Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Oui, la pensée vient de vous, c’est vrai; je ne poussais pas encore le mépris des hommes jusque-là.

– Ai-je été bon ambassadeur en France?

– Oui, et vous avez obtenu de Mazarin ce que je demandais.

– Ai-je combattu toujours ardemment pour votre gloire et vos intérêts?

– Trop ardemment peut-être, c’est ce que je vous reprochais tout à l’heure. Mais où voulez-vous en venir avec toutes vos questions?

– À vous dire, milord, que le moment est venu où vous pouvez d’un mot récompenser tous mes services.

– Ah! fit Olivier avec un léger mouvement de dédain; c’est vrai, j’oubliais que tout service mérite sa récompense, que vous m’avez servi et que vous n’êtes pas encore récompensé.

– Monsieur, je puis l’être à l’instant même et au-delà de mes souhaits.

– Comment cela?

– J’ai le prix sous la main et je le tiens presque.

– Et quel est ce prix? demanda Cromwell. Vous a-t-on offert de l’or? Demandez-vous un grade? Désirez-vous un gouvernement?

– Monsieur, m’accorderez-vous ma demande?

– Voyons ce qu’elle est d’abord.

– Monsieur, lorsque vous m’avez dit: Vous allez accomplir un ordre, vous ai-je jamais répondu: Voyons cet ordre?

– Si cependant votre désir était impossible à réaliser.

– Lorsque vous avez eu un désir et que vous m’avez chargé de son accomplissement, vous ai-je jamais répondu: C’est impossible?

– Mais une demande formulée avec tant de préparation…

– Ah! soyez tranquille, monsieur, dit Mordaunt avec une simple expression, elle ne vous minera pas.

– Eh bien donc, dit Cromwell, je vous promets de faire droit à votre demande autant que la chose sera en mon pouvoir; demandez.

– Monsieur, répondit Mordaunt, on a fait ce matin deux prisonniers, je vous les demande.

– Ils ont donc offert une rançon considérable? dit Cromwell.

– Je les crois pauvres, au contraire, monsieur.

– Mais ce sont donc des amis à vous?

– Oui, monsieur, s’écria Mordaunt, ce sont des amis à moi, de chers amis, et je donnerais ma vie pour la leur.

– Bien, Mordaunt, dit Cromwell, reprenant, avec un certain mouvement de joie, une meilleure opinion du jeune homme; bien, je te les donne, je ne veux même pas savoir qui ils sont; fais-en ce que tu voudras.

– Merci, monsieur, s’écria Mordaunt, merci! ma vie est désormais à vous, et en la perdant je vous serai encore redevable; merci, vous venez de me payer magnifiquement de mes services.

Et il se jeta aux genoux de Cromwell, et, malgré les efforts du général puritain, qui ne voulait pas ou qui faisait semblant de ne pas vouloir se laisser rendre cet hommage presque royal, il prit sa main qu’il baisa.

– Quoi! dit Cromwell, l’arrêtant à son tour au moment où il se relevait, pas d’autres récompenses? Pas d’or? Pas de grade?

– Vous m’avez donné tout ce que vous pouviez me donner, milord, et de ce jour je vous tiens quitte du reste.

Et Mordaunt s’élança hors de la tente du général avec, une joie qui débordait de son cœur et de ses yeux.

Cromwell le suivit du regard.

– Il a tué son oncle! murmura-t-il; hélas! quels sont donc mes serviteurs? Peut-être celui-ci, qui ne me réclame rien ou qui semble ne rien réclamer, a-t-il plus demandé devant Dieu que ceux qui viendront réclamer l’or des provinces et le pain des malheureux; personne ne me sert pour rien, Charles, qui est mon prisonnier, a peut-être encore des amis, et moi je n’en ai pas.

Et il reprit en soupirant sa rêverie interrompue par Mordaunt.

LXI. Les gentilshommes

Pendant que Mordaunt s’acheminait vers la tente de Cromwell, d’Artagnan et Porthos ramenaient leurs prisonniers dans la maison qui leur avait été assignée pour logement à Newcastle.

La recommandation faite par Mordaunt au sergent n’avait point échappé au Gascon; aussi avait-il recommandé de l’œil à Athos et à Aramis la plus sévère prudence. Aramis et Athos avaient en conséquence marché silencieux près de leurs vainqueurs; ce qui ne leur avait pas été difficile, chacun ayant assez à faire de répondre à ses propres pensées.

Si jamais homme fut étonné, ce fut Mousqueton, lorsque du seuil de la porte il vit s’avancer les quatre amis suivis du sergent et d’une dizaine d’hommes. Il se frotta les yeux, ne pouvant se décider à reconnaître Athos et Aramis, mais enfin force lui fut de se rendre à l’évidence. Aussi allait-il se confondre en exclamations, lorsque Porthos lui imposa silence d’un de ces coups d’œil qui n’admettent pas de discussion.

Mousqueton resta collé le long de la porte, attendant l’explication d’une chose si étrange; ce qui le bouleversait surtout, c’est que les quatre amis avaient l’air de ne plus se reconnaître.

La maison dans laquelle d’Artagnan et Porthos conduisirent Athos et Aramis était celle qu’ils habitaient depuis la veille et qui leur avait été donnée par le général Cromwell: elle faisait l’angle d’une rue, avait une espèce de jardin et des écuries en retour sur la rue voisine.

Les fenêtres du rez-de-chaussée, comme cela arrive souvent dans les petites villes de province, étaient grillées, de sorte qu’elles ressemblaient fort à celles d’une prison.

Les deux amis firent entrer les prisonniers devant eux et se tinrent sur le seuil après avoir ordonné à Mousqueton de conduire les quatre chevaux à l’écurie.

– Pourquoi n’entrons-nous pas avec eux? dit Porthos.

– Parce que, auparavant, répondit d’Artagnan, il faut voir ce que nous veulent ce sergent et les huit ou dix hommes qui l’accompagnent.

Le sergent et les huit ou dix hommes s’établirent dans le petit jardin.

D’Artagnan leur demanda ce qu’ils désiraient et pourquoi ils se tenaient là.

– Nous avons reçu l’ordre, dit le sergent, de vous aider à garder vos prisonniers.

Il n’y avait rien à dire à cela, c’était au contraire une attention délicate dont il fallait avoir l’air de savoir gré à celui qui l’avait eue. D’Artagnan remercia le sergent et lui donna une couronne pour boire à la santé du général Cromwell.

Le sergent répondit que les puritains ne buvaient point et mit la couronne dans sa poche.

– Ah! dit Porthos, quelle affreuse journée, mon cher d’Artagnan!

– Que dites-vous là, Porthos, vous appelez une affreuse journée celle dans laquelle nous avons retrouvé nos amis!

– Oui, mais dans quelle circonstance!

– Il est vrai que la conjoncture est embarrassante, dit d’Artagnan; mais n’importe, entrons chez eux, et tâchons de voir clair un peu dans notre position.

– Elle est fort embrouillée, dit Porthos, et je comprends maintenant pourquoi Aramis me recommandait si fort d’étrangler cet affreux Mordaunt.

– Silence donc! dit d’Artagnan, ne prononcez pas ce nom.

– Mais, dit Porthos, puisque je parle français et qu’ils sont anglais!

D’Artagnan regarda Porthos avec cet air d’admiration qu’un homme raisonnable ne peut refuser aux énormités de tout genre.

Puis, comme Porthos de son côté le regardait sans rien comprendre à son étonnement, d’Artagnan le poussa en lui disant:

– Entrons.

Porthos entra le premier, d’Artagnan le second; d’Artagnan referma soigneusement la porte et serra successivement les deux amis dans ses bras.

Athos était d’une tristesse mortelle. Aramis regardait successivement Porthos et d’Artagnan sans rien dire, mais son regard était si expressif, que d’Artagnan le comprit.

– Vous voulez savoir comment il se fait que nous sommes ici? Eh! mon Dieu! c’est bien facile à deviner, Mazarin nous a chargés d’apporter une lettre au général Cromwell.

– Mais comment vous trouvez-vous à côté de Mordaunt? dit Athos, de Mordaunt, dont je vous avais dit de vous défier, d’Artagnan.

– Et que je vous avais recommandé d’étrangler, Porthos, dit Aramis.

– Toujours Mazarin. Cromwell l’avait envoyé à Mazarin; Mazarin nous a envoyés à Cromwell. Il y a de la fatalité dans tout cela.

138
{"b":"125143","o":1}