Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Oh! oh! dit-il, Mordaunt avait raison de me presser. Il n’y avait pas de temps de perdre; les voici.

En effet, c’étaient nos amis ou plutôt leur avant-garde composée de d’Artagnan et d’Athos. Arrivés en face de l’endroit où se tenait Groslow, ils s’arrêtèrent comme s’ils eussent deviné que celui à qui ils avaient affaire était là. Athos mit pied à terre et déroula tranquillement un mouchoir dont les quatre coins étaient noués, et qu’il fit flotter au vent, tandis que d’Artagnan, toujours prudent, restait à demi penché sur son cheval, une main enfoncée dans les fontes.

Groslow, qui, dans le doute où il était que les cavaliers fussent bien ceux qu’il attendait, s’était accroupi derrière un de ces canons plantés dans le sol et qui servent à enrouler les câbles, se leva alors, en voyant le signal convenu, et marcha droit aux gentilshommes. Il était tellement encapuchonné dans son caban, qu’il était impossible de voir sa figure. D’ailleurs la nuit était si sombre, que cette précaution était superflue.

Cependant l’œil perçant d’Athos devina, malgré l’obscurité, que ce n’était pas Roggers qui était devant lui.

– Que voulez-vous? dit-il à Groslow en faisant un pas en arrière.

– Je veux vous dire, milord, répondit Groslow en affectant l’accent irlandais, que vous cherchez le patron Roggers, mais que vous cherchez vainement.

– Comment cela? demanda Athos.

– Parce que ce matin il est tombé d’un mât de hune et qu’il s’est cassé la jambe. Mais je suis son cousin; il m’a conté toute l’affaire et m’a chargé de reconnaître pour lui et de conduire à sa place, partout où ils le désireraient, les gentilshommes qui m’apporteraient un mouchoir noué aux quatre coins comme celui que vous tenez à la main et comme celui que j’ai dans ma poche.

Et à ces mots Groslow tira de sa poche le mouchoir qu’il avait déjà montré à Mordaunt.

– Est-ce tout? demanda Athos.

– Non pas, milord; car il y a encore soixante-quinze livres promises si je vous débarque sains et saufs à Boulogne ou sur tout autre point de la France que vous m’indiquerez.

– Que dites-vous de cela, d’Artagnan? demanda Athos en français.

– Que dit-il, d’abord? répondit celui-ci.

– Ah! c’est vrai, dit Athos; j’oubliais que vous n’entendez pas l’anglais.

Et il redit à d’Artagnan la conversation qu’il venait d’avoir avec le patron.

– Cela me paraît assez vraisemblable, dit le Gascon.

– Et à moi aussi, répondit Athos.

– D’ailleurs, reprit d’Artagnan, si cet homme nous trompe, nous pourrons toujours lui brûler la cervelle.

– Et qui nous conduira?

– Vous, Athos; vous savez tant de choses, que je ne doute pas que vous ne sachiez conduire un bâtiment.

– Ma foi, dit Athos avec un sourire, tout en plaisantant, ami, vous avez presque rencontré juste; j’étais destiné par mon père à servir dans la marine, et j’ai quelques vagues notions du pilotage.

– Voyez-vous! s’écria d’Artagnan.

– Allez donc chercher nos amis, d’Artagnan, et revenez, il est onze heures, nous n’avons pas de temps à perdre.

D’Artagnan s’avança vers deux cavaliers qui, le pistolet au poing, se tenaient en vedette aux premières maisons de la ville, attendant et surveillant sur le revers de la route et rangés contre une espèce de hangar; trois autres cavaliers faisaient le guet et semblaient attendre aussi.

Les deux vedettes du milieu de la route étaient Porthos et Aramis.

Les trois cavaliers du hangar étaient Mousqueton, Blaisois et Grimaud; seulement ce dernier, en y regardant de plus près, était double, car il avait en croupe Parry, qui devait ramener à Londres les chevaux des gentilshommes et de leurs gens, vendus à l’hôte pour payer les dettes qu’ils avaient faites chez lui. Grâce à ce coup de commerce, les quatre amis avaient pu emporter avec eux une somme sinon considérable, du moins suffisante pour faire face aux retards et aux éventualités.

D’Artagnan transmit à Porthos et à Aramis l’invitation de le suivre, et ceux-ci firent signe à leurs gens de mettre pied à terre et de détacher leurs porte-manteaux.

Parry se sépara, non sans regret, de ses amis; on lui avait proposé de venir en France, mais il avait opiniâtrement refusé.

– C’est tout simple, avait dit Mousqueton, il a son idée à l’endroit de Groslow.

On se rappelle que c’était le capitaine Groslow qui lui avait cassé la tête.

La petite troupe rejoignit Athos. Mais déjà d’Artagnan avait repris sa méfiance naturelle; il trouvait le quai trop désert, la nuit trop noire, le patron trop facile.

Il avait raconté à Aramis l’incident que nous avons dit, et Aramis, non moins défiant que lui, n’avait pas peu contribué à augmenter ses soupçons.

Un petit claquement de la langue contre ses dents traduisit à Athos les inquiétudes du Gascon.

– Nous n’avons pas le temps d’être défiants, dit Athos, la barque nous attend, entrons.

– D’ailleurs, dit, Aramis, qui nous empêche d’être défiants et d’entrer tout de même? on surveillera le patron.

– Et s’il ne marche pas droit, je l’assommerai. Voilà tout.

– Bien dit, Porthos, reprit d’Artagnan. Entrons donc. Passe, Mousqueton.

Et d’Artagnan arrêta ses amis, faisant passer les valets les premiers afin qu’ils essayassent la planche qui conduisait de la jetée à la barque.

Les trois valets passèrent sans accident.

Athos les suivit, puis Porthos, puis Aramis. D’Artagnan passa le dernier, tout en continuant de secouer la tête.

– Que diable avez-vous donc, mon ami? dit Porthos; sur ma parole, vous feriez peur à César.

– J’ai, répondit d’Artagnan, que je ne vois sur ce port ni inspecteur, ni sentinelle, ni gabelou.

– Plaignez-vous donc! dit Porthos, tout va comme sur une pente fleurie.

– Tout va trop bien, Porthos. Enfin, n’importe, à la grâce de Dieu.

Aussitôt que la planche fut retirée, le patron s’assit au gouvernail et fit signe à l’un de ses matelots, qui, armé d’une gaffe, commença à manœuvrer pour sortir du dédale de bâtiments au milieu duquel la petite barque était engagée.

L’autre matelot se tenait déjà à bâbord, son aviron à la main.

Lorsqu’on put se servir des rames, son compagnon vint le rejoindre, et la barque commença de filer plus rapidement.

– Enfin, nous partons! dit Porthos.

– Hélas! répondit le comte de La Fère, nous partons seuls!

– Oui; mais nous partons tous quatre ensemble, et sans une égratignure; c’est une consolation.

– Nous ne sommes pas encore arrivés, dit d’Artagnan; gare les rencontres!

– Eh! mon cher, dit Porthos, vous êtes comme les corbeaux, vous! vous chantez toujours malheur. Qui peut nous rencontrer par cette nuit sombre, où l’on ne voit pas à vingt pas de distance?

– Oui, mais demain matin? dit d’Artagnan.

– Demain matin nous serons à Boulogne.

– Je le souhaite de tout mon cœur, dit le Gascon, et j’avoue ma faiblesse. Tenez, Athos, vous allez rire! mais tant que nous avons été à portée de fusil de la jetée ou des bâtiments qui la bordaient, je me suis attendu à quelque effroyable mousquetade qui nous écrasait tous.

– Mais, dit Porthos avec un gros bon sens, c’était chose impossible, car on eût tué en même temps le patron et les matelots.

– Bah! voilà une belle affaire pour M. Mordaunt croyez-vous qu’il y regarde de si près?

– Enfin, dit Porthos, je suis bien aise que d’Artagnan avoue qu’il ait eu peur.

– Non seulement je l’avoue, mais je m’en vante. Je ne suis pas un rhinocéros comme vous. Ohé! qu’est-ce que cela?

– L’Éclair, dit le patron.

– Nous sommes donc arrivés? demanda Athos en anglais.

– Nous arrivons, dit le capitaine.

En effet, après trois coups de rame, on se trouvait côte à côte avec le petit bâtiment.

Le matelot attendait, l’échelle était préparée; il avait reconnu la barque.

Athos monta le premier avec une habileté toute marine; Aramis, avec l’habitude qu’il avait depuis longtemps des échelles de corde et des autres moyens plus ou moins ingénieux qui existent pour traverser les espaces défendus; d’Artagnan comme un chasseur d’isard et de chamois; Porthos, avec ce développement de force qui chez lui suppléait à tout.

170
{"b":"125143","o":1}