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– Rien, Monseigneur, sinon qu’il me paraît tourmenté de quelque remords.

– Qui vous le fait croire?

– Tous les 28 de chaque mois, il me fait dire une messe pour le repos de l’âme d’une personne morte de mort violente; hier encore j’ai dit cette messe.

– Et vous l’appelez?

– Maillard; mais je ne pense pas que ce soit son véritable nom.

– Et croyez-vous qu’à cette heure nous le trouvions à son poste?

– Parfaitement.

– Allons voir votre mendiant, monsieur le curé; et s’il est tel que vous me le dites, vous avez raison, c’est vous qui aurez trouvé le véritable trésor.

Et Gondy s’habilla en cavalier, mit un large feutre avec une plume rouge, ceignit une longue épée, boucla des éperons à ses bottes, s’enveloppa d’un ample manteau et suivit le curé.

Le coadjuteur et son compagnon traversèrent toutes les rues qui séparent l’archevêché de l’église Saint-Eustache, examinant avec soin l’esprit du peuple. Le peuple était ému, mais, comme un essaim d’abeilles effarouchées, semblait ne savoir sur quelle place s’abattre, et il était évident que, si l’on ne trouvait des chefs à ce peuple, tout se passerait en bourdonnements.

En arrivant à la rue des Prouvaires, le curé étendit la main vers le parvis de l’église.

– Tenez, dit-il, le voilà, il est à son poste.

Gondy regarda du côté indiqué, et aperçut un pauvre assis sur une chaise et adossé à une des moulures; il avait près de lui un petit seau et tenait un goupillon à la main.

– Est-ce par privilège, dit Gondy, qu’il se tient là?

– Non, Monseigneur, dit le curé, il a traité avec son prédécesseur de la place de donneur d’eau bénite.

– Traité?

– Oui, ces places s’achètent; je crois que celui-ci a payé la sienne cent pistoles.

– Le drôle est donc riche?

– Quelques-uns de ces hommes meurent en laissant parfois vingt mille, vingt-cinq mille, trente mille livres et même plus.

– Hum! fit Gondy en riant, je ne croyais pas si bien placer mes aumônes.

Cependant on s’avançait vers le parvis; au moment où le curé et le coadjuteur mettaient le pied sur la première marche de l’église, le mendiant se leva et tendit son goupillon.

C’était un homme de soixante-six à soixante-huit ans, petit, assez gros, aux cheveux gris, aux yeux fauves. Il y avait sur sa figure la lutte de deux principes opposés, une nature mauvaise domptée par la volonté, peut-être par le repentir.

En voyant le cavalier qui accompagnait le curé, il tressaillit légèrement et le regarda d’un air étonné.

Le curé et le coadjuteur touchèrent le goupillon du bout des doigts et firent le signe de la croix; le coadjuteur jeta une pièce d’argent dans le chapeau qui était à terre.

– Maillard, dit le curé, nous sommes venus, monsieur et moi, pour causer un instant avec vous.

– Avec moi! dit le mendiant; c’est bien de l’honneur pour un pauvre donneur d’eau bénite.

Il y avait dans la voix du pauvre un accent d’ironie qu’il ne put dominer tout à fait et qui étonna le coadjuteur.

– Oui, continua le curé qui semblait habitué à cet accent, oui, nous avons voulu savoir ce que vous pensiez des événements d’aujourd’hui, et ce que vous en avez entendu dire aux personnes qui entrent à l’église et qui en sortent.

Le mendiant hocha la tête.

– Ce sont de tristes événements, monsieur le curé, qui, comme toujours, retombent sur le pauvre peuple. Quant à ce qu’on en dit, tout le monde est mécontent, tout le monde se plaint, mais qui dit tout le monde ne dit personne.

– Expliquez-vous, mon cher ami, dit le coadjuteur.

– Je dis que tous ces cris, toutes ces plaintes, toutes ces malédictions ne produiront qu’une tempête et des éclairs, voilà tout; mais que le tonnerre ne tombera que lorsqu’il y aura un chef pour le diriger.

– Mon ami, dit Gondy, vous me paraissez un habile homme; seriez-vous disposé à vous mêler d’une petite guerre civile dans le cas où nous en aurions une, et à mettre à la disposition de ce chef, si nous en trouvions un, votre pouvoir personnel et l’influence que vous avez acquise sur vos camarades?

– Oui, monsieur, pourvu que cette guerre fût approuvée par l’Église, et par conséquent pût me conduire au but que je veux atteindre, c’est-à-dire à la rémission de mes péchés.

– Cette guerre sera non seulement approuvée, mais encore dirigée par elle. Quant à la rémission de vos péchés, nous avons M. l’archevêque de Paris qui tient de grands pouvoirs de la cour de Rome, et même M. le coadjuteur qui possède des indulgences plénières; nous vous recommanderions à lui.

– Songez, Maillard, dit le curé, que c’est moi qui vous ai recommandé à monsieur qui est un seigneur tout-puissant, et qui en quelque sorte ai répondu de vous.

– Je sais, monsieur le curé, dit le mendiant, que vous avez toujours été excellent pour moi; aussi, de mon côté, suis-je tout disposé à vous être agréable.

– Et croyez-vous votre pouvoir aussi grand sur vos confrères que me le disait tout à l’heure M. le curé?

– Je crois qu’ils ont pour moi une certaine estime, dit le mendiant avec orgueil, et que non seulement ils feront tout ce que je leur ordonnerai, mais encore que partout où j’irai ils me suivront.

– Et pouvez-vous me répondre de cinquante hommes bien résolus, de bonnes âmes oisives et bien animées, de braillards capables de faire tomber les murs du Palais-Royal en criant: «À bas le Mazarin!» comme tombaient autrefois ceux de Jéricho?

– Je crois, dit le mendiant, que je puis être chargé de choses plus difficiles et plus importantes que cela.

– Ah! ah! dit Gondy, vous chargeriez-vous donc dans une nuit de faire une dizaine de barricades?

– Je me chargerais d’en faire cinquante, et, le jour venu, de les défendre.

– Pardieu, dit de Gondy, vous parlez avec une assurance qui me fait plaisir, et puisque M. le curé me répond de vous…

– J’en réponds, dit le curé.

– Voici un sac contenant cinq cents pistoles en or, faites toutes vos dispositions, et dites-moi où je puis vous retrouver ce soir à dix heures.

– Il faudrait que ce fût dans un endroit élevé, et d’où un signal fait pût être vu dans tous les quartiers de Paris.

– Voulez-vous que je vous donne un mot pour le vicaire de Saint-Jacques-la-Boucherie? Il vous introduira dans une des chambres de la tour, dit le curé.

– À merveille, dit le mendiant.

– Donc, dit le coadjuteur, ce soir, à dix heures; et si je suis content de vous, il y aura à votre disposition un autre sac de cinq cents pistoles.

Les yeux du mendiant brillèrent d’avidité, mais il réprima cette émotion.

– À ce soir, monsieur, répondit-il, tout sera prêt.

Et il reporta sa chaise dans l’église, rangea près de sa chaise son seau et son goupillon, alla prendre de l’eau bénite au bénitier, comme s’il n’avait pas confiance dans la sienne, et sortit de l’église.

XLIX. La tour de Saint-Jacques-la-Boucherie

À six heures moins un quart, M. de Gondy avait fait toutes ses courses et était rentré à l’archevêché.

À six heures on annonça le curé de Saint-Merri.

Le coadjuteur jeta vivement les yeux derrière lui et vit qu’il était suivi d’un autre homme.

– Faites entrer, dit-il.

Le curé entra, et Planchet avec lui.

– Monseigneur, dit le curé de Saint-Merri, voici la personne dont j’ai eu l’honneur de vous parler.

Planchet salua de l’air d’un homme qui a fréquenté les bonnes maisons.

– Et vous êtes disposé à servir la cause du peuple? demanda Gondy.

– Je crois bien, dit Planchet: je suis frondeur dans l’âme. Tel que vous me voyez, Monseigneur, je suis condamné à être pendu.

– Et à quelle occasion?

– J’ai tiré des mains des sergents de Mazarin un noble seigneur qu’ils reconduisaient à la Bastille, où il était depuis cinq ans.

– Vous le nommez?

– Oh! Monseigneur le connaît bien: c’est le comte de Rochefort.

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