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Broussel était assis à table avec sa famille, ayant devant lui sa femme, à ses côtés ses deux filles, et au bout de la table son fils, Louvières, que nous avons vu déjà apparaître lors de l’accident arrivé au conseiller, accident dont au reste il était parfaitement remis. Le bonhomme, revenu en pleine santé, goûtait donc les beaux fruits que lui avait envoyés madame de Longueville.

Comminges, qui avait arrêté le bras du laquais au moment où celui-ci allait ouvrir la porte pour l’annoncer, ouvrit la porte lui-même et se trouva en face de ce tableau de famille.

À la vue de l’officier, Broussel se sentit quelque peu ému; mais, voyant qu’il saluait poliment, il se leva et salua aussi.

Cependant, malgré cette politesse réciproque, l’inquiétude se peignit sur le visage des femmes; Louvières devint fort pâle et attendait impatiemment que l’officier s’expliquât.

– Monsieur, dit Comminges, je suis porteur d’un ordre du roi.

– Fort bien, monsieur, répondit Broussel. Quel est cet ordre?

Et il tendit la main.

– J’ai commission de me saisir de votre personne, monsieur, dit Comminges, toujours sur le même ton, avec la même politesse, et si vous voulez bien m’en croire, vous vous épargnerez la peine de lire cette longue lettre et vous me suivrez.

La foudre tombée au milieu de ces bonnes gens si paisiblement assemblés n’eût pas produit un effet plus terrible. Broussel recula tout tremblant. C’était une terrible chose à cette époque que d’être emprisonné par l’inimitié du roi. Louvières fit un mouvement pour sauter sur son épée, qui était sur une chaise dans l’angle de la salle; mais un coup d’œil du bonhomme Broussel, qui au milieu de tout cela ne perdait pas la tête, contint ce mouvement désespéré. Madame Broussel, séparée de son mari par la largeur de la table, fondait en larmes, les deux jeunes filles tenaient leur père embrassé.

– Allons, monsieur, dit Comminges, hâtons-nous, il faut obéir au roi.

– Monsieur, dit Broussel, je suis en mauvaise santé et ne puis me rendre prisonnier en cet état; je demande du temps.

– C’est impossible, répondit Comminges, l’ordre est formel et doit être exécuté à l’instant même.

– Impossible! dit Louvières; monsieur, prenez garde de nous pousser au désespoir.

– Impossible! dit une voix criarde au fond de la chambre.

Comminges se retourna et vit dame Nanette son balai à la main et dont les yeux brillaient de tous les feux de la colère.

– Ma bonne Nanette, tenez-vous tranquille, dit Broussel, je vous en prie.

– Moi, me tenir tranquille quand on arrête mon maître, le soutien, le libérateur, le père du pauvre peuple! Ah bien oui! vous me connaissez encore… Voulez-vous vous en aller! dit-elle à Comminges.

Comminges sourit.

– Voyons, monsieur, dit-il en se retournant vers Broussel, faites-moi taire cette femme et suivez-moi.

– Me faire taire, moi! moi! dit Nanette; ah bien oui! il en faudrait encore un autre que vous, mon bel oiseau du roi! Vous allez voir.

Et dame Nanette s’élança vers la fenêtre, l’ouvrit, et d’une voix si perçante qu’on put l’entendre du parvis Notre-Dame:

– Au secours! cria-t-elle, on arrête mon maître! on arrête le conseiller Broussel! au secours!

– Monsieur, dit Comminges, déclarez-vous tout de suite: obéirez-vous ou comptez-vous faire rébellion au roi?

– J’obéis, j’obéis, monsieur, s’écria Broussel essayant de se dégager de l’étreinte de ses deux filles et de contenir du regard son fils toujours prêt à lui échapper.

– En ce cas, dit Comminges, imposez silence à cette vieille.

– Ah! vieille! dit Nanette.

Et elle se mit à crier de plus belle en se cramponnant aux barres de la fenêtre:

– Au secours! au secours! pour maître Broussel, qu’on arrête parce qu’il a défendu le peuple; au secours!

Comminges saisit la servante à bras-le-corps, et voulut l’arracher de son poste; mais au même instant une autre voix, sortant d’une espèce d’entresol, hurla d’un ton de fausset:

– Au meurtre! au feu! à l’assassin! On tue M. Broussel! on égorge M. Broussel!

C’était la voix de Friquet. Dame Nanette, se sentant soutenue, reprit alors avec plus de force et fit chorus.

Déjà des têtes curieuses apparaissaient aux fenêtres. Le peuple, attiré au bout de la rue, accourait, des hommes, puis des groupes, puis une foule: on entendait les cris; on voyait un carrosse, mais on ne comprenait pas. Friquet sauta de l’entresol sur l’impériale de la voiture.

– Ils veulent arrêter M. Broussel! cria-t-il; il y a des gardes dans le carrosse, et l’officier est là-haut.

La foule se mit à gronder et s’approcha des chevaux. Les deux gardes qui étaient restés dans l’allée montèrent au secours de Comminges; ceux qui étaient dans le carrosse ouvrirent les portières et croisèrent la pique.

– Les voyez-vous? criait Friquet. Les voyez-vous? les voilà.

Le cocher se retourna et envoya à Friquet un coup de fouet qui le fit hurler de douleur.

– Ah! cocher du diable! s’écria Friquet, tu t’en mêles? attends!

Et il regagna son entresol, d’où il accabla le cocher de tous les projectiles qu’il put trouver.

Malgré la démonstration hostile des gardes, et peut-être même à cause de cette démonstration, la foule se mit à gronder et s’approcher des chevaux. Les gardes firent reculer les plus mutins à grands coups de pique.

Cependant le tumulte allait toujours croissant; la rue ne pouvait plus contenir les spectateurs qui affluaient de toutes parts; la presse envahissait l’espace que formaient encore entre eux et le carrosse les redoutables piques des gardes. Les soldats, repoussés comme par des murailles vivantes, allaient être écrasés contre les moyeux des roues et les panneaux de la voiture. Les cris: «Au nom du roi!» vingt fois répétés par l’exempt, ne pouvaient rien contre cette redoutable multitude, et semblaient l’exaspérer encore, quand, à ces cris: «Au nom du roi!», un cavalier accourut, et, voyant des uniformes fort maltraités, s’élança dans la mêlée l’épée à la main et apporta un secours inespéré aux gardes.

Ce cavalier était un jeune homme de quinze à seize ans à peine, que la colère rendait pâle. Il mit pied à terre comme les autres gardes, s’adossa au timon de la voiture, se fit un rempart de son cheval, tira de ses fontes les pistolets, qu’il passa à sa ceinture et commença à espadonner en homme à qui le maniement de l’épée est chose familière.

Pendant dix minutes, à lui seul le jeune homme soutint l’effort de toute la foule.

Alors on vit paraître Comminges poussant Broussel devant lui.

– Rompons le carrosse! criait le peuple.

– Au secours! criait la vieille.

– Au meurtre! criait Friquet en continuant de faire pleuvoir sur les gardes tout ce qui se trouvait sous sa main.

– Au nom du roi! criait Comminges.

– Le premier qui avance est mort! cria Raoul qui, se voyant pressé, fit sentir la pointe de son épée à une espèce de géant qui était prêt à l’écraser, et qui, se sentant blessé, recula en hurlant.

Car c’était Raoul qui, revenant de Blois, selon qu’il l’avait promis au comte de La Fère, après cinq jours d’absence, avait voulu jouir du coup d’œil de la cérémonie, et avait pris par les rues qui le conduiraient plus directement à Notre-Dame. Arrivé aux environs de la rue Cocatrix, il s’était trouvé entraîné par le flot du populaire, et à ce mot: «Au nom du roi!» il s’était rappelé le mot d’Athos: «Servez le roi» et il était accouru combattre pour le roi, dont on maltraitait les gardes.

Comminges jeta pour ainsi dire Broussel dans le carrosse et s’élança derrière lui. En ce moment un coup d’arquebuse retentit, une balle traversa du haut en bas le chapeau de Comminges et cassa le bras d’un garde. Comminges releva la tête et vit, au milieu de la fumée, la figure menaçante de Louvières qui apparaissait à la fenêtre du second étage.

– C’est bien, monsieur, dit Comminges, vous entendrez parler de moi.

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