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– Ah! vraiment oui! dit le coadjuteur, j’ai entendu parler de cette affaire: vous aviez soulevé tout le quartier, m’a-t-on dit?

– À peu près, dit Planchet d’un air satisfait de lui-même.

– Et vous êtes de votre état?…

– Confiseur, rue des Lombards.

– Expliquez-moi comment il se fait qu’exerçant un état si pacifique vous ayez des inclinations si belliqueuses?

– Comment Monseigneur, étant d’Église, me reçoit-il maintenant en habit de cavalier, avec l’épée au côté et les éperons aux bottes?

– Pas mal répondu, ma foi! dit Gondy en riant; mais, vous le savez, j’ai toujours eu, malgré mon rabat, des inclinations guerrières.

– Eh bien, Monseigneur, moi, avant d’être confiseur, j’ai été trois ans sergent au régiment de Piémont, et avant d’être trois ans au régiment de Piémont, j’ai été dix-huit mois laquais de M. d’Artagnan.

– Le lieutenant aux mousquetaires? demanda Gondy.

– Lui-même, Monseigneur.

– Mais on le dit mazarin enragé?

– Heu… fit Planchet.

– Que voulez-vous dire?

– Rien, Monseigneur. M. d’Artagnan est au service; M. d’Artagnan fait son état de défendre Mazarin, qui le paye, comme nous faisons, nous autres bourgeois, notre état d’attaquer le Mazarin, qui nous vole.

– Vous êtes un garçon intelligent, mon ami, peut-on compter sur vous?

– Je croyais, dit Planchet, que M. le curé vous avait répondu pour moi.

– En effet; mais j’aime à recevoir cette assurance de votre bouche.

– Vous pouvez compter sur moi, Monseigneur, pourvu qu’il s’agisse de faire un bouleversement par la ville.

– Il s’agit justement de cela. Combien d’hommes croyez-vous pouvoir rassembler dans la nuit?

– Deux cents mousquets et cinq cents hallebardes.

– Qu’il y ait seulement un homme par chaque quartier qui en fasse autant, et demain nous aurons une assez forte armée.

– Mais oui.

– Seriez-vous disposé à obéir au comte de Rochefort?

– Je le suivrais en enfer; et ce n’est pas peu dire, car je le crois capable d’y descendre.

– Bravo!

– À quel signe pourra-t-on distinguer demain les amis des ennemis?

– Tout frondeur peut mettre un nœud de paille à son chapeau.

– Bien. Donnez la consigne.

– Avez-vous besoin d’argent?

– L’argent ne fait jamais de mal en aucune chose, Monseigneur. Si on n’en a pas, on s’en passera; si on en a, les choses n’iront que plus vite et mieux.

Gondy alla à un coffre et tira un sac.

– Voici cinq cents pistoles, dit-il; et si l’action va bien, comptez demain sur pareille somme.

– Je rendrai fidèlement compte à Monseigneur de cette somme, dit Planchet en mettant le sac sous son bras.

– C’est bien, je vous recommande le cardinal.

– Soyez tranquille, il est en bonnes mains.

Planchet sortit, le curé resta un peu en arrière.

– Êtes-vous content, Monseigneur? dit-il.

– Oui, cet homme m’a l’air d’un gaillard résolu.

– Eh bien, il fera plus qu’il n’a promis.

– C’est merveilleux alors.

Et le curé rejoignit Planchet, qui l’attendait sur l’escalier. Dix minutes après on annonçait le curé de Saint-Sulpice.

Dès que la porte du cabinet de Gondy fut ouverte, un homme s’y précipita, c’était le comte de Rochefort.

– C’est donc vous, mon cher comte! dit de Gondy en lui tendant la main.

– Vous êtes donc enfin décidé, Monseigneur? dit Rochefort.

– Je l’ai toujours été, dit Gondy.

– Ne parlons plus de cela, vous le dites, je vous crois; nous allons donner le bal au Mazarin.

– Mais… je l’espère.

– Et quand commencera la danse?

– Les invitations se font pour cette nuit, dit le coadjuteur, mais les violons ne commenceront à jouer que demain matin.

– Vous pouvez compter sur moi et sur cinquante soldats que m’a promis le chevalier d’Humières, dans l’occasion où j’en aurais besoin.

– Sur cinquante soldats?

– Oui; il fait des recrues et me les prête; la fête finie, s’il en manque, je les remplacerai.

– Bien, mon cher Rochefort; mais ce n’est pas tout.

– Qu’y a-t-il encore? demanda Rochefort en souriant.

– M. de Beaufort, qu’en avez-vous fait?

– Il est dans le Vendômois, où il attend que je lui écrive de revenir à Paris.

– Écrivez-lui, il est temps.

– Vous êtes donc sûr de votre affaire?

– Oui, mais il faut qu’il se presse; car à peine le peuple de Paris va-t-il être révolté, que nous aurons dix princes pour un qui voudront se mettre à sa tête: s’il tarde, il trouvera la place prise.

– Puis-je lui donner avis de votre part?

– Oui, parfaitement.

– Puis-je lui dire qu’il doit compter sur vous?

– À merveille.

– Et vous lui laisserez tout pouvoir?

– Pour la guerre, oui; quant à la politique…

– Vous savez que ce n’est pas son fort.

– Il me laissera négocier à ma guise mon chapeau de cardinal.

– Vous y tenez?

– Puisqu’on me force de porter un chapeau d’une forme qui ne me convient pas, dit Gondy, je désire au moins que ce chapeau soit rouge.

– Il ne faut pas disputer des goûts et des couleurs, dit Rochefort en riant; je réponds de son consentement.

– Et vous lui écrivez ce soir?

– Je fais mieux que cela, je lui envoie un messager.

– Dans combien de jours peut-il être ici?

– Dans cinq jours.

– Qu’il vienne, et il trouvera un changement.

– Je le désire.

– Je vous en réponds.

– Ainsi?

– Allez rassembler vos cinquante hommes et tenez-vous prêt.

– À quoi?

– À tout.

– Y a-t-il un signe de ralliement?

– Un nœud de paille au chapeau.

– C’est bien. Adieu, Monseigneur.

– Adieu, mon cher Rochefort.

– Ah! mons Mazarin, mons Mazarin! dit Rochefort en entraînant son curé, qui n’avait pas trouvé moyen de placer un mot dans ce dialogue, vous verrez si je suis trop vieux pour être un homme d’action!

Il était neuf heures et demie, il fallait bien une demi-heure au coadjuteur pour se rendre de l’archevêché à la tour de Saint-Jacques-la-Boucherie.

Le coadjuteur remarqua qu’une lumière veillait à l’une des fenêtres les plus élevées de la tour.

– Bon, dit-il, notre syndic est à son poste.

Il frappa, on vint lui ouvrir. Le vicaire lui-même l’attendait et le conduisit en l’éclairant jusqu’au haut de la tour; arrivé là, il lui montra une petite porte, posa la lumière dans un angle de la muraille pour que le coadjuteur pût la trouver en sortant, et descendit.

Quoique la clef fût à la porte, le coadjuteur frappa.

– Entrez, dit une voix que le coadjuteur reconnut pour celle du mendiant.

De Gondy entra. C’était effectivement le donneur d’eau bénite du parvis Saint-Eustache. Il attendait couché sur une espèce de grabat.

En voyant entrer le coadjuteur il se leva.

Dix heures sonnèrent.

– Eh bien! dit Gondy, m’as-tu tenu parole?

– Pas tout à fait, dit le mendiant.

– Comment cela?

– Vous m’avez demandé cinq cents hommes, n’est-ce pas?

– Oui, eh bien?

– Eh bien! je vous en aurai deux mille.

– Tu ne te vantes pas?

– Voulez-vous une preuve?

– Oui.

Trois chandelles étaient allumées, chacune d’elles brûlant devant une fenêtre dont l’une donnait sur la Cité, l’autre sur le Palais-Royal, l’autre sur la rue Saint-Denis.

L’homme alla silencieusement à chacune des trois chandelles et les souffla l’une après l’autre.

Le coadjuteur se trouva dans l’obscurité, la chambre n’était plus éclairée que par le rayon incertain de la lune perdue dans les gros nuages noirs dont elle frangeait d’argent les extrémités.

– Qu’as-tu fait? dit le coadjuteur.

– J’ai donné le signal.

– Lequel?

– Celui des barricades.

– Ah! ah!

– Quand vous sortirez d’ici vous verrez mes hommes à l’œuvre. Prenez seulement garde de vous casser les jambes en vous heurtant à quelque chaîne ou en vous laissant tomber dans quelque trou.

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