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Un regard menaçant et pareil à un éclair répondit à Raoul.

– Eh bien! monsieur, dit de Guiche, répondez-vous?

– Je suis prêtre, messieurs, dit le jeune homme.

Et sa figure reprit son impassibilité ordinaire.

– Alors, mon père, dit Raoul laissant retomber ses pistolets dans ses fontes et imposant à ses paroles un accent respectueux qui ne sortait pas de son cœur, alors, si vous êtes prêtre, vous allez trouver, comme vous l’a dit mon ami, une occasion d’exercer votre état: un malheureux blessé vient à notre rencontre et doit s’arrêter au prochain hôtel; il demande l’assistance d’un ministre de Dieu; nos gens l’accompagnent.

– J’y vais, dit le moine.

Et il donna du talon à sa mule.

– Si vous n’y allez pas, monsieur, dit de Guiche, croyez que nous avons des chevaux capables de rattraper votre mule, un crédit capable de vous faire saisir partout où vous serez; et alors, je vous le jure, votre procès sera bientôt fait: on trouve partout un arbre et une corde.

L’œil du moine étincela de nouveau, mais ce fut tout; il répéta sa phrase: «J’y vais», et il partit.

– Suivons-le, dit de Guiche, ce sera plus sûr.

– J’allais vous le proposer, dit de Bragelonne.

Et les deux jeunes gens se remirent en route, réglant leur pas sur celui du moine, qu’ils suivaient ainsi à une portée de pistolet.

Au bout de cinq minutes, le moine se retourna pour s’assurer s’il était suivi ou non.

– Voyez-vous, dit Raoul, que nous avons bien fait!

– L’horrible figure que celle de ce moine! dit le comte de Guiche.

– Horrible, répondit Raoul, et d’expression surtout; ces cheveux jaunes, ces yeux ternes, ces lèvres qui disparaissent au moindre mot qu’il prononce…

– Oui, oui, dit de Guiche, qui avait été moins frappé que Raoul de tous ces détails, attendu que Raoul examinait tandis que de Guiche parlait; oui, figure étrange; mais ces moines sont assujettis à des pratiques si dégradantes: les jeûnes les font pâlir, les coups de discipline les font hypocrites, et c’est à force de pleurer les biens de la vie, qu’ils ont perdus et dont nous jouissons, que leurs yeux deviennent ternes.

– Enfin, dit Raoul, ce pauvre homme va avoir son prêtre; mais, de par Dieu! le pénitent a la mine de posséder une conscience meilleure que celle du confesseur. Quant à moi, je l’avoue, je suis accoutumé à voir des prêtres d’un tout autre aspect.

– Ah! dit de Guiche, comprenez-vous? Celui-ci est un de ces frères errants qui s’en vont mendiant sur les grandes routes jusqu’au jour où un bénéfice leur tombe du ciel; ce sont des étrangers pour la plupart: Écossais, Irlandais, Danois. On m’en a quelquefois montré de pareils.

– Aussi laids?

– Non, mais raisonnablement hideux, cependant.

– Quel malheur pour ce pauvre blessé de mourir entre les mains d’un pareil frocard!

– Bah! dit de Guiche, l’absolution vient, non de celui qui la donne, mais de Dieu. Cependant, voulez-vous que je vous dise, eh bien! j’aimerais mieux mourir impénitent que d’avoir affaire à un pareil confesseur. Vous êtes de mon avis, n’est-ce pas, vicomte? et je vous voyais caresser le pommeau de votre pistolet comme si vous aviez quelque intention de lui casser la tête.

– Oui, comte, c’est une chose étrange, et qui va vous surprendre, j’ai éprouvé à l’aspect de cet homme une horreur indéfinissable. Avez-vous quelquefois fait lever un serpent sur votre chemin?

– Jamais, dit de Guiche.

– Eh bien! à moi cela m’est arrivé dans nos forêts du Blaisois, et je me rappelle qu’à la vue du premier qui me regarda de ses yeux ternes, replié sur lui-même, branlant la tête et agitant la langue, je demeurai fixe, pâle et comme fasciné jusqu’au moment où le comte de La Fère…

– Votre père? demanda de Guiche.

– Non, mon tuteur, répondit Raoul en rougissant.

– Fort bien.

– Jusqu’au moment, reprit Raoul, où le comte de La Fère me dit: Allons, Bragelonne, dégainez. Alors seulement je courus au reptile et le tranchai en deux, au moment où il se dressait sur sa queue en sifflant pour venir lui-même au-devant de moi. Eh bien! je vous jure que j’ai ressenti exactement la même sensation à la vue de cet homme lorsqu’il a dit: «Pourquoi me demandez-vous cela?» et qu’il m’a regardé.

– Alors, vous vous reprochez de ne l’avoir pas coupé en deux comme votre serpent?

– Ma foi, oui, presque, dit Raoul.

En ce moment, on arrivait en vue de la petite auberge, et l’on apercevait de l’autre côté le cortège du blessé qui s’avançait guidé par M. d’Arminges. Deux hommes portaient le moribond, le troisième tenait les chevaux en main.

Les jeunes gens donnèrent de l’éperon.

– Voici le blessé, dit de Guiche en passant près du frère augustin; ayez la bonté de vous presser un peu, sire moine.

Quant à Raoul, il s’éloigna du frère de toute la largeur de la route, et passa en détournant la tête avec dégoût.

C’étaient alors les jeunes gens qui précédaient le confesseur au lieu de le suivre. Ils allèrent au-devant du blessé et lui annoncèrent cette bonne nouvelle. Celui-ci se souleva pour regarder dans la direction indiquée, vit le moine qui s’approchait en hâtant le pas de sa mule, et retomba sur sa litière le visage éclairé d’un rayon de joie.

– Maintenant, dirent les jeunes gens, nous avons fait pour vous tout ce que nous avons pu faire, et comme nous sommes pressés de rejoindre l’armée de M. le Prince, nous allons continuer notre route; vous nous excusez, n’est-ce pas, monsieur? Mais on dit qu’il va y avoir une bataille, et nous ne voudrions pas arriver le lendemain.

– Allez, mes jeunes seigneurs, dit le blessé, et soyez bénis tous deux pour votre piété. Vous avez en effet, et comme vous l’avez dit, fait pour moi tout ce que vous pouviez faire; moi, je ne puis que vous dire encore une fois: Dieu vous garde, vous et ceux qui vous sont chers!

– Monsieur, dit de Guiche à son gouverneur, nous allons devant, vous nous rejoindrez sur la route de Cambrin.

L’hôte était sur sa porte et avait tout préparé, lit, bandes et charpie, et un palefrenier était allé chercher un médecin à Lens, qui était la ville la plus proche.

– Bien, dit l’aubergiste, il sera fait comme vous le désirez; mais ne vous arrêtez-vous pas, monsieur, pour panser votre blessure? continua-t-il en s’adressant à Bragelonne.

– Oh! ma blessure, à moi, n’est rien, dit le vicomte, et il sera temps que je m’en occupe à la prochaine halte; seulement ayez la bonté, si vous voyez passer un cavalier, et si ce cavalier vous demande des nouvelles d’un jeune homme monté sur un alezan et suivi d’un laquais, de lui dire qu’effectivement vous m’avez vu, mais que j’ai continué ma route et que je compte dîner à Mazingarbe et coucher à Cambrin. Ce cavalier est mon serviteur.

– Ne serait-il pas mieux, et pour plus grande sûreté, que je lui demandasse son nom et que je lui dise le vôtre? répondit l’hôte.

– Il n’y a pas de mal au surcroît de précaution, dit Raoul, je me nomme le vicomte de Bragelonne et lui Grimaud.

En ce moment le blessé arrivait d’un côté et le moine de l’autre; les deux jeunes gens se reculèrent pour laisser passer le brancard; de son côté le moine descendait de sa mule, et ordonnait qu’on la conduisît à l’écurie sans la desseller.

– Sire moine, dit de Guiche, confessez bien ce brave homme, et ne vous inquiétez pas de votre dépense ni de celle de votre mule: tout est payé.

– Merci, monsieur! dit le moine avec un de ces sourires qui avaient fait frissonner Bragelonne.

– Venez, comte, dit Raoul, qui semblait instinctivement ne pouvoir supporter la présence de l’augustin, venez, je me sens mal ici.

– Merci, encore une fois, mes beaux jeunes seigneurs, dit le blessé, et ne m’oubliez pas dans vos prières!

– Soyez tranquille! dit de Guiche en piquant pour rejoindre Bragelonne, qui était déjà de vingt pas en avant.

En ce moment le brancard, porté par les deux laquais, entrait dans la maison. L’hôte et sa femme, qui était accourue, se tenaient debout sur les marches de l’escalier. Le malheureux blessé paraissait souffrir des douleurs atroces; et cependant il n’était préoccupé que de savoir si le moine le suivait.

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