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D’Artagnan allait assurer Aramis qu’il descendrait fort bien, lorsqu’il lui vint une idée; cette idée fit qu’il se tut.

Bazin poussa un profond soupir et sortit pour aller chercher l’échelle. Un instant après, une bonne et solide échelle de bois était posée contre la fenêtre.

– Allons donc, dit d’Artagnan, voilà ce qui s’appelle un moyen de communication, une femme monterait à une échelle comme celle-là.

Un regard perçant d’Aramis sembla vouloir aller chercher la pensée de son ami jusqu’au fond de son cœur, mais d’Artagnan soutint ce regard avec un air d’admirable naïveté.

D’ailleurs en ce moment il mettait le pied sur le premier échelon de l’échelle et descendait.

En un instant il fut à terre. Quant à Bazin, il demeura à la fenêtre.

– Reste là, dit Aramis, je reviens.

Tous deux s’acheminèrent vers le hangar: à leur approche Planchet sortit, tenant en bride les deux chevaux.

– À la bonne heure, dit Aramis, voilà un serviteur actif et vigilant; ce n’est pas comme ce paresseux de Bazin, qui n’est plus bon à rien depuis qu’il est homme d’Église Suivez-nous, Planchet; nous allons en causant jusqu’au bout du village.

Effectivement, les deux amis traversèrent tout le village en causant de choses indifférentes; puis, aux dernières maisons:

– Allez donc, cher ami, dit Aramis, suivez votre carrière, la fortune vous sourit, ne la laissez pas échapper; souvenez-vous que c’est une courtisane, et traitez-la en conséquence; quant à moi, je reste dans mon humilité et dans ma paresse; adieu.

– Ainsi, c’est bien décidé, dit d’Artagnan, ce que je vous ai offert ne vous agrée point?

– Cela m’agréerait fort, au contraire, dit Aramis, si j’étais un homme comme un autre, mais, je vous le répète, en vérité je suis un composé de contrastes: ce que je hais aujourd’hui, je l’adorerai demain, et vice versa. Vous voyez bien que je ne puis m’engager comme vous, par exemple, qui avez des idées arrêtées.

– Tu mens, sournois, se dit à lui-même d’Artagnan: tu es le seul, au contraire, qui saches choisir un but et qui y marches obscurément.

– Adieu donc, mon cher, continua Aramis, et merci de vos excellentes intentions, et surtout des bons souvenirs que votre présence a éveillés en moi.

Ils s’embrassèrent. Planchet était déjà à cheval. D’Artagnan se mit en selle à son tour, puis ils se serrèrent encore une fois la main. Les cavaliers piquèrent leurs chevaux et s’éloignèrent du côté de Paris.

Aramis resta debout et immobile sur le milieu du pavé jusqu’à ce qu’il les eût perdus de vue.

Mais, au bout de deux cents pas, d’Artagnan s’arrêta court, sauta à terre, jeta la bride de son cheval au bras de Planchet, et prit ses pistolets dans ses fontes, qu’il passa à sa ceinture.

– Qu’avez-vous donc, monsieur? dit Planchet tout effrayé.

– J’ai que, si fin qu’il soit, dit d’Artagnan, il ne sera pas dit que je serai sa dupe. Reste ici et ne bouge pas; seulement mets-toi sur le revers du chemin et attends-moi.

À ces mots, d’Artagnan s’élança de l’autre côté du fossé qui bordait la route, et piqua à travers la plaine de manière à tourner le village. Il avait remarqué entre la maison qu’habitait madame de Longueville et le couvent des jésuites un espace vide qui n’était fermé que par une haie.

Peut-être une heure auparavant eût-il eu de la peine à retrouver cette haie, mais la lune venait de se lever, et quoique de temps en temps elle fût couverte par des nuages, on y voyait, même pendant les obscurcies, assez clair pour retrouver son chemin.

D’Artagnan gagna donc la haie et se cacha derrière. En passant devant la maison où avait eu lieu la scène que nous avons racontée, il avait remarqué que la même fenêtre s’était éclairée de nouveau, et il était convaincu qu’Aramis était pas encore rentré chez lui, et que, lorsqu’il y rentrerait, il n’y rentrerait pas seul.

En effet, au bout d’un instant il entendit des pas qui s’approchaient et comme un bruit de voix qui parlaient à demi bas.

Au commencement de la haie les pas s’arrêtèrent.

D’Artagnan mit un genou en terre, cherchant la plus grande épaisseur de la haie pour s’y cacher.

En ce moment deux hommes apparurent, au grand étonnement de d’Artagnan; mais bientôt son étonnement cessa, car il entendit vibrer une voix douce et harmonieuse: l’un de ces deux hommes était une femme déguisée en cavalier.

– Soyez tranquille, mon cher René, disait la voix douce, la même chose ne se renouvellera plus; j’ai découvert une espèce de souterrain qui passe sous la rue, et nous n’aurons qu’à soulever une des dalles qui sont devant la porte pour vous ouvrir une sortie.

– Oh! dit une autre voix que d’Artagnan reconnut pour celle d’Aramis, je vous jure bien, princesse, que si notre renommée ne dépendait pas de toutes ces précautions, et que je n’y risquasse que ma vie…

– Oui, oui, je sais que vous êtes brave et aventureux autant qu’homme du monde; mais vous n’appartenez pas seulement à moi seule, vous appartenez à tout notre parti. Soyez donc prudent, soyez donc sage.

– J’obéis toujours, madame, dit Aramis, quand on me sait commander avec une voix si douce.

Il lui baisa tendrement la main.

– Ah! s’écria le cavalier à la voix douce.

– Quoi? demanda Aramis.

– Mais ne voyez-vous pas que le vent a enlevé mon chapeau?

Et Aramis s’élança après le feutre fugitif. D’Artagnan profita de la circonstance pour chercher un endroit de la haie moins touffu qui laissât son regard pénétrer librement jusqu’au problématique cavalier. En ce moment, justement, la lune, curieuse peut-être comme l’officier, sortait de derrière un nuage, et, à sa clarté indiscrète, d’Artagnan reconnut les grands yeux bleus, les cheveux d’or et la noble tête de la duchesse de Longueville.

Aramis revint en riant un chapeau sur la tête et un à la main, et tous deux continuèrent leur chemin vers le couvent des jésuites.

– Bon! dit d’Artagnan en se relevant et en brossant son genou, maintenant je te tiens, tu es frondeur et amant de madame de Longueville.

XII. M. Porthos du Vallon de Bracieux de Pierrefonds

Grâce aux informations prises auprès d’Aramis, d’Artagnan, qui savait déjà que Porthos, de son nom de famille, s’appelait du Vallon, avait appris que, de son nom de terre, il s’appelait de Bracieux, et qu’à cause de cette terre de Bracieux il était en procès avec l’évêque de Noyon.

C’était donc dans les environs de Noyon qu’il devait aller chercher cette terre, c’est-à-dire sur la frontière de l’Île-de-France et de la Picardie.

Son itinéraire fut promptement arrêté: il irait jusqu’à Dammartin, où s’embranchent deux routes, l’une qui va à Soissons, l’autre à Compiègne; là il s’informerait de la terre de Bracieux, et selon la réponse il suivrait tout droit ou prendrait à gauche.

Planchet, qui n’était pas encore bien rassuré à l’endroit de son escapade, déclara qu’il suivrait d’Artagnan jusqu’au bout du monde, prit-il tout droit, ou prit-il à gauche. Seulement il supplia son ancien maître de partir le soir, l’obscurité présentant plus de garanties. D’Artagnan lui proposa alors de prévenir sa femme pour la rassurer au moins sur son sort; mais Planchet répondit avec beaucoup de sagacité qu’il était bien certain que sa femme ne mourrait point d’inquiétude de ne pas savoir où il était, tandis que, connaissant l’incontinence de langue dont elle était atteinte, lui, Planchet, mourrait d’inquiétude si elle le savait.

Ces raisons parurent si bonnes à d’Artagnan, qu’il n’insista pas davantage, et que, vers les huit heures du soir, au moment où la brume commençait à s’épaissir dans les rues, il partit de l’hôtel de La Chevrette, et, suivi de Planchet, sortit de la capitale par la porte Saint-Denis.

À minuit, les deux voyageurs étaient à Dammartin.

C’était trop tard pour prendre des renseignements. L’hôte du Cygne de la Croix était couché. D’Artagnan remit donc la chose au lendemain.

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