux la table des officiers et celle du roi.

Harrison, pour faire honneur à ses hôtes, leur envoyait les meilleurs plats de sa table; malheureusement pour les quatre amis, le vin manquait. La chose paraissait complètement indifférente à Athos, mais d’Artagnan, Porthos et Aramis faisaient la grimace chaque fois qu’il leur fallait avaler la bière, cette boisson puritaine.

– Ma foi, colonel, dit d’Artagnan, nous vous sommes bien reconnaissants de votre gracieuse invitation, car, sans vous, nous courions le risque de nous passer de dîner, comme nous nous sommes passés de déjeuner; et voilà mon ami, M. du Vallon, qui partage ma reconnaissance, car il avait grand’faim.

– J’ai faim encore, dit Porthos en saluant le colonel Harrison.

– Et comment ce grave événement vous est-il donc arrivé, de vous passer de déjeuner? demanda le colonel en riant.

– Par une raison bien simple, colonel, dit d’Artagnan. J’avais hâte de vous rejoindre, et, pour arriver à ce résultat, j’avais pris la même route que vous, ce que n’aurait pas dû faire un vieux fourrier comme moi, qui doit savoir que là où a passé un bon et brave régiment comme le vôtre, il ne reste rien à glaner. Aussi, vous comprenez notre déception lorsqu’en arrivant à une jolie petite maison située à la lisière d’un bois, et qui, de loin, avec son toit rouge et ses contrevents verts, avait un petit air de fête qui faisait plaisir à voir, au lieu d’y trouver les poules que nous nous apprêtions à faire rôtir, et les jambons que nous comptions faire griller, nous ne vîmes qu’un pauvre diable baigné… Ah! mordioux! colonel, faites mon compliment à celui de vos officiers qui a donné ce coup-là, il était bien donné, si bien donné, qu’il a fait l’admiration de M. du Vallon, mon ami, qui les donne gentiment aussi, les coups.

– Oui, dit Harrison en riant et en s’adressant des yeux à un officier assis à sa table, quand Groslow se charge de cette besogne, il n’y a pas besoin de revenir après lui.

– Ah! c’est monsieur, dit d’Artagnan en saluant l’officier; je regrette que monsieur ne parle pas français, pour lui faire mon compliment.

– Je suis prêt à le recevoir et à vous le rendre, monsieur, dit l’officier en assez bon français, car j’ai habité trois ans Paris.

– Eh bien! monsieur, je m’empresse de vous dire, continua d’Artagnan, que le coup était si bien appliqué, que vous avez presque tué votre homme.

– Je croyais l’avoir tué tout à fait, dit Groslow.

– Non. Il ne s’en est pas fallu grand’chose, c’est vrai, mais il n’est pas mort.

Et en disant ces mots, d’Artagnan jeta un regard sur Parry, qui se tenait debout devant le roi, la pâleur de la mort au front, pour lui indiquer que cette nouvelle était à son adresse.

Quant au roi, il avait écouté toute cette conversation le cœur serré d’une indicible angoisse, car il ne savait pas où l’officier français en voulait venir et ces détails cruels, cachés sous une apparence insoucieuse, le révoltaient.

Aux derniers mots qu’il prononça seulement, il respira avec liberté.

– Ah diable! dit Groslow, je croyais avoir mieux réussi. S’il n’y avait pas si loin d’ici à la maison de ce misérable, je retournerais pour l’achever.

– Et vous feriez bien, si vous avez peur qu’il en revienne, dit d’Artagnan, car vous le savez, quand les blessures à la tête ne tuent pas sur le coup, au bout de huit jours elles sont guéries.

Et d’Artagnan lança un second regard à Parry, sur la figure duquel se répandit une telle expression de joie, que Charles lui tendit la main en souriant.

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