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Arrivé à la caserne, il se fit reconnaître, prit le meilleur cheval de l’écurie, sauta dessus et gagna la route. Un quart d’heure après, il était à Greenwich.

– Voilà le port, murmura-t-il; ce point sombre là-bas, c’est l’île des Chiens. Bon! j’ai une demi-heure d’avance sur eux… une heure, peut-être. Niais que j’étais! j’ai failli m’asphyxier par ma précipitation insensée. Maintenant, ajouta-t-il en se dressant sur ses étriers comme pour voir au loin parmi tous ces cordages, parmi tous ces mâts, l’Éclair, où est l’Éclair?

Au moment où il prononçait mentalement ces paroles, comme pour répondre à sa pensée un homme couché sur un rouleau de câbles se leva et fit quelques pas vers Mordaunt.

Mordaunt tira un mouchoir de sa poche et le fit flotter un instant en l’air. L’homme parut attentif, mais demeura à la même place sans faire un pas en avant ni en arrière.

Mordaunt fit un nœud à chacun des coins de son mouchoir; l’homme s’avança jusqu’à lui. C’était, on se le rappelle, le signal convenu. Le marin était enveloppé d’un large caban de laine qui cachait sa taille et lui voilait le visage.

– Monsieur, dit le marin, ne viendrait-il pas par hasard de Londres pour faire une promenade sur mer?

– Tout exprès, répondit Mordaunt, du côté de l’île des Chiens.

– C’est cela. Et sans doute monsieur a une préférence quelconque? Il aimerait mieux un bâtiment qu’un autre? Il voudrait un bâtiment marcheur, un bâtiment rapide?…

– Comme l’éclair, répondit Mordaunt.

– Bien, alors, c’est mon bâtiment que monsieur cherche, je suis le patron qu’il lui faut.

– Je commence à le croire, dit Mordaunt, surtout si vous n’avez pas oublié certain signe de reconnaissance.

– Le voilà, monsieur, dit le marin en tirant de la poche de son caban un mouchoir noué aux quatre coins.

– Bon! bon! s’écria Mordaunt en sautant à bas de son cheval. Maintenant il n’y a pas de temps à perdre. Faites conduire mon cheval à la première auberge et menez-moi à votre bâtiment.

– Mais vos compagnons? dit le marin; je croyais que vous étiez quatre, sans compter les laquais.

– Écoutez, dit Mordaunt en se rapprochant du marin, je ne suis pas celui que vous attendez, comme vous n’êtes pas celui qu’ils espèrent trouver. Vous avez pris la place du capitaine Roggers, n’est-ce pas? vous êtes ici par l’ordre du général Cromwell, et moi je viens de sa part.

– En effet, dit le patron, je vous reconnais, vous êtes le capitaine Mordaunt.

Mordaunt tressaillit.

– Oh! ne craignez rien, dit le patron en abaissant son capuchon et en découvrant sa tête, je suis un ami.

– Le capitaine Groslow! s’écria Mordaunt.

– Lui-même. Le général s’est souvenu que j’avais été autrefois officier de marine, et il m’a chargé de cette expédition. Y a-t-il donc quelque chose de changé?

– Non, rien. Tout demeure dans le même état, au contraire.

– C’est qu’un instant j’avais pensé que la mort du roi…

– La mort du roi n’a fait que hâter leur fuite; dans un quart d’heure, dans dix minutes ils seront ici peut-être.

– Alors, que venez-vous faire?

– M’embarquer avec vous.

– Ah! ah! le général douterait-il de mon zèle?

– Non; mais je veux assister moi-même à ma vengeance. N’avez-vous point quelqu’un qui puisse me débarrasser de mon cheval?

Groslow siffla, un marin parut.

– Patrick, dit Groslow, conduisez ce cheval à l’écurie de l’auberge la plus proche. Si l’on vous demande à qui il appartient, vous direz que c’est à un seigneur irlandais.

Le marin s’éloigna sans faire une observation.

– Maintenant, dit Mordaunt, ne craignez-vous point qu’ils vous reconnaissent?

– Il n’y a pas de danger sous ce costume, enveloppé de ce caban, par cette nuit sombre; d’ailleurs vous ne m’avez pas reconnu, vous; eux, à plus forte raison, ne me reconnaîtront point.

– C’est vrai, dit Mordaunt; d’ailleurs ils seront loin de songer à vous. Tout est prêt, n’est-ce pas?

– Oui.

– La cargaison est chargée?

– Oui.

– Cinq tonneaux pleins?

– Et cinquante vides.

– C’est cela.

– Nous conduisons du porto à Anvers.

– À merveille. Maintenant menez-moi à bord et revenez prendre votre poste, car ils ne tarderont pas à arriver.

– Je suis prêt.

– Il est important qu’aucun de vos gens ne me voie entrer.

– Je n’ai qu’un homme à bord, et je suis sûr de lui comme de moi-même. D’ailleurs, cet homme ne vous connaît pas, et, comme ses compagnons, il est prêt à obéir à nos ordres, mais il ignore tout.

– C’est bien. Allons.

Ils descendirent alors vers la Tamise. Une petite barque était amarrée au rivage par une chaîne de fer fixée à un pieu. Groslow tira la barque à lui, l’assura tandis que Mordaunt descendait dedans, puis il sauta à son tour, et, presque aussitôt saisissant les avirons, il se mit à ramer de manière à prouver à Mordaunt la vérité de ce qu’il avait avancé, c’est-à-dire qu’il n’avait pas oublié son métier de marin.

Au bout de cinq minutes on fut dégagé de ce monde de bâtiments qui, à cette époque déjà, encombraient les approches de Londres, et Mordaunt put voir, comme un point sombre, la petite felouque se balançant à l’ancre à quatre ou cinq encablures de l’île des Chiens.

En approchant de l’Éclair, Groslow siffla d’une certaine façon, et vit la tête d’un homme apparaître au-dessus de la muraille.

– Est-ce vous, capitaine? demanda cet homme.

– Oui, jette l’échelle.

Et Groslow, passant léger et rapide comme une hirondelle sous le beaupré, vint se ranger bord à bord avec lui.

– Montez, dit Groslow à son compagnon.

Mordaunt, sans répondre, saisit la corde et grimpa le long des flancs du navire avec une agilité et un aplomb peu ordinaires aux gens de terre; mais son désir de vengeance lui tenait lieu d’habitude et le rendait apte à tout.

Comme l’avait prévu Groslow, le matelot de garde à bord de l’Éclair ne parut pas même remarquer que son patron revenait accompagné.

Mordaunt et Groslow s’avancèrent vers la chambre du capitaine. C’était une espèce de cabine provisoire bâtie en planches sur le pont.

L’appartement d’honneur avait été cédé par le capitaine Roggers à ses passagers.

– Et eux, demanda Mordaunt, où sont-ils?

– À l’autre extrémité du bâtiment, répondit Groslow.

– Et ils n’ont rien à faire de ce côté?

– Rien absolument.

– À merveille! Je me tiens caché chez vous. Retournez à Greenwich et ramenez-les. Vous avez une chaloupe?

– Celle dans laquelle nous sommes venus.

– Elle m’a paru légère et bien taillée.

– Une véritable pirogue.

– Amarrez-la à la poupe avec une liasse de chanvre, mettez-y les avirons afin qu’elle suive dans le sillage et qu’il n’y ait que la corde à couper. Munissez-la de rhum et de biscuits. Si par hasard la mer était mauvaise, vos hommes ne seraient pas fâchés de trouver sous leur main de quoi se réconforter.

– Il sera fait comme vous dites. Voulez-vous visiter la sainte-barbe!

– Non, à votre retour. Je veux placer la mèche moi-même, pour être sûr qu’elle ne fera pas long feu. Surtout cachez bien votre visage, qu’ils ne vous reconnaissent pas.

– Soyez donc tranquille.

– Allez, voilà dix heures qui sonnent à Greenwich.

En effet, les vibrations d’une cloche dix fois répétées traversèrent tristement l’air chargé de gros nuages qui roulaient au ciel pareils à des vagues silencieuses.

Groslow repoussa la porte, que Mordaunt ferma en dedans, et, après avoir donné au matelot de garde l’ordre de veiller avec la plus grande attention, il descendit dans sa barque, qui s’éloigna rapidement, écumant le flot de son double aviron.

Le vent était froid et la jetée déserte lorsque Groslow aborda à Greenwich; plusieurs barques venaient de partir à la marée pleine. Au moment où Groslow prit terre, il entendit comme un galop de chevaux sur le chemin pavé de galets.

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