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– Eh bien! reprit Athos, j’en reviens à ma première pensée; je ne connais point de meilleur moyen que d’agir franchement et loyalement. J’irai trouver non pas Mazarin, mais la reine, et je lui dirai: «Madame, rendez-nous vos deux serviteurs et nos deux amis.»

Aramis secoua la tête.

– C’est une dernière ressource dont vous serez toujours libre d’user, Athos; mais croyez-moi, n’en usez qu’à l’extrémité; il sera toujours temps d’en venir là. En attendant, continuons nos recherches.

Ils continuèrent donc de chercher, et prirent tant d’informations, firent, sous mille prétextes plus ingénieux les uns que les autres, causer tant de personnes, qu’ils finirent par trouver un chevau-léger qui leur avoua avoir fait partie de l’escorte qui avait amené d’Artagnan et Porthos de Compiègne à Rueil. Sans les chevau-légers, on n’aurait pas même su qu’ils y étaient rentrés.

Athos en revenait éternellement à son idée de voir la reine.

– Pour voir la reine, disait Aramis, il faut d’abord voir le cardinal, et à peine aurons-nous vu le cardinal, rappelez-vous ce que je vous dis, Athos, que nous serons réunis à nos amis, mais point de la façon que nous l’entendons. Or, cette façon d’être réunis à eux me sourit assez peu, je l’avoue. Agissons en liberté pour agir bien et vite.

– Je verrai la reine, dit Athos.

– Eh bien, mon ami, si vous êtes décidé à faire cette folie, prévenez-moi, je vous prie, un jour à l’avance.

– Pourquoi cela?

– Parce que je profiterai de la circonstance pour aller faire une visite à Paris.

– À qui?

– Dame? que sais-je! peut-être bien à madame de Longueville. Elle est toute-puissante là-bas; elle m’aidera. Seulement faites-moi dire par quelqu’un si vous êtes arrêté, alors je me retournerai de mon mieux.

– Pourquoi ne risquez-vous point l’arrestation avec moi, Aramis? dit Athos.

– Non merci.

– Arrêtés à quatre et réunis, je crois que nous ne risquons plus rien. Au bout de vingt-quatre heures nous sommes tous quatre dehors.

– Mon cher, depuis que j’ai tué Châtillon, l’adoration des dames de Saint-Germain, j’ai trop d’éclat autour de ma personne pour ne pas craindre doublement la prison. La reine serait capable de suivre les conseils de Mazarin en cette occasion, et le conseil que lui donnerait Mazarin serait de me faire juger.

– Mais pensez-vous donc, Aramis, qu’elle aime cet Italien au point qu’on le dit?

– Elle a bien aimé un Anglais.

– Eh! mon cher, elle est femme!

– Non pas; vous vous trompez, Athos, elle est reine!

– Cher ami, je me dévoue et vais demander audience à Anne d’Autriche.

– Adieu, Athos, je vais lever une armée.

– Pour quoi faire?

– Pour revenir assiéger Rueil.

– Où nous retrouverons-nous?

– Au pied de la potence du cardinal.

Et les deux amis se séparèrent, Aramis pour retourner à Paris, Athos pour s’ouvrir par quelques démarches préparatoires un chemin jusqu’à la reine.

LXXXV. La reconnaissance d’Anne d’Autriche

Athos éprouva beaucoup moins de difficulté qu’il ne s’y était attendu à pénétrer près d’Anne d’Autriche; à la première démarche, tout s’aplanit, au contraire, et l’audience qu’il désirait lui fut accordée pour le lendemain, à la suite du lever, auquel sa naissance lui donnait le droit d’assister.

Une grande foule emplissait les appartements de Saint-Germain; jamais au Louvre ou au Palais-Royal Anne d’Autriche n’avait eu plus grand nombre de courtisans; seulement, un mouvement s’était fait parmi cette foule qui appartenait à la noblesse secondaire, tandis que tous les premiers gentilshommes de France étaient près de M. de Conti, de M. de Beaufort et du coadjuteur.

Au reste, une grande gaieté régnait dans cette cour. Le caractère particulier de cette guerre fut qu’il y eut plus de couplets faits que de coups de canon tirés. La cour chansonnait les Parisiens, qui chansonnaient la cour, et les blessures, pour n’être pas mortelles, n’en étaient pas moins douloureuses, faites qu’elles étaient avec l’arme du ridicule.

Mais au milieu de cette hilarité générale et de cette futilité apparente, une grande préoccupation vivait au fond de toutes les pensées, Mazarin resterait-il ministre ou favori, ou Mazarin, venu du Midi comme un nuage, s’en irait-il emporté par le vent qui l’avait apporté? Tout le monde l’espérait, tout le monde le désirait; de sorte que le ministre sentait qu’autour de lui tous les hommages, toutes les courtisaneries recouvraient un fond de haine mal déguisée sous la crainte et sous l’intérêt. Il se sentait mal à l’aise, ne sachant sur quoi faire compte ni sur qui s’appuyer.

M. le Prince lui-même, qui combattait pour lui, ne manquait jamais une occasion ou de le railler ou de l’humilier; et, à deux ou trois reprises, Mazarin ayant voulu, devant le vainqueur de Rocroy, faire acte de volonté, celui-ci l’avait regardé de manière à lui faire comprendre que, s’il le défendait, ce n’était ni par conviction ni par enthousiasme.

Alors le cardinal se rejetait vers la reine, son seul appui. Mais à deux ou trois reprises il lui avait semblé sentir cet appui vaciller sous sa main.

L’heure de l’audience arrivée, on annonça au comte de La Fère qu’elle aurait toujours lieu, mais qu’il devait attendre quelques instants, la reine ayant conseil à tenir avec le ministre.

C’était la vérité. Paris venait d’envoyer une nouvelle députation qui devait tâcher de donner enfin quelque tournure aux affaires, et la reine se consultait avec Mazarin sur l’accueil à faire à ces députés.

La préoccupation était grande parmi les hauts personnages de l’État Athos ne pouvait donc choisir un plus mauvais moment pour parler de ses amis, pauvres atomes perdus dans ce tourbillon déchaîné.

Mais Athos était un homme inflexible qui ne marchandait pas avec une décision prise, quand cette décision lui paraissait émanée de sa conscience et dictée par son devoir; il insista pour être introduit, en disant que, quoiqu’il ne fût député ni de M. de Conti, ni de M. de Beaufort, ni de M. de Bouillon, ni de M. d’Elbeuf, ni du coadjuteur, ni de madame de Longueville, ni de Broussel, ni du parlement, et qu’il vînt pour son propre compte il n’en avait pas moins les choses les plus importantes à dire à Sa Majesté.

La conférence finie, la reine le fit appeler dans son cabinet.

Athos fut introduit et se nomma. C’était un nom qui avait trop de fois retenti aux oreilles de Sa Majesté et trop de fois vibré dans son cœur, pour qu’Anne d’Autriche ne le reconnût point; cependant elle demeura impassible, se contentant de regarder ce gentilhomme avec cette fixité qui n’est permise qu’aux femmes reines soit par la beauté, soit par le sang.

– C’est donc un service que vous offrez de nous rendre, comte? demanda Anne d’Autriche après un instant de silence.

– Oui, Madame, encore un service, dit Athos, choqué de ce que la reine ne paraissait point le reconnaître.

C’était un grand cœur qu’Athos, et par conséquent un bien pauvre courtisan.

Anne fronça le sourcil. Mazarin, qui, assis devant une table, feuilletait des papiers comme eût pu le faire un simple secrétaire d’État, leva la tête.

– Parlez, dit la reine.

Mazarin se remit à feuilleter ses papiers.

– Madame, reprit Athos, deux de nos amis, deux des plus intrépides serviteurs de Votre Majesté, M. d’Artagnan et M. du Vallon, envoyés en Angleterre par M. le cardinal, ont disparu tout à coup au moment où ils mettaient le pied sur la terre de France, et l’on ne sait ce qu’ils sont devenus.

– Eh bien? dit la reine.

– Eh bien! dit Athos, je m’adresse à la bienveillance de Votre Majesté pour savoir ce que sont devenus ces deux gentilshommes, me réservant, s’il le faut ensuite, de m’adresser à sa justice.

– Monsieur, répondit Anne d’Autriche avec cette hauteur qui, vis-à-vis de certains hommes, devenait de l’impertinence, voilà donc pourquoi vous nous troublez au milieu des grandes préoccupations qui nous agitent? Une affaire de police! Eh! monsieur, vous savez bien, ou vous devez bien le savoir, que nous n’avons plus de police depuis que nous ne sommes plus à Paris.

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