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En sortant de chez Bazin, Friquet était parti tout courant pour le Palais-Royal; il y arriva au moment où en sortait le régiment des gardes, et, comme il ne venait pas pour autre chose que pour jouir de sa vue et profiter de sa musique, il prit place en tête, battant le tambour avec deux ardoises, et passant de cet exercice à celui de la trompette, qu’il contrefaisait naturellement avec la bouche d’une façon qui lui avait plus d’une fois valu les éloges des amateurs de l’harmonie imitative.

Cet amusement dura de la barrière des Sergents jusqu’à la place Notre-Dame; et Friquet y prit un véritable plaisir; mais lorsque le régiment s’arrêta et que les compagnies, en se développant, pénétrèrent jusqu’au cœur de la Cité, se posant à l’extrémité de la rue Saint-Christophe, près de la rue Cocatrix, où demeurait Broussel, alors Friquet, se rappelant qu’il n’avait pas déjeuné, chercha de quel côté il pourrait tourner ses pas pour accomplir cet acte important de la journée, et après avoir mûrement réfléchi, décida que ce serait le conseiller Broussel qui ferait les frais de son repas.

En conséquence il prit son élan, arriva tout essoufflé devant la porte du conseiller et heurta rudement.

Sa mère, la vieille servante de Broussel, vint ouvrir.

– Que viens-tu faire ici, garnement, dit-elle, et pourquoi n’es-tu pas à Notre-Dame?

– J’y étais, mère Nanette, dit Friquet, mais j’ai vu qu’il s’y passait des choses dont maître Broussel devait être averti, et avec la permission de M. Bazin, vous savez bien, mère Nanette, M. Bazin le bedeau? je suis venu pour parler à M. Broussel.

– Et que veux-tu lui dire, magot, à M. Broussel?

– Je veux lui parler à lui-même.

– Cela ne se peut pas, il travaille.

– Alors j’attendrai, dit Friquet, que cela arrangeait d’autant mieux qu’il trouverait bien moyen d’utiliser le temps.

Et il monta rapidement l’escalier, que dame Nanette monta plus lentement derrière lui.

– Mais enfin, dit-elle, que lui veux-tu, à M. Broussel?

– Je veux lui dire, répondit Friquet en criant de toutes ses forces, qu’il y a le régiment des gardes tout entier qui vient de ce côté-ci. Or, comme j’ai entendu dire partout qu’il y avait à la cour de mauvaises dispositions contre lui, je viens le prévenir afin qu’il se tienne sur ses gardes.

Broussel entendit le cri du jeune drôle, et, charmé de son excès de zèle, descendit au premier étage; car il travaillait en effet dans son cabinet au second.

– Eh! dit-il, mon ami, que nous importe le régiment des gardes, et n’es-tu pas fou de faire un pareil esclandre? Ne sais-tu pas que c’est l’usage d’agir comme ces messieurs le font, et que c’est l’habitude de ce régiment de se mettre en haie sur le passage du roi?

Friquet contrefit l’étonné, et tournant son bonnet neuf entre ses doigts:

– Ce n’est pas étonnant que vous le sachiez, dit-il, vous, monsieur Broussel, qui savez tout; mais moi, en vérité du bon Dieu, je ne le savais pas, et j’ai cru vous donner un bon avis. Il ne faut pas m’en vouloir pour cela, monsieur Broussel.

– Au contraire, mon garçon, au contraire, et ton zèle me plaît. Dame Nanette, voyez donc un peu à ces abricots que madame de Longueville nous a envoyés hier de Noisy; et donnez-en donc une demi-douzaine à votre fils avec un croûton de pain tendre.

– Ah! merci, monsieur Broussel, dit Friquet; merci, j’aime justement beaucoup les abricots.

Broussel alors passa chez sa femme et demanda son déjeuner. Il était neuf heures et demie. Le conseiller se mit à la fenêtre. La rue était complètement déserte, mais au loin on entendait, comme le bruit d’une marée qui monte, l’immense mugissement des ondes populaires qui grossissaient déjà autour de Notre-Dame.

Ce bruit redoubla lorsque d’Artagnan vint avec une compagnie de mousquetaires se poser aux portes de Notre-Dame pour faire faire le service de l’église. Il avait dit à Porthos de profiter de l’occasion pour voir la cérémonie, et Porthos, en grande tenue, monta sur son plus beau cheval, faisant le mousquetaire honoraire, comme jadis si souvent d’Artagnan l’avait fait. Le sergent de cette compagnie, vieux soldat des guerres d’Espagne, avait reconnu Porthos, son ancien compagnon, et bientôt il avait mis au courant chacun de ceux qui servaient sous ses ordres des hauts faits de ce géant, l’honneur des anciens mousquetaires de Tréville. Porthos non seulement avait été bien accueilli dans la compagnie mais encore il y était regardé avec admiration.

À dix heures, le canon du Louvre annonça la sortie du roi. Un mouvement pareil à celui des arbres dont un vent d’orage courbe et tourmente les cimes courut dans la multitude, qui s’agita derrière les mousquets immobiles des gardes. Enfin le roi parut avec la reine dans un carrosse tout doré. Dix autres carrosses suivaient, renfermant les dames d’honneur, les officiers de la maison royale et toute la cour.

– Vive le roi! cria-t-on de toutes parts.

Le jeune roi mit gravement la tête à la portière, fit une petite mine assez reconnaissante, et salua même légèrement, ce qui fit redoubler les cris de la multitude.

Le cortège s’avança lentement et mit près d’une demi-heure pour franchir l’intervalle qui sépare le Louvre de la place Notre-Dame. Arrivé là, il se rendit peu à peu sous la voûte immense de la sombre métropole, et le service divin commença.

Au moment où la cour prenait place, un carrosse aux armes de Comminges quitta la file des carrosses de la cour, et vint lentement se placer au bout de la rue Saint-Christophe, entièrement déserte. Arrivé là, quatre gardes et un exempt qui l’escortaient montèrent dans la lourde machine et en fermèrent les mantelets; puis à travers un jour prudemment ménagé, l’exempt se mit à guetter le long de la rue Cocatrix, comme s’il attendait l’arrivée de quelqu’un.

Tout le monde était occupé de la cérémonie, de sorte que ni le carrosse ni les précautions dont s’entouraient ceux qui étaient dedans ne furent remarqués. Friquet, dont l’œil toujours au guet eût pu seul les pénétrer, s’en était allé savourer ses abricots sur l’entablement d’une maison du parvis Notre-Dame. De là il voyait le roi, la reine et M. de Mazarin et entendait la messe comme s’il l’avait servie.

Vers la fin de l’office, la reine, voyant que Comminges attendait debout auprès d’elle une confirmation de l’ordre qu’elle lui avait déjà donné avant de quitter le Louvre, dit à demi-voix:

– Allez Comminges, et que Dieu vous assiste!

Comminges partit aussitôt, sortit de l’église, et entra dans la rue Saint-Christophe.

Friquet, qui vit ce bel officier marcher suivi de deux gardes, s’amusa à le suivre, et cela avec d’autant plus d’allégresse que la cérémonie finissait à l’instant même et que le roi remontait dans son carrosse.

À peine l’exempt vit-il apparaître Comminges au bout de la rue Cocatrix, qu’il dit un mot au cocher, lequel mit aussitôt sa machine en mouvement et la conduisit devant la porte de Broussel.

Comminges frappait à cette porte en même temps que la voiture s’y arrêtait.

Friquet attendait derrière Comminges que cette porte fût ouverte.

– Que fais-tu là, drôle? demanda Comminges.

– J’attends pour entrer chez maître Broussel, monsieur l’officier! dit Friquet de ce ton câlin que sait si bien prendre dans l’occasion le gamin de Paris.

– C’est donc bien là qu’il demeure? demanda Comminges.

– Oui, monsieur.

– Et quel étage occupe-t-il?

– Toute la maison, dit Friquet; la maison est à lui.

– Mais où se tient-il ordinairement?

– Pour travailler, il se tient au second, mais pour prendre ses repas, il descend au premier; dans ce moment il doit dîner, car il est midi.

– Bien, dit Comminges.

En ce moment on ouvrit. L’officier interrogea le laquais, et apprit que maître Broussel était chez lui, et dînait effectivement. Comminges monta derrière le laquais, et Friquet monta derrière Comminges.

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