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«- Parbleu! répondis-je.

«Nous nous étions parfaitement compris.

«Je me retournai vers notre Écossais; celui-là aussi avait des regards parlants.

«Bref, tout finit, vous savez comment, d’une façon fort lugubre. Le peuple s’éloigna; peu à peu le soir venait; je m’étais retiré dans un coin de la place avec Grimaud et l’Écossais, auquel j’avais fait signe de demeurer avec nous, et je regardais de là le bourreau, qui, rentré dans la chambre royale, changeait d’habit; le sien était ensanglanté sans doute. Après quoi il mit un chapeau noir sur sa tête, s’enveloppa d’un manteau et disparut. Je devinai qu’il allait sortir et je courus en face de la porte. En effet, cinq minutes après nous le vîmes descendre l’escalier.

– Vous l’avez suivi? s’écria Athos.

– Parbleu! dit d’Artagnan; mais ce n’est pas sans peine, allez! À chaque instant il se retournait; alors nous étions obligés de nous cacher ou de prendre des airs indifférents. J’aurais été à lui et je l’aurais bien tué; mais je ne suis pas égoïste, moi, et c’était un régal que je vous ménageais, à Aramis et à vous, Athos, pour vous consoler un peu. Enfin, après une demi-heure de marche à travers les rues les plus tortueuses de la Cité, il arriva à une petite maison isolée, où pas un bruit, pas une lumière n’annonçaient la présence de l’homme.

«Grimaud tira de ses larges chausses un pistolet.

«- Hein? dit-il en le montrant.

«- Non pas, lui dis-je. Et je lui arrêtai le bras.

«Je vous l’ai dit, j’avais mon idée.

«L’homme masqué s’arrêta devant une porte basse et tira une clef; mais avant de la mettre dans la serrure, il se retourna pour voir s’il n’avait pas été suivi. J’étais blotti derrière un arbre; Grimaud derrière une borne; l’Écossais, qui n’avait rien pour se cacher, se jeta à plat ventre sur le chemin.

«Sans doute celui que nous poursuivons se crut bien seul, car j’entendis le grincement de la clef; la porte s’ouvrit et il disparut.

– Le misérable! dit Aramis, pendant que vous êtes revenu, il aura fui, et nous ne le retrouverons pas.

– Allons donc, Aramis, dit d’Artagnan, vous me prenez pour un autre.

– Cependant, dit Athos, en votre absence…

– Eh bien, en mon absence, n’avais-je pas pour me remplacer Grimaud et l’Écossais? Avant qu’il eût le temps de faire dix pas dans l’intérieur j’avais fait le tour de la maison, moi. À l’une des portes, celle par laquelle il était entré, j’ai mis notre Écossais en lui faisant signe que si l’homme au masque noir sortait, il fallait le suivre où il allait, tandis que Grimaud le suivrait lui-même et reviendrait nous attendre où nous étions. Enfin, j’ai mis Grimaud à la seconde issue, en lui faisant la même recommandation, et me voilà. La bête est cernée; maintenant, qui veut voir l’hallali?

Athos se précipita dans les bras de d’Artagnan, qui s’essuyait le front.

– Ami, dit-il, en vérité vous avez été trop bon de me pardonner; j’ai tort, cent fois tort, je devrais vous connaître pourtant; mais il y a au fond de nous quelque chose de méchant qui doute sans cesse.

– Hum! dit Porthos, est-ce que le bourreau ne serait point par hasard M. Cromwell, qui pour être sûr que sa besogne fût bien faite, aurait voulu la faire lui-même!

– Ah bien oui! M. Cromwell est gros et court, et celui-là mince, élancé et plutôt grand que petit.

– Quelque soldat condamné auquel on aura offert sa grâce à ce prix, dit Athos, comme on a fait pour le malheureux Chalais.

– Non, non, continua d’Artagnan, ce n’est point la marche mesurée d’un fantassin; ce n’est point non plus le pas écarté d’un homme de cheval. Il y a dans tout cela une jambe fine, une allure distinguée. Ou je me trompe fort, ou nous avons affaire à un gentilhomme.

– Un gentilhomme! s’écria Athos, impossible! ce serait un déshonneur pour toute la seigneurie.

– Belle chasse! dit Porthos avec un rire qui fit trembler les vitres; belle chasse, mordieu!

– Partez-vous toujours, Athos? demanda d’Artagnan.

– Non, je reste, répondit le gentilhomme avec un geste de menace qui ne promettait rien de bon à celui à qui ce geste était adressé.

– Alors, les épées! dit Aramis, les épées! et ne perdons pas un instant.

Les quatre amis reprirent promptement leurs habits de gentilshommes, ceignirent leurs épées, firent monter Mousqueton, Blaisois, et leur ordonnèrent de régler la dépense avec l’hôte et de tenir tout prêt pour leur départ, les probabilités étant que l’on quitterait Londres la nuit même.

La nuit s’était assombrie encore, la neige continuait de tomber et semblait un vaste linceul étendu sur la ville régicide; il était sept heures du soir à peu près, à peine voyait-on quelques passants dans les rues, chacun s’entretenait en famille et tout bas des événements terribles de la journée.

Les quatre amis, enveloppés de leurs manteaux, traversèrent toutes les places et les rues de la Cité, si fréquentées le jour, et si désertes cette nuit-là. D’Artagnan les conduisait, essayant de reconnaître de temps en temps des croix qu’il avait faites avec son poignard sur les murailles; mais la nuit était si sombre que les vestiges indicateurs avaient grand’peine à être reconnus. Cependant d’Artagnan avait si bien incrusté dans sa tête chaque borne, chaque fontaine, chaque enseigne, qu’au bout d’une demi-heure de marche il parvint, avec ses trois compagnons, en vue de la maison isolée.

D’Artagnan crut un instant que le frère de Parry avait disparu; il se trompait: le robuste Écossais, accoutumé aux glaces de ses montagnes, s’était étendu contre une borne, et comme une statue abattue de sa base, insensible aux intempéries de la saison, s’était laissé recouvrir de neige; mais à l’approche des quatre hommes il se leva.

– Allons, dit Athos, voici encore un bon serviteur. Vrai Dieu! les braves gens sont moins rares qu’on ne le croit; cela encourage.

– Ne nous pressons pas de tresser des couronnes pour notre Écossais, dit d’Artagnan; je crois que le drôle est ici pour son propre compte. J’ai entendu dire que ces messieurs qui ont vu le jour de l’autre côté de la Tweed sont fort rancuniers. Gare à maître Groslow! il pourra bien passer un mauvais quart d’heure s’il le rencontre.

En se détachant de ses amis il s’approcha de l’Écossais et se fit reconnaître. Puis il fit signe aux autres de venir.

– Eh bien? dit Athos en anglais.

– Personne n’est sorti, répondit le frère de Parry.

– Bien, restez avec cet homme, Porthos, et vous aussi, Aramis. D’Artagnan va me conduire à Grimaud.

Grimaud, non moins habile que l’Écossais, était collé contre un saule creux dont il s’était fait une guérite. Un instant, comme il l’avait craint pour l’autre sentinelle, d’Artagnan crut que l’homme masqué était sorti et que Grimaud l’avait suivi.

Tout à coup une tête apparut et fit entendre un léger sifflement.

– Oh! dit Athos.

– Oui, répondit Grimaud.

Ils se rapprochèrent du saule.

– Eh bien, demanda d’Artagnan, quelqu’un est-il sorti?

– Non, mais quelqu’un est entré, dit Grimaud.

– Un homme ou une femme?

– Un homme.

– Ah! ah! dit d’Artagnan; ils sont deux, alors.

– Je voudrais qu’ils fussent quatre, dit Athos, au moins la partie serait égale.

– Peut-être sont-ils quatre, dit d’Artagnan.

– Comment cela?

– D’autres hommes ne pouvaient-ils pas être dans cette maison avant eux et les y attendre?

– On peut voir, dit Grimaud en montrant une fenêtre à travers les contrevents de laquelle filtraient quelques rayons de lumière.

– C’est juste, dit d’Artagnan, appelons les autres.

Et ils tournèrent autour de la maison pour faire signe à Porthos et à Aramis de venir.

Ceux-ci accoururent empressés.

– Avez-vous vu quelque chose? dirent-ils.

– Non, mais nous allons voir, répondit d’Artagnan en montrant Grimaud, qui, en s’accrochant aux aspérités de la muraille, était déjà parvenu à cinq ou six pieds de la terre.

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