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– Je vous écoute et vous admire, monsieur, dit Anne d’Autriche. En vérité, j’ai rarement vu un pareil excès d’impudence.

– Allons, dit d’Artagnan, voici Votre Majesté qui, à son tour, se trompe sur nos intentions comme avait fait M. de Mazarin.

– Vous êtes dans l’erreur, monsieur, dit la reine, et je me trompe si peu, que dans dix minutes vous serez arrêté et que dans une heure je partirai pour aller délivrer mon ministre à la tête de mon armée.

– Je suis sûr que Votre Majesté ne commettra point une pareille imprudence, dit d’Artagnan, d’abord parce qu’elle serait inutile et qu’elle amènerait les plus graves résultats. Avant d’être délivré, M. le cardinal serait mort, et Son Éminence est si bien convaincue de la vérité de ce que je dis qu’elle m’a au contraire prié, dans le cas où je verrais Votre Majesté dans ces dispositions, de faire tout ce que je pourrais pour obtenir qu’elle change de projet.

– Eh bien! je me contenterai donc de vous faire arrêter.

– Pas davantage, Madame, car le cas de mon arrestation est aussi bien prévu que celui de la délivrance du cardinal. Si demain, à une heure fixe, je ne suis pas revenu, après-demain matin M. le cardinal sera conduit à Paris.

– On voit bien, monsieur, que vous vivez, par votre position, loin des hommes et des choses; car autrement vous sauriez que M. le cardinal a été cinq ou six fois à Paris, et cela depuis que nous en sommes sortis, et qu’il y a vu M. de Beaufort, M. de Bouillon, M. le coadjuteur, M. d’Elbeuf, et que pas un n’a eu l’idée de le faire arrêter.

– Pardon, Madame, je sais tout cela; aussi n’est-ce ni à M. de Beaufort, ni à M. de Bouillon, ni à M. le coadjuteur, ni à M. d’Elbeuf, que mes amis conduiront M. le cardinal, attendu que ces messieurs font la guerre pour leur propre compte, et qu’en leur accordant ce qu’ils désirent M. le cardinal en aurait bon marché; mais bien au parlement, qu’on peut acheter en détail sans doute, mais que M. de Mazarin lui-même n’est pas assez riche pour acheter en masse.

– Je crois, dit Anne d’Autriche en fixant son regard, qui, dédaigneux chez une femme, devenait terrible chez une reine, je crois que vous menacez la mère de votre roi.

– Madame, dit d’Artagnan, je menace parce qu’on m’y force. Je me grandis parce qu’il faut que je me place à la hauteur des événements et des personnes. Mais croyez bien une chose, Madame, aussi vrai qu’il y a un cœur qui bat pour vous dans cette poitrine, croyez bien que vous avez été l’idole constante de notre vie, que nous avons, vous le savez bien, mon Dieu, risquée vingt fois pour Votre Majesté. Voyons, Madame, est-ce que Votre Majesté n’aura pas pitié de ses serviteurs, qui ont depuis vingt ans végété dans l’ombre, sans laisser échapper dans un seul soupir les secrets saints et solennels qu’ils avaient eu le bonheur de partager avec vous? Regardez-moi, moi qui vous parle, Madame, moi que vous accusez d’élever la voix et de prendre un ton menaçant. Que suis-je? un pauvre officier sans fortune, sans abri, sans avenir, si le regard de ma reine, que j’ai si longtemps cherché, ne se fixe pas un moment sur moi. Regardez M. le comte de La Fère, un type de noblesse, une fleur de la chevalerie; il a pris parti contre sa reine, ou plutôt, non pas, il a pris parti contre son ministre, et celui-là n’a pas d’exigences, que je crois. Voyez enfin M. du Vallon, cette âme fidèle, ce bras d’acier, il attend depuis vingt ans de votre bouche un mot qui le fasse par le blason ce qu’il est par le sentiment et par la valeur. Voyez enfin votre peuple, qui est bien quelque chose pour une reine, votre peuple qui vous aime et qui cependant souffre, que vous aimez et qui cependant a faim, qui ne demande pas mieux que de vous bénir et qui cependant vous… Non, j’ai tort; jamais votre peuple ne vous maudira, Madame. Eh bien! dites un mot, et tout est fini, et la paix succède à la guerre, la joie aux larmes, le bonheur aux calamités.

Anne d’Autriche regarda avec un certain étonnement le visage martial de d’Artagnan, sur lequel on pouvait lire une expression singulière d’attendrissement.

– Que n’avez-vous dit tout cela avant d’agir! dit-elle.

– Parce que, Madame, il s’agissait de prouver à Votre Majesté une chose dont elle doutait, ce me semble: c’est que nous avons encore quelque valeur, et qu’il est juste qu’on fasse quelque cas de nous.

– Et cette valeur ne reculerait devant rien, à ce que je vois? dit Anne d’Autriche.

– Elle n’a reculé devant rien dans le passé, dit d’Artagnan; pourquoi donc ferait-elle moins dans l’avenir?

– Et cette valeur, en cas de refus, et par conséquent en cas de lutte, irait jusqu’à m’enlever moi-même au milieu de ma cour pour me livrer à la Fronde, comme vous voulez livrer mon ministre?

– Nous n’y avons jamais songé, Madame, dit d’Artagnan avec cette forfanterie gasconne qui n’était chez lui que de la naïveté; mais si nous l’avions résolu entre nous quatre, nous le ferions bien certainement.

– Je devais le savoir, murmura Anne d’Autriche, ce sont des hommes de fer.

– Hélas! Madame, dit d’Artagnan, cela me prouve que c’est seulement d’aujourd’hui que Votre Majesté a une juste idée de nous.

– Bien, dit Anne, mais cette idée, si je l’ai enfin…

– Votre Majesté nous rendra justice. Nous rendant justice, elle ne nous traitera plus comme des hommes vulgaires. Elle verra en moi un ambassadeur digne des hauts intérêts qu’il est chargé de discuter avec vous.

– Où est le traité?

– Le voici.

XCVI. Comme quoi avec une plume et une menace on fait plus vite et mieux qu’avec l’épée et du dévouement (Suite)

Anne d’Autriche jeta les yeux, sur le traité que lui présentait d’Artagnan.

– Je n’y vois, dit-elle, que des conditions générales. Les intérêts de M. de Conti, de M. de Beaufort, de M. de Bouillon, de M. d’Elbeuf et de M. le coadjuteur y sont établis. Mais les vôtres?

– Nous nous rendons justice, Madame, tout en nous plaçant à notre hauteur. Nous avons pensé que nos noms n’étaient pas dignes de figurer près de ces grands noms.

– Mais vous, vous n’avez pas renoncé, je présume, à m’exposer vos prétentions de vive voix?

– Je crois que vous êtes une grande et puissante reine, Madame, et qu’il serait indigne de votre grandeur et de votre puissance de ne pas récompenser dignement les bras qui ramèneront Son Éminence à Saint-Germain.

– C’est mon intention, dit la reine; voyons, parlez.

– Celui qui a traité l’affaire (pardon si je commence par moi, mais il faut bien que je m’accorde l’importance, non pas que j’ai prise, mais qu’on m’a donnée), celui qui a traité l’affaire du rachat de M. le cardinal doit être, ce me semble, pour que la récompense ne soit pas au-dessous de Votre Majesté, celui-là doit être fait chef des gardes, quelque chose comme capitaine des mousquetaires.

– C’est la place de M. de Tréville que vous me demandez là!

– La place est vacante, Madame, et depuis un an que M. de Tréville l’a quittée, il n’a point été remplacé.

– Mais c’est une des premières charges militaires de la maison du roi!

– M. de Tréville était un simple cadet de Gascogne comme moi, Madame, et il a occupé cette charge vingt ans.

– Vous avez réponse à tout, monsieur, dit Anne d’Autriche.

Et elle prit sur un bureau un brevet qu’elle remplit et signa.

– Certes, Madame, dit d’Artagnan en prenant le brevet et en s’inclinant, voilà une belle et noble récompense; mais les choses de ce monde sont pleines d’instabilité, et un homme qui tomberait dans la disgrâce de Votre Majesté perdrait cette charge demain.

– Que voulez-vous donc alors? dit la reine, rougissant d’être pénétrée par cet esprit aussi subtil que le sien.

– Cent mille livres pour ce pauvre capitaine des mousquetaires, payables le jour où ses services n’agréeront plus à Votre Majesté.

Anne hésita.

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