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Vers onze heures du matin le roi parut sur le seuil de la salle. Il entra environné de gardes, mais couvert et l’air calme, et promena de tous côtés un regard plein d’assurance, comme s’il venait présider une assemblée de sujets soumis, et non répondre aux accusations d’une cour rebelle.

Les juges, fiers d’avoir un roi à humilier, se préparaient visiblement à user de ce droit qu’ils s’étaient arrogé. En conséquence, un huissier vint dire à Charles Ier que l’usage était que l’accusé se découvrît devant lui.

Charles, sans répondre un seul mot, enfonça son feutre sur sa tête, qu’il tourna d’un autre côté; puis, lorsque l’huissier se fut éloigné, il s’assit sur le fauteuil préparé en face du président, fouettant sa botte avec un petit jonc qu’il portait à la main.

Parry, qui l’accompagnait, se tint debout derrière lui.

D’Artagnan, au lieu de regarder tout ce cérémonial, regardait Athos, dont le visage reflétait toutes les émotions que le roi, à force de puissance sur lui-même, parvenait à chasser du sien. Cette agitation d’Athos, l’homme froid et calme, l’effraya.

– J’espère bien, lui dit-il en se penchant à son oreille, que vous allez prendre exemple de Sa Majesté et ne pas vous faire sottement tuer dans cette cage?

– Soyez tranquille, dit Athos.

– Ah! ah! continua d’Artagnan, il paraît que l’on craint quelque chose, car voici les postes qui se doublent; nous n’avions que des pertuisanes, voici des mousquets. Il y en a maintenant pour tout le monde: les pertuisanes regardent les auditeurs du parquet, les mousquets sont à notre intention.

– Trente, quarante, cinquante, soixante-dix hommes, dit Porthos en comptant les nouveaux venus.

– Eh! dit Aramis, vous oubliez l’officier, Porthos, il vaut cependant, ce me semble, bien la peine d’être compté.

– Oui-da! dit d’Artagnan.

Et il devint pâle de colère, car il avait reconnu Mordaunt qui, l’épée nue, conduisait les mousquetaires derrière le roi, c’est-à-dire en face des tribunes.

– Nous aurait-il reconnus? continua d’Artagnan; c’est que, dans ce cas, je battrais très promptement en retraite. Je ne me soucie aucunement qu’on m’impose un genre de mort, et désire fort mourir à mon choix. Or, je ne choisis pas d’être fusillé dans une boîte.

– Non, dit Aramis, il ne nous a pas vus. Il ne voit que le roi. Mordieu! avec quels yeux il le regarde, l’insolent! Est-ce qu’il haïrait Sa Majesté autant qu’il nous hait nous-mêmes?

– Pardieu! dit Athos, nous ne lui avons enlevé que sa mère, nous, et le roi l’a dépouillé de son nom et de sa fortune.

– C’est juste, dit Aramis; mais, silence! voici le président qui parle au roi.

En effet, le président Bradshaw interpellait l’auguste accusé.

– Stuart, lui dit-il, écoutez l’appel nominal de vos juges, et adressez au tribunal les observations que vous aurez à faire.

Le roi, comme si ces paroles ne s’adressaient point à lui, tourna la tête d’un autre côté.

Le président attendit, et comme aucune réponse ne vint, il se fit un instant de silence.

Sur cent soixante-trois membres désignés, soixante-treize seulement pouvaient répondre car les autres, effrayés de la complicité d’un pareil acte, s’étaient abstenus.

– Je procède à l’appel, dit Bradshaw sans paraître remarquer l’absence des trois cinquièmes de l’assemblée.

Et il commença à nommer les uns après les autres les membres présents et absents. Les présents répondaient d’une voix forte ou faible, selon qu’ils avaient ou non le courage de leur opinion. Un court silence suivait le nom des absents, répétés deux fois.

Le nom du colonel Fairfax vint à son tour, et fut suivi d’un de ces silences courts mais solennels qui dénonçaient l’absence des membres qui n’avaient pas voulu personnellement prendre part à ce jugement.

– Le colonel Fairfax? répéta Bradshaw.

– Fairfax? répondit une voix moqueuse, qu’à son timbre argentin on reconnut pour une voix de femme, il a trop d’esprit pour être ici.

Un immense éclat de rire accueillit ces paroles prononcées avec cette audace que les femmes puisent dans leur propre faiblesse, faiblesse qui les soustrait à toute vengeance.

– C’est une voix de femme, s’écria Aramis. Ah! par ma foi, je donnerais beaucoup pour qu’elle fût jeune et jolie.

Et il monta sur le gradin pour tâcher de voir dans la tribune d’où la voix était partie.

– Sur mon âme, dit Aramis, elle est charmante! regardez donc, d’Artagnan, tout le monde la regarde, et malgré le regard de Bradshaw, elle n’a point pâli.

– C’est lady Fairfax elle-même, dit d’Artagnan; vous la rappelez-vous, Porthos? nous l’avons vue avec son mari chez le général Cromwell.

Au bout d’un instant le calme troublé par cet étrange épisode se rétablit, et l’appel continua.

– Ces drôles vont lever la séance, quand ils s’apercevront qu’ils ne sont pas en nombre suffisant, dit le comte de La Fère.

– Vous ne les connaissez pas, Athos; remarquez donc le sourire de Mordaunt, voyez comme il regarde le roi. Ce regard est-il celui d’un homme qui craint que sa victime lui échappe? Non, non, c’est le sourire de la haine satisfaite, de la vengeance sûre de s’assouvir. Ah! basilic maudit, ce sera un heureux jour pour moi que celui où je croiserai avec toi autre chose que le regard!

– Le roi est véritablement beau, dit Porthos; et puis voyez, tout prisonnier qu’il est, comme il est vêtu avec soin.

La plume de son chapeau vaut au moins cinquante pistoles, regardez-la donc, Aramis.

L’appel achevé, le président donna ordre de passer à la lecture de l’acte d’accusation.

Athos, pâlit: il était trompé encore une fois dans son attente. Quoique les juges fussent en nombre insuffisant, le procès allait s’instruire, le roi était donc condamné d’avance.

– Je vous l’avais dit, Athos, fit d’Artagnan en haussant les épaules. Mais vous doutez toujours. Maintenant prenez votre courage à deux mains et écoutez, sans vous faire trop de mauvais sang, je vous prie, les petites horreurs que ce monsieur en noir va dire de son roi avec licence et privilège.

En effet, jamais plus brutale accusation, jamais injures plus basses, jamais plus sanglant réquisitoire n’avaient encore flétri la majesté royale. Jusque-là on s’était contenté d’assassiner les rois, mais ce n’était du moins qu’à leurs cadavres qu’on avait prodigué l’insulte.

Charles Ier écoutait le discours de l’accusateur avec une attention toute particulière, laissant passer les injures, retenant les griefs, et, quand la haine débordait par trop, quand l’accusateur se faisait bourreau par avance, il répondait par un sourire de mépris. C’était, après tout, une œuvre capitale et terrible que celle où ce malheureux roi retrouvait toutes ses imprudences changées en guet-apens, ses erreurs transformées en crimes.

D’Artagnan, qui laissait couler ce torrent d’injures avec tout le dédain qu’elles méritaient, arrêta cependant son esprit judicieux sur quelques-unes des inculpations de l’accusateur.

– Le fait est, dit-il, que si l’on punit pour imprudence et légèreté, ce pauvre roi mérite punition; mais il me semble que celle qu’il subit en ce moment est assez cruelle.

– En tout cas, répondit Aramis, la punition ne saurait atteindre le roi, mais ses ministres, puisque la première loi de la constitution est: Le roi ne peut faillir.

Pour moi, pensait Porthos en regardant Mordaunt et ne s’occupant que de lui, si ce n’était troubler la majesté de la situation, je sauterais de la tribune en bas, je tomberais en trois bonds sur M. Mordaunt, que j’étranglerais; je le prendrais par les pieds et j’en assommerais tous ces mauvais mousquetaires qui parodient les mousquetaires de France. Pendant ce temps-là, d’Artagnan, qui est plein d’esprit et d’à-propos, trouverait peut-être un moyen de sauver le roi. Il faudra que je lui en parle.

Quant à Athos, le feu au visage, les poings crispés, les lèvres ensanglantées par ses propres morsures, il écumait sur son banc, furieux de cette éternelle insulte parlementaire et de cette longue patience royale, et ce bras inflexible, ce cœur inébranlable s’étaient changés en une main tremblante et un corps frissonnant.

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