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– Raison de plus alors pour qu’il protège un roi que les parlements poursuivent.

La reine hocha la tête avec amertume.

– Si j’en juge par moi-même, milord, dit-elle, le cardinal ne fera rien, ou peut-être même sera contre nous. Ma présence et celle de ma fille en France lui pèsent déjà: à plus forte raison, celle du roi. Milord, ajouta Henriette en souriant avec mélancolie, c’est triste et presque honteux à dire, mais nous avons passé l’hiver au Louvre sans argent, sans linge, presque sans pain, et souvent ne nous levant pas faute de feu.

– Horreur! s’écria de Winter. La fille de Henri IV, la femme du roi Charles! Que ne vous adressiez-vous donc, Madame, au premier venu de nous?

– Voilà l’hospitalité que donne à une reine le ministre auquel un roi veut la demander.

– Mais j’avais entendu parler d’un mariage entre monseigneur le prince de Galles et mademoiselle d’Orléans dit de Winter.

– Oui, j’en ai eu un instant l’espoir. Les enfants s’aimaient; mais la reine, qui avait d’abord donné les mains à cet amour, a changé d’avis; mais M. le duc d’Orléans, qui avait encouragé le commencement de leur familiarité, a défendu à sa fille de songer davantage à cette union. Ah! milord, continua la reine sans songer même à essuyer ses larmes, mieux vaut combattre comme a fait le roi, et mourir comme il va faire peut-être, que de vivre en mendiant comme je le fais.

– Du courage, Madame, dit de Winter, du courage. Ne désespérez pas. Les intérêts de la couronne de France, si ébranlée en ce moment, sont de combattre la rébellion chez le peuple le plus voisin. Mazarin est homme d’État et il comprendra cette nécessité.

– Mais êtes-vous sûr, dit la reine d’un air de doute, que vous ne soyez pas prévenu?

– Par qui? demanda de Winter.

– Mais par les Joyce, par les Pride, par les Cromwell.

– Par un tailleur! par un charretier par un brasseur! Ah! je l’espère, Madame, le cardinal n’entrerait pas en alliance avec de pareils hommes.

– Eh! qu’est-il lui-même? demanda Madame Henriette.

– Mais, pour l’honneur du roi, pour celui de la reine…

– Allons, espérons qu’il fera quelque chose pour cet honneur, dit Madame Henriette. Un ami possède une si bonne éloquence, milord, que vous me rassurez. Donnez-moi donc la main et allons chez le ministre.

– Madame, dit de Winter en s’inclinant, je suis confus de cet honneur.

– Mais enfin, s’il refusait, dit Madame Henriette s’arrêtant, et que le roi perdît la bataille?

– Sa Majesté alors se réfugierait en Hollande, où j’ai entendu dire qu’était monseigneur le prince de Galles.

– Et Sa Majesté pourrait-elle compter pour sa fuite sur beaucoup de serviteurs comme vous?

– Hélas! non, madame, dit de Winter; mais le cas est prévu, et je viens chercher des alliés en France.

– Des alliés! dit la reine en secouant la tête.

– Madame, répondit de Winter, que je retrouve d’anciens amis que j’ai eus autrefois, et je réponds de tout.

– Allons donc, milord, dit la reine avec ce doute poignant des gens qui ont été longtemps malheureux, allons donc, et que Dieu vous entende!

La reine monta dans sa voiture, et de Winter, à cheval, suivi de deux laquais, l’accompagna à la portière.

XL. La lettre de Cromwell

Au moment où Madame Henriette quittait les Carmélites pour se rendre au Palais-Royal, un cavalier descendait de cheval à la porte de cette demeure royale, et annonçait aux gardes qu’il avait quelque chose de conséquence à dire au cardinal Mazarin.

Bien que le cardinal eût souvent peur, comme il avait encore plus souvent besoin d’avis et de renseignements, il était assez accessible. Ce n’était point à la première porte qu’on trouvait la difficulté véritable, la seconde même se franchissait assez facilement, mais à la troisième veillait, outre le garde et les huissiers, le fidèle Bernouin, cerbère qu’aucune parole ne pouvait fléchir, qu’aucun rameau, fût-il d’or, ne pouvait charmer.

C’était donc à la troisième porte que celui qui sollicitait ou réclamait une audience devait subir un interrogatoire formel.

Le cavalier, ayant laissé son cheval attaché aux grilles de la cour, monta le grand escalier, et s’adressant aux gardes dans la première salle:

– M. le cardinal Mazarin? dit-il.

– Passez, répondirent les gardes sans lever le nez, les uns de dessus leurs cartes et les autres de dessus leurs dés, enchantés d’ailleurs de faire comprendre que ce n’était pas à eux de remplir l’office de laquais.

Le cavalier entra dans la seconde salle. Celle-ci était gardée par les mousquetaires et les huissiers.

Le cavalier répéta sa demande.

– Avez-vous une lettre d’audience? demanda un huissier s’avançant au-devant du solliciteur.

– J’en ai une, mais pas du cardinal Mazarin.

– Entrez et demandez M. Bernouin, dit l’huissier. Et il ouvrit la porte de la troisième chambre. Soit par hasard, soit qu’il se tînt à son poste habituel, Bernouin était debout derrière cette porte et avait tout entendu.

– C’est moi, monsieur, que vous cherchez, dit-il. De qui est la lettre que vous apportez à Son Éminence?

– Du général Olivier Cromwell, dit le nouveau venu; veuillez dire ce nom à Son Éminence, et venir rapporter s’il peut me recevoir oui ou non.

Et il se tint debout dans l’attitude sombre et fière qui était particulière aux puritains.

Bernouin, après avoir promené sur toute la personne du jeune homme un regard inquisiteur, rentra dans le cabinet du cardinal, auquel il transmet les paroles du messager.

– Un homme porteur d’une lettre d’Olivier Cromwell? dit Mazarin; et quelle espèce d’homme?

– Un vrai Anglais, monseigneur; cheveux blond roux, plutôt roux que blonds; œil gris bleu, plutôt gris que bleu; pour le reste, orgueil et raideur.

– Qu’il donne sa lettre.

– Monseigneur demande la lettre, dit Bernouin en repassant du cabinet dans l’antichambre.

– Monseigneur ne verra pas la lettre sans le porteur, répondit le jeune homme; mais pour vous convaincre que je suis réellement porteur d’une lettre, regardez, la voici.

Bernouin regarda le cachet; et, voyant que la lettre venait véritablement du général Olivier Cromwell, il s’apprêta à retourner près de Mazarin.

– Ajoutez, dit le jeune homme, que je suis non pas un simple messager, mais un envoyé extraordinaire.

Bernouin rentrant dans le cabinet, et sortant après quelques secondes:

– Entrez, monsieur, dit-il en tenant la porte ouverte.

Mazarin avait eu besoin de toutes ces allées et venues pour se remettre de l’émotion que lui avait causée l’annonce de cette lettre, mais quelque perspicace que fût son esprit, il cherchait en vain quel motif avait pu porter Cromwell à entrer avec lui en communication.

Le jeune homme parut sur le seuil de son cabinet; il tenait son chapeau d’une main et la lettre de l’autre.

Mazarin se leva.

– Vous avez, monsieur, dit-il, une lettre de créance pour moi?

– La voici, Monseigneur, dit le jeune homme.

Mazarin prit la lettre, la décacheta et lut:

«M. Mordaunt, un de mes secrétaires, remettra cette lettre d’introduction à Son Éminence le cardinal Mazarini, à Paris; il est porteur, en outre, pour Son Éminence, d’une seconde lettre confidentielle.

«OLIVIER CROMWELL.»

– Fort bien, monsieur Mordaunt, dit Mazarin, donnez-moi cette seconde lettre et asseyez-vous.

Le jeune homme tira de sa poche une seconde lettre, la donna au cardinal et s’assit.

Cependant, tout à ses réflexions, le cardinal avait pris la lettre, et, sans la décacheter, la tournait et la retournait dans sa main; mais pour donner le change au messager, il se mit à l’interroger selon son habitude, et convaincu qu’il était, par l’expérience, que peu d’hommes parvenaient à lui cacher quelque chose lorsqu’il interrogeait et regardait à la fois:

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