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– Où cela?

– Je vous le dirai. Maintenant ne nous occupons que d’une chose: c’est de recevoir dignement l’honneur que nous fait M. Groslow. Nous nous arrêtons ce soir à Derby: que Mousqueton prenne les devants, et s’il y a une bouteille de vin dans toute la ville, qu’il l’achète. Il n’y aura pas de mal non plus qu’il préparât un petit souper, auquel vous ne prendrez point part, vous, Athos, parce que vous avez la fièvre, et vous, Aramis, parce que vous êtes chevalier de Malte, et que les propos de soudards comme nous vous déplaisent et vous font rougir. Entendez-vous bien cela?

– Oui, dit Porthos; mais le diable m’emporte si je comprends.

– Porthos, mon ami, vous savez que je descends des prophètes par mon père, et des sibylles par ma mère, que je ne parle que par paraboles et par énigmes; que ceux qui ont des oreilles écoutent, et que ceux qui ont des yeux regardent, je n’en puis pas dire davantage pour le moment.

– Faites, mon ami, dit Athos, je suis sûr que ce que vous faites est bien fait.

– Et vous, Aramis, êtes-vous dans la même opinion?

– Tout à fait, mon cher d’Artagnan.

– À la bonne heure, dit d’Artagnan, voilà de vrais croyants, et il y a plaisir d’essayer des miracles pour eux; ce n’est pas comme cet incrédule de Porthos, qui veut toujours voir et toucher pour croire.

– Le fait est, dit Porthos d’un air fin, que je suis très incrédule.

D’Artagnan lui donna une claque sur l’épaule, et, comme on arrivait à la station du déjeuner, la conversation en resta là.

Vers les cinq heures du soir, comme la chose était convenue, on fit partir Mousqueton en avant. Mousqueton ne parlait pas anglais, mais, depuis qu’il était en Angleterre, il avait remarqué une chose, c’est que Grimaud, par l’habitude du geste, avait parfaitement remplacé la parole. Il s’était donc mis à étudier le geste avec Grimaud, et en quelques leçons, grâce à la supériorité du maître, il était arrivé à une certaine force. Blaisois l’accompagna.

Les quatre amis, en traversant la principale rue de Derby, aperçurent Blaisois debout sur le seuil d’une maison de belle apparence; c’est là que leur logement était préparé.

De toute la journée, ils ne s’étaient pas approchés du roi, de peur de donner des soupçons, et au lieu de dîner à la table du colonel Harrison, comme ils l’avaient fait la veille, ils avaient dîné entre eux.

À l’heure convenue, Groslow vint. D’Artagnan le reçut comme il eût reçu un ami de vingt ans. Porthos le toisa des pieds à la tête et sourit en reconnaissant que malgré le coup remarquable qu’il avait donné au frère de Parry, il n’était pas de sa force. Athos et Aramis firent ce qu’ils purent pour cacher le dégoût que leur inspirait cette nature brutale et grossière.

En somme, Groslow parut content de la réception.

Athos et Aramis se tinrent dans leur rôle. À minuit ils se retirèrent dans leur chambre, dont on laissa, sous prétexte de surveillance, la porte ouverte. En outre, d’Artagnan les y accompagna, laissant Porthos aux prises avec Groslow.

Porthos gagna cinquante pistoles à Groslow, et trouva, lorsqu’il se fut retiré, qu’il était d’une compagnie plus agréable qu’il ne l’avait cru d’abord.

Quant à Groslow, il se promit de réparer le lendemain sur d’Artagnan l’échec qu’il avait éprouvé avec Porthos, et quitta le Gascon en lui rappelant le rendez-vous du soir.

Nous disons du soir, car les joueurs se quittèrent à quatre heures du matin.

La journée se passa comme d’habitude; d’Artagnan allait du capitaine Groslow au colonel Harrison et du colonel Harrison à ses amis. Pour quelqu’un qui ne connaissait pas d’Artagnan, il paraissait être dans son assiette ordinaire; pour ses amis, c’est-à-dire pour Athos et Aramis, sa gaieté était de la fièvre.

– Que peut-il machiner? disait Aramis.

– Attendons, disait Athos.

Porthos ne disait rien, seulement il comptait l’une après l’autre, dans son gousset, avec un air de satisfaction qui se trahissait à l’extérieur, les cinquante pistoles qu’il avait gagnées à Groslow.

En arrivant le soir à Ryston, d’Artagnan rassembla ses amis. Sa figure avait perdu ce caractère de gaieté insoucieuse qu’il avait porté comme un masque toute la journée; Athos serra la main à Aramis.

– Le moment approche, dit-il.

– Oui, dit d’Artagnan qui avait entendu, oui, le moment approche: cette nuit, messieurs, nous sauvons le roi.

Athos tressaillit, ses yeux s’enflammèrent.

– D’Artagnan, dit-il, doutant après avoir espéré, ce n’est point une plaisanterie, n’est-ce pas? elle me ferait trop grand mal!

– Vous êtes étrange, Athos, dit d’Artagnan, de douter ainsi de moi. Où et quand m’avez-vous vu plaisanter avec le cœur d’un ami et la vie d’un roi? Je vous ai dit et je vous répète que cette nuit nous sauvons Charles Ier. Vous vous en êtes rapporté à moi de trouver un moyen, le moyen est trouvé.

Porthos regardait d’Artagnan avec un sentiment d’admiration profonde. Aramis souriait en homme qui espère.

Athos était pâle comme la mort et tremblait de tous ses membres.

– Parlez, dit Athos.

Porthos ouvrit ses gros yeux, Aramis se pendit pour ainsi dire aux lèvres de d’Artagnan.

– Nous sommes invités à passer la nuit chez M. Groslow, vous savez cela?

– Oui, répondit Porthos, il nous a fait promettre de lui donner sa revanche.

– Bien. Mais savez-vous où nous lui donnons sa revanche?

– Non.

– Chez le roi.

– Chez le roi! s’écria Athos.

– Oui, messieurs, chez le roi. M. Groslow est de garde ce soir près de Sa Majesté, et, pour se distraire dans sa faction, il nous invite à aller lui tenir compagnie.

– Tous quatre? demanda Athos.

– Pardieu! certainement, tous quatre; est-ce que nous quittons nos prisonniers!

– Ah! ah! fit Aramis.

– Voyons, dit Athos palpitant.

– Nous allons donc chez Groslow, nous avec nos épées, vous avec des poignards; à nous quatre nous nous rendons maîtres de ces huit imbéciles et de leur stupide commandant. Monsieur Porthos, qu’en dites-vous?

– Je dis que c’est facile, dit Porthos.

– Nous habillons le roi en Groslow; Mousqueton, Grimaud et Blaisois nous tiennent des chevaux tout sellés au détour de la première rue, nous sautons dessus, et avant le jour nous sommes à vingt lieues d’ici! est-ce tramé cela, Athos?

Athos posa ses deux mains sur les épaules de d’Artagnan et le regarda avec son calme et doux sourire.

– Je déclare, ami, dit-il, qu’il n’y a pas de créature sous le ciel qui vous égale en noblesse et en courage; pendant que nous vous croyions indifférent à nos douleurs que vous pouviez sans crime ne point partager, vous seul d’entre nous trouvez ce que nous cherchions vainement. Je te le répète donc, d’Artagnan, tu es le meilleur de nous, et je te bénis et je t’aime, mon cher fils.

– Dire que je n’ai point trouvé cela, dit Porthos en se frappant sur le front, c’est si simple!

– Mais, dit Aramis, si j’ai bien compris, nous tuerons tout, n’est-ce pas?

Athos frissonna et devint fort pâle.

– Mordioux! dit d’Artagnan, il le faudra bien. J’ai cherché longtemps s’il n’y avait pas moyen d’éluder la chose, mais j’avoue que je n’en ai pas pu trouver.

– Voyons, dit Aramis, il ne s’agit pas ici de marchander avec la situation; comment procédons-nous?

– J’ai fait un double plan, répondit d’Artagnan.

– Voyons le premier, dit Aramis.

– Si nous sommes tous les quatre réunis, à mon signal, et ce signal sera le mot enfin, vous plongez chacun un poignard dans le cœur du soldat qui est le plus proche de vous, nous en faisons autant de notre côté; voilà d’abord quatre hommes morts; la partie devient donc égale, puisque nous nous trouvons quatre contre cinq; ces cinq-là se rendent, et on les bâillonne, ou ils se défendent et on les tue; si par hasard notre amphitryon change d’avis et ne reçoit à sa partie que Porthos et moi, dame! il faudra prendre les grands moyens en frappant double; ce sera un peu plus long et un peu bruyant, mais vous vous tiendrez dehors avec des épées et vous accourrez au bruit.

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