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– Si vous préférez un autre endroit, messieurs, dit Athos de sa voix noble et persuasive, choisissez vous-mêmes.

– Cette place, si M. d’Herblay peut s’en procurer la clef, sera, je le crois, le meilleur terrain possible.

Aramis s’écarta aussitôt, en prévenant Athos de ne pas rester seul ainsi à portée de d’Artagnan et de Porthos; mais celui auquel il donnait ce conseil ne fit que sourire dédaigneusement, et fit un pas vers ses anciens amis qui demeurèrent tous deux à leur place.

Aramis avait effectivement été frapper à l’hôtel de Rohan, il parut bientôt avec un homme qui disait:

– Vous me le jurez, monsieur?

– Tenez, dit Aramis en lui donnant un louis.

– Ah! vous ne voulez pas jurer, mon gentilhomme! disait le concierge en secouant la tête.

– Eh! peut-on jurer de rien, dit Aramis. Je vous affirme seulement qu’à cette heure ces messieurs sont nos amis.

– Oui, certes, dirent froidement Athos, d’Artagnan et Porthos.

D’Artagnan avait entendu le colloque et avait compris.

– Vous voyez? dit-il à Porthos.

– Qu’est-ce que je vois?

– Qu’il n’a pas voulu jurer.

– Jurer, quoi?

– Cet homme voulait qu’Aramis lui jurât que nous n’allions pas sur la place Royale pour nous battre.

– Et Aramis n’a pas voulu jurer?

– Non.

– Attention, alors.

Athos ne perdait pas de vue les deux discoureurs. Aramis ouvrit la porte et s’effaça pour que d’Artagnan et Porthos pussent entrer. En entrant, d’Artagnan engagea la poignée de son épée dans la grille et fut forcé d’écarter son manteau. En écartant son manteau il découvrit la crosse luisante de ses pistolets, sur lesquels se refléta un rayon de la lune.

– Voyez-vous, dit Aramis en touchant l’épaule d’Athos d’une main et en lui montrant de l’autre l’arsenal que d’Artagnan portait à sa ceinture.

– Hélas! oui, dit Athos avec un profond soupir.

Et il entra le troisième. Aramis entra le dernier et ferma la grille derrière lui. Les deux valets restèrent dehors; mais comme si eux aussi se méfiaient l’un de l’autre, ils restèrent à distance.

XXXI. La place Royale

On marcha silencieusement jusqu’au centre de la place; mais comme en ce moment la lune venait de sortir d’un nuage, on réfléchit qu’à cette place découverte on serait facilement vu, et l’on gagna les tilleuls, où l’ombre était plus épaisse.

Des bancs étaient disposés de place en place; les quatre promeneurs s’arrêtèrent devant l’un d’eux. Athos fit un signe, d’Artagnan et Porthos s’assirent. Athos et Aramis restèrent debout devant eux.

Au bout d’un moment de silence dans lequel chacun sentait l’embarras qu’il y avait à commencer l’explication:

– Messieurs, dit Athos, une preuve de la puissance de notre ancienne amitié, c’est notre présence à ce rendez-vous; pas un n’a manqué, pas un n’avait donc de reproches à se faire.

– Écoutez, monsieur le comte, dit d’Artagnan, au lieu de nous faire des compliments que nous ne méritons peut-être ni les uns ni les autres, expliquons-nous en gens de cœur.

– Je ne demande pas mieux, répondit Athos. Je suis franc; parlez avec toute franchise: avez-vous quelque chose à me reprocher, à moi ou à M. l’abbé d’Herblay?

– Oui, dit d’Artagnan; lorsque j’eus l’honneur de vous voir au château de Bragelonne, je vous portais des propositions que vous avez comprises; au lieu de me répondre comme à un ami, vous m’avez joué comme un enfant, et cette amitié que vous vantez ne s’est pas rompue hier par le choc de nos épées, mais par votre dissimulation à votre château.

– D’Artagnan! dit Athos d’un ton de doux reproche.

– Vous m’avez demandé de la franchise, dit d’Artagnan, en voilà; vous demandez ce que je pense, je vous le dis. Et maintenant j’en ai autant à votre service, monsieur l’abbé d’Herblay. J’ai agi de même avec vous et vous m’avez abusé aussi.

– En vérité, monsieur, vous êtes étrange, dit Aramis; vous êtes venu me trouver pour me faire des propositions, mais me les avez-vous faites? Non, vous m’avez sondé, voilà tout. Eh bien! que vous ai-je dit? que Mazarin était un cuistre et que je ne servirais pas Mazarin. Mais voilà tout. Vous ai-je dit que je ne servirais pas un autre? Au contraire, je vous ai fait entendre, ce me semble, que j’étais aux princes. Nous avons même, si je ne m’abuse, fort agréablement plaisanté sur le cas très probable où vous recevriez du cardinal mission de m’arrêter. Étiez-vous homme de parti? Oui, sans doute. Eh bien! pourquoi ne serions-nous pas à notre tour gens de parti? Vous aviez votre secret comme nous avions le nôtre; nous ne les avons pas échangés, tant mieux: cela prouve que nous savons garder nos secrets.

– Je ne vous reproche rien, monsieur, dit d’Artagnan, c’est seulement parce que M. le comte de La Fère a parlé d’amitié que j’examine vos procédés.

– Et qu’y trouvez-vous? demanda Aramis avec hauteur.

Le sang monta aussitôt aux tempes de d’Artagnan, qui se leva et répondit:

– Je trouve que ce sont bien ceux d’un élève des jésuites.

En voyant d’Artagnan se lever, Porthos s’était levé aussi. Les quatre hommes se retrouvaient donc debout et menaçants en face les uns des autres.

À la réponse de d’Artagnan, Aramis fit un mouvement comme pour porter la main à son épée.

Athos l’arrêta.

– D’Artagnan, dit-il, vous venez ce soir ici encore tout furieux de notre aventure d’hier. D’Artagnan, je vous croyais assez grand cœur pour qu’une amitié de vingt ans résistât chez vous à une défaite d’amour-propre d’un quart d’heure. Voyons, dites cela à moi. Croyez-vous avoir quelque chose à me reprocher? Si je suis en faute, d’Artagnan, j’avouerai ma faute.

Cette voix grave et harmonieuse d’Athos avait toujours sur d’Artagnan son ancienne influence, tandis que celle d’Aramis, devenue aigre et criarde dans ses moments de mauvaise humeur, l’irritait. Aussi répondit-il à Athos:

– Je crois, monsieur le comte, que vous aviez une confidence à me faire au château de Bragelonne, et que monsieur, continua-t-il en désignant Aramis, en avait une à me faire à son couvent; je ne me fusse point jeté alors dans une aventure où vous deviez me barrer le chemin; cependant, parce que j’ai été discret, il ne faut pas tout à fait me prendre pour un sot. Si j’avais voulu approfondir la différence des gens que M. d’Herblay reçoit par une échelle de corde avec celle des gens qu’il reçoit par une échelle de bois, je l’aurais bien forcé de me parler.

– De quoi vous mêlez-vous? s’écria Aramis, pâle de colère au doute qui lui vint dans le cœur qu’épié par d’Artagnan, il avait été vu avec madame de Longueville.

– Je me mêle de ce qui me regarde, et je sais faire semblant de ne pas avoir vu ce qui ne me regarde pas, mais je hais les hypocrites, et, dans cette catégorie, je range les mousquetaires qui font les abbés et les abbés qui font les mousquetaires, et, ajouta-t-il en se tournant vers Porthos, voici monsieur qui est de mon avis.

Porthos, qui n’avait pas encore parlé, ne répondit que par un mot et un geste.

Il dit «Oui», et mit l’épée à la main.

Aramis fit un bond en arrière et tira la sienne. D’Artagnan se courba, prêt à attaquer ou à se défendre.

Alors Athos étendit la main avec le geste de commandement suprême qui n’appartenait qu’à lui, tira lentement épée et fourreau tout à la fois, brisa le fer dans sa gaine en le frappant sur son genou, et jeta les deux morceaux à sa droite.

Puis se retournant vers Aramis:

– Aramis, dit-il, brisez votre épée.

Aramis hésita.

– Il le faut, dit Athos. Puis d’une voix plus basse et plus douce: Je le veux.

Alors Aramis, plus pâle encore, mais subjugué par ce geste, vaincu par cette voix, rompit dans ses mains la lame flexible, puis se croisa les bras et attendit frémissant de rage.

Ce mouvement fit reculer d’Artagnan et Porthos; d’Artagnan ne tira point son épée, Porthos remit la sienne au fourreau.

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