Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

En ce moment le tumulte retentit plus rapproché.

Mazarin s’essuya le front en regardant autour de lui. Il avait bonne envie d’aller à la fenêtre, mais il n’osait.

– Voyez donc ce qui se passe, monsieur d’Artagnan, dit-il.

D’Artagnan alla à la fenêtre avec son insouciance habituelle.

– Oh! oh! dit-il, qu’est-ce que cela? le maréchal de La Meilleraie qui revient sans chapeau, Fontrailles qui porte son bras en écharpe, des gardes blessés, des chevaux tout en sang… Eh! mais… que font donc les sentinelles! elles mettent en joue, elles vont tirer!

– On leur a donné la consigne de tirer sur le peuple, s’écria Mazarin, si le peuple approchait du Palais-Royal.

– Mais si elles font feu, tout est perdu! s’écria d’Artagnan.

– Nous avons les grilles.

– Les grilles! il y en a pour cinq minutes; les grilles! elles seront arrachées, tordues, broyées!… Ne tirez pas, mordieu! s’écria d’Artagnan en ouvrant la fenêtre.

Malgré cette recommandation, qui, au milieu du tumulte, n’avait pu être entendue, trois ou quatre coups de mousquet retentirent, puis une fusillade terrible leur succéda; on entendit cliqueter les balles sur la façade du Palais-Royal, une d’elles passa sous le bras de d’Artagnan et alla briser une glace dans laquelle Porthos se mirait avec complaisance.

– Ohimé! s’écria le cardinal; une glace de Venise!

– Oh! Monseigneur, dit d’Artagnan en refermant tranquillement la fenêtre, ne pleurez pas encore, cela n’en vaut pas la peine, car il est probable que dans une heure il n’en restera pas une au Palais-Royal, de toutes vos glaces, qu’elles soient de Venise ou de Paris.

– Mais quel est donc votre avis, alors? dit le cardinal tout tremblant.

– Eh morbleu! de leur rendre Broussel, puisqu’ils vous le redemandent! Que diable voulez-vous faire d’un conseiller au parlement? ce n’est bon à rien!

– Et vous, monsieur du Vallon, est-ce votre avis? Que feriez-vous?

– Je rendrais Broussel, dit Porthos.

– Venez, venez, messieurs, s’écria Mazarin, je vais parler de la chose à la reine.

Au bout du corridor il s’arrêta.

– Je puis compter sur vous, n’est-ce pas, messieurs? dit-il.

– Nous ne nous donnons pas deux fois, dit d’Artagnan, nous nous sommes donnés à vous, ordonnez, nous obéirons.

– Eh bien! dit Mazarin, entrez dans ce cabinet, et attendez.

En faisant un détour, il rentra dans le salon par une autre porte.

LI. L’émeute se fait révolte

Le cabinet où l’on avait fait entrer d’Artagnan et Porthos n’était séparé du salon où se trouvait la reine que par des portières de tapisserie. Le peu d’épaisseur de la séparation permettait donc d’entendre tout ce qui se passait, tandis que l’ouverture qui se trouvait entre les deux rideaux, si étroite qu’elle fût, permettait de voir.

La reine était debout dans ce salon, pâle de colère; mais cependant sa puissance sur elle-même était si grande, qu’on eût dit qu’elle n’éprouvait aucune émotion. Derrière elle étaient Comminges, Villequier et Guitaut; derrière les hommes, les femmes.

Devant elle, le chancelier Séguier, le même qui, vingt ans auparavant, l’avait si fort persécutée, racontait que son carrosse venait d’être brisé, qu’il avait été poursuivi, qu’il s’était jeté dans l’Hôtel d’O…, que l’hôtel avait été aussitôt envahi, pillé, dévasté; heureusement il avait eu le temps de gagner un cabinet perdu dans la tapisserie, où une vieille femme l’avait enfermé avec son frère l’évêque de Meaux. Là, le danger avait été si réel, les forcenés s’étaient approchés de ce cabinet avec de telles menaces, que le chancelier avait cru que son heure était venue, et qu’il s’était confessé à son frère, afin d’être tout prêt à mourir s’il était découvert. Heureusement ne l’avait-il point été: le peuple, croyant qu’il s’était évadé par quelque porte de derrière, s’était retiré et lui avait laissé la retraite libre. Il s’était alors déguisé avec les habits du marquis d’O… et il était sorti de l’hôtel, enjambant par-dessus les corps de son exempt et de deux gardes qui avaient été tués en défendant la porte de la rue.

Pendant ce récit, Mazarin était entré, et sans bruit s’était glissé près de la reine et écoutait.

– Eh bien! demanda la reine quand le chancelier eut fini, que pensez-vous de cela?

– Je pense que la chose est fort grave, Madame.

– Mais quel conseil me proposez-vous?

– J’en proposerais bien un à Votre Majesté, mais je n’ose.

– Osez, osez, monsieur, dit la reine avec un sourire amer, vous avez bien osé autre chose.

Le chancelier rougit et balbutia quelques mots.

– Il n’est pas question du passé, mais du présent, dit la reine. Vous avez dit que vous aviez un conseil à me donner, quel est-il?

– Madame, dit le chancelier en hésitant, ce serait de relâcher Broussel.

La reine, quoique très pâle, pâlit visiblement encore et sa figure se contracta.

– Relâcher Broussel! dit-elle, jamais!

En ce moment on entendit des pas dans la salle précédente, et, sans être annoncé, le maréchal de La Meilleraie parut sur le seuil de la porte.

– Ah! vous voilà, maréchal! s’écria Anne d’Autriche avec joie, vous avez mis toute cette canaille à la raison, j’espère?

– Madame, dit le maréchal, j’ai laissé trois hommes au Pont-Neuf, quatre aux Halles, six au coin de la rue de l’Arbre-Sec et deux à la porte de votre palais, en tout quinze. Je ramène dix ou douze blessés. Mon chapeau est resté je ne sais où, emporté par une balle et, selon toute probabilité, je serais resté avec mon chapeau, sans M. le coadjuteur, qui est venu et qui m’a tiré d’affaire.

– Ah! au fait, dit la reine, cela m’eût étonnée de ne pas voir ce basset à jambes torses mêlé dans tout cela.

– Madame, dit La Meilleraie en riant, n’en dites pas trop de mal devant moi, car le service qu’il m’a rendu est encore tout chaud.

– C’est bon, dit la reine, soyez-lui reconnaissant tant que vous voudrez; mais cela ne m’engage pas, moi. Vous voilà sain et sauf, c’est tout ce que je désirais; soyez non seulement le bienvenu, mais le bien revenu.

– Oui, Madame; mais je suis le bien revenu à une condition, c’est que je vous transmettrai les volontés du peuple.

– Des volontés! dit Anne d’Autriche en fronçant le sourcil. Oh! oh! monsieur le maréchal, il faut que vous vous soyez trouvé dans un bien grand danger, pour vous charger d’une ambassade si étrange!

Et ces mots furent prononcés avec un accent d’ironie qui n’échappa point au maréchal.

– Pardon, Madame, dit le maréchal, je ne suis pas avocat, je suis homme de guerre, et par conséquent peut-être je comprends mal la valeur des mots; c’est le désir et non la volonté du peuple que j’aurais dû dire. Quant à ce que vous me faites l’honneur de me répondre, je crois que vous vouliez dire que j’ai eu peur.

La reine sourit.

– Eh bien! oui, Madame, j’ai eu peur; c’est la troisième fois de ma vie que cela m’arrive, et cependant je me suis trouvé à douze batailles rangées et je ne sais combien de combats et d’escarmouches: oui, j’ai eu peur, et j’aime mieux être en face de Votre Majesté, si menaçant que soit son sourire, qu’en face de ces démons d’enfer qui m’ont accompagné jusqu’ici et qui sortent je ne sais d’où.

– Bravo! dit tout bas d’Artagnan à Porthos, bien répondu.

– Eh bien! dit la reine se mordant les lèvres, tandis que les courtisans se regardaient avec étonnement, quel est ce désir de mon peuple?

– Qu’on lui rende Broussel, Madame, dit le maréchal.

– Jamais! dit la reine, jamais!

– Votre Majesté est la maîtresse, dit La Meilleraie saluant en faisant un pas en arrière.

– Où allez-vous, maréchal? dit la reine.

– Je vais rendre la réponse de Votre Majesté à ceux qui l’attendent.

– Restez, maréchal, je ne veux pas avoir l’air de parlementer avec des rebelles.

115
{"b":"125143","o":1}