Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Par ordre de Cromwell, les honneurs royaux lui seront rendus. Nous avons placé le corps dans un cercueil de plomb; les médecins s’occupent d’embaumer ces malheureux restes, et, leur œuvre finie, le roi sera déposé dans une chapelle ardente.

– Dérision! murmura sombrement Athos; les honneurs royaux à celui qu’ils ont assassiné!

– Cela prouve, dit Aramis, que le roi meurt, mais que la royauté ne meurt pas.

– Hélas! dit Athos, c’est peut-être le dernier roi chevalier qu’aura eu le monde.

– Allons, ne vous désolez pas, comte, dit une grosse voix dans l’escalier, où retentissaient les larges pas de Porthos, nous sommes tous mortels, mes pauvres amis.

– Vous arrivez tard, mon cher Porthos, dit le comte de La Fère.

– Oui, dit Porthos, il y avait des gens sur ma route qui m’ont retardé. Ils dansaient, les misérables! J’en ai pris un par le cou et je crois l’avoir un peu étranglé. Juste en ce moment une patrouille est venue. Heureusement, celui à qui j’avais eu particulièrement affaire a été quelques minutes sans pouvoir parler. J’ai profité de cela pour me jeter dans une petite rue. Cette petite rue m’a conduit dans une autre plus petite encore. Alors je me suis perdu. Je ne connais pas Londres, je ne sais pas l’anglais, j’ai cru que je ne me retrouverais jamais; enfin me voilà.

– Mais d’Artagnan, dit Aramis, ne l’avez-vous point vu et ne lui serait-il rien arrivé?

– Nous avons été séparés par la foule, dit Porthos, et, quelques efforts que j’aie faits, je n’ai pas pu le rejoindre.

– Oh! dit Athos avec amertume, je l’ai vu, moi; il était au premier rang de la foule, admirablement placé pour ne rien perdre; et comme, à tout prendre, le spectacle était curieux, il aura voulu voir jusqu’au bout.

– Oh! comte de La Fère, dit une voix calme, quoique étouffée par la précipitation de la course, est-ce bien vous qui calomniez les absents?

Ce reproche atteignit Athos au cœur. Cependant, comme l’impression que lui avait produite d’Artagnan aux premiers rangs de ce peuple stupide et féroce était profonde, il se contenta de répondre:

– Je ne vous calomnie pas, mon ami. On était inquiet de vous ici, et j’ai dit où vous étiez. Vous ne connaissiez pas le roi Charles, ce n’était qu’un étranger pour vous, et vous n’étiez pas forcé de l’aimer.

Et en disant ces mots il tendit la main à son ami. Mais d’Artagnan fit semblant de ne point voir le geste d’Athos et garda sa main sous son manteau.

Athos laissa retomber lentement la sienne près de lui.

– Ouf! je suis las, dit d’Artagnan, et il s’assit.

– Buvez un verre de porto, dit Aramis en prenant une bouteille sur une table et en remplissant un verre; buvez, cela vous remettra.

– Oui, buvons, dit Athos, qui, sensible au mécontentement du Gascon, voulait choquer son verre contre le sien, buvons et quittons cet abominable pays. La felouque nous attend, vous le savez; partons ce soir, nous n’avons plus rien à faire ici.

– Vous êtes bien pressé, monsieur le comte, dit d’Artagnan.

– Ce sol sanglant me brûle les pieds, dit Athos.

– La neige ne me fait pas cet effet, à moi, dit tranquillement le Gascon.

– Mais que voulez-vous donc que nous fassions, dit Athos, maintenant que le roi est mort?

– Ainsi, monsieur le comte, dit d’Artagnan avec négligence, vous ne voyez point qu’il vous reste quelque chose à faire en Angleterre?

– Rien, rien, dit Athos, qu’à douter de la bonté divine et à mépriser mes propres forces.

– Eh bien! moi, dit d’Artagnan, moi chétif, moi badaud sanguinaire, qui suis allé me placer à trente pas de l’échafaud pour mieux voir tomber la tête de ce roi que je ne connaissais pas, et qui, à ce qu’il paraît, m’était indifférent, je pense autrement que monsieur le comte… je reste!

Athos pâlit extrêmement; chaque reproche de son ami vibrait jusqu’au plus profond de son cœur.

– Ah! vous restez à Londres? dit Porthos à d’Artagnan.

– Oui, dit celui-ci. Et vous?

– Dame! dit Porthos un peu embarrassé vis-à-vis d’Athos et d’Aramis, dame! si vous restez, comme je suis venu avec vous, je ne m’en irai qu’avec vous; je ne vous laisserai pas seul dans cet abominable pays.

– Merci, mon excellent ami. Alors j’ai une petite entreprise à vous proposer, et que nous mettrons à exécution ensemble quand monsieur le comte sera parti, et dont l’idée m’est venue pendant que je regardais le spectacle que vous savez.

– Laquelle? dit Porthos.

– C’est de savoir quel est cet homme masqué qui s’est offert si obligeamment pour couper le cou du roi.

– Un homme masqué! s’écria Athos, vous n’avez donc pas laissé fuir le bourreau?

– Le bourreau? dit d’Artagnan, il est toujours dans la cave, où je présume qu’il dit deux mots aux bouteilles de notre hôte. Mais vous m’y faites penser…

Il alla à la porte.

– Mousqueton! dit-il.

– Monsieur? répondit une voix qui semblait sortir des profondeurs de la terre.

– Lâchez votre prisonnier, dit d’Artagnan, tout est fini.

– Mais, dit Athos, quel est donc le misérable qui a porté la main sur son roi?

– Un bourreau amateur, qui, du reste, manie la hache avec facilité, car, ainsi qu’il l’espérait, dit Aramis, il ne lui a fallu qu’un coup.

– N’avez-vous point vu son visage? demanda Athos.

– Il avait un masque, dit d’Artagnan.

– Mais vous qui étiez près de lui, Aramis?

– Je n’ai vu qu’une barbe grisonnante qui passait sous le masque.

– C’est donc un homme d’un certain âge? demanda Athos.

– Oh! dit d’Artagnan, cela ne signifie rien. Quand on met un masque, on peut bien mettre une barbe.

– Je suis fâché de ne pas l’avoir suivi, dit Porthos.

– Eh bien! mon cher Porthos, dit d’Artagnan, voilà justement l’idée qui m’est venue, à moi.

Athos comprit tout; il se leva.

– Pardonne-moi, d’Artagnan, dit-il; j’ai douté de Dieu, je pouvais bien douter de toi. Pardonne-moi, ami.

– Nous verrons cela tout à l’heure, dit d’Artagnan avec un demi-sourire.

– Eh bien? dit Aramis.

– Eh bien, reprit d’Artagnan, tandis que je regardais, non pas le roi, comme le pense monsieur le comte, car je sais ce que c’est qu’un homme qui va mourir, et, quoique je dusse être habitué à ces sortes de choses, elles me font toujours mal, mais bien le bourreau masqué, cette idée me vint, ainsi que je vous l’ai dit, de savoir qui il était. Or, comme nous avons l’habitude de nous compléter les uns par les autres, et de nous appeler à l’aide, comme on appelle sa seconde main au secours de la première, je regardai machinalement autour de moi pour voir si Porthos ne serait pas là; car je vous avais reconnu près du roi, Aramis, et vous, comte, je savais que vous deviez être sous l’échafaud. Ce qui fait que je vous pardonne, ajouta-t-il en tendant la main à Athos, car vous avez bien dû souffrir. Je regardais donc autour de moi quand je vis à ma droite une tête qui avait été fendue, et qui, tant bien que mal, s’était raccommodée avec du taffetas noir. «Parbleu! me dis-je, il me semble que voilà une couture de ma façon, et que j’ai recousu ce crâne-là quelque part.» En effet, c’était ce malheureux Écossais, le frère de Parry, vous savez, celui sur lequel Groslow s’est amusé à essayer ses forces, et qui n’avait plus qu’une moitié de tête quand nous le rencontrâmes.

– Parfaitement, dit Porthos, l’homme aux poules noires.

– Vous l’avez dit, lui-même; il faisait des signes à un autre homme qui se trouvait à ma gauche; je me retournai, et je reconnus l’honnête Grimaud, tout occupé comme moi à dévorer des yeux mon bourreau masqué.

«- Oh! lui fis-je. Or, comme cette syllabe est l’abréviation dont se sert M. le comte les jours où il lui parle, Grimaud comprit que c’était lui qu’on appelait, et se retourna comme mû par un ressort; il me reconnut à son tour, alors, allongeant le doigt vers l’homme masqué:

«- Hein? dit-il. Ce qui voulait dire: avez-vous vu?

162
{"b":"125143","o":1}