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– Que craignez-vous? dit-il revenant par le raisonnement sur la terreur instinctive qu’il avait éprouvée d’abord, ne sommes-nous pas là pour nous défendre? Ce jeune homme s’est-il fait assassin de profession, meurtrier de sang-froid? Il a pu tuer le bourreau de Béthune dans un mouvement de rage, mais maintenant sa fureur est assouvie.

De Winter sourit tristement et secoua la tête.

– Vous ne connaissez donc plus ce sang? dit-il.

– Bah! dit Athos en essayant de sourire à son tour, il aura perdu de sa férocité à la deuxième génération. D’ailleurs, ami, la Providence nous a prévenus que nous nous mettions sur nos gardes. Nous ne pouvons rien autre chose qu’attendre. Attendons. Mais, comme je le disais d’abord, parlons de vous. Qui vous amène à Paris?

– Quelques affaires d’importance que vous connaîtrez plus tard. Mais qu’ai-je ouï dire chez Sa Majesté la reine d’Angleterre, M. d’Artagnan est à Mazarin! Pardonnez-moi ma franchise, mon ami, je ne hais ni ne blâme le cardinal, et vos opinions me seront toujours sacrées; seriez-vous par hasard à cet homme?

– M. d’Artagnan est au service, dit Athos, il est soldat, il obéit au pouvoir constitué. M. d’Artagnan n’est pas riche et a besoin pour vivre de son grade de lieutenant. Les millionnaires comme vous, milord, sont rares en France.

– Hélas! dit de Winter, je suis aujourd’hui aussi pauvre et plus pauvre que lui. Mais revenons à vous.

– Eh bien! vous voulez savoir si je suis mazarin? Non, mille fois non. Pardonnez-moi aussi ma franchise, milord.

De Winter se leva et serra Athos dans ses bras.

– Merci, comte, dit-il, merci de cette heureuse nouvelle. Vous me voyez heureux et rajeuni. Ah! vous n’êtes pas mazarin, vous! à la bonne heure! d’ailleurs, ce ne pouvait pas être. Mais, pardonnez encore, êtes-vous libre?

– Qu’entendez-vous par libre?

– Je vous demande si vous n’êtes point marié.

– Ah! pour cela, non, dit Athos en souriant.

– C’est que ce jeune homme, si beau, si élégant, si gracieux…

– C’est un enfant que j’élève et qui ne connaît pas même son père.

– Fort bien; vous êtes toujours le même, Athos, grand et généreux.

– Voyons, milord, que me demandez-vous?

– Vous avez encore pour amis MM. Porthos et Aramis?

– Et ajoutez d’Artagnan, milord. Nous sommes toujours quatre amis dévoués l’un à l’autre comme autrefois, mais lorsqu’il s’agit de servir le cardinal ou de le combattre, d’être mazarins ou frondeurs, nous ne sommes plus que deux.

– M. Aramis est avec d’Artagnan? demanda lord de Winter.

– Non, dit Athos, M. Aramis me fait l’honneur de partager mes convictions.

– Pouvez-vous me mettre en relation avec cet ami si charmant et si spirituel?

– Sans doute, dès que cela vous sera agréable.

– Est-il changé?

– Il s’est fait abbé, voilà tout.

– Vous m’effrayez. Son état a dû le faire renoncer alors aux grandes entreprises.

– Au contraire, dit Athos en souriant, il n’a jamais été si mousquetaire que depuis qu’il est abbé, et vous retrouverez un véritable Galaor. Voulez-vous que je l’envoie chercher par Raoul?

– Merci, comte, on pourrait ne pas le trouver à cette heure chez lui. Mais puisque vous croyez pouvoir répondre de lui…

– Comme de moi-même.

– Pouvez-vous vous engager à me l’amener demain à dix heures sur le pont du Louvre?

– Ah! ah! dit Athos en souriant, vous avez un duel?

– Oui, comte, et un beau duel, un duel dont vous serez, j’espère.

– Où irons-nous, milord?

– Chez Sa Majesté la reine d’Angleterre, qui m’a chargé de vous présenter à elle, comte.

– Sa Majesté me connaît donc?

– Je vous connais, moi.

– Énigme, dit Athos; mais n’importe, du moment où vous en avez le mot, je n’en demande pas davantage. Me ferez-vous l’honneur de souper avec moi, milord?

– Merci, comte, dit de Winter, la visite de ce jeune homme, je vous l’avoue, m’a ôté l’appétit et m’ôtera probablement le sommeil. Quelle entreprise vient-il accomplir à Paris? Ce n’est pas pour m’y rencontrer qu’il est venu, car il ignorait mon voyage. Ce jeune homme m’épouvante, comte; il y a en lui un avenir de sang.

– Que fait-il en Angleterre?

– C’est un des sectateurs les plus ardents d’Olivier Cromwell.

– Qui l’a donc rallié à cette cause? Sa mère et son père étaient catholiques, je crois?

– La haine qu’il a contre le roi.

– Contre le roi?

– Oui, le roi l’a déclaré bâtard, l’a dépouillé de ses biens, lui a défendu de porter le nom de Winter.

– Et comment s’appelle-t-il maintenant?

– Mordaunt.

– Puritain et déguisé en moine, voyageant seul sur les routes de France.

– En moine, dites-vous?

– Oui, ne le saviez-vous pas?

– Je ne sais rien que ce qu’il m’a dit.

– C’est ainsi et que par hasard, j’en demande pardon à Dieu si je blasphème, c’est ainsi qu’il a entendu la confession du bourreau de Béthune.

– Alors je devine tout: il vient envoyé par Cromwell.

– À qui?

– À Mazarin; et la reine avait deviné juste, nous avons été prévenus: tout s’explique pour moi maintenant. Adieu, comte, à demain.

– Mais la nuit est noire, dit Athos en voyant lord de Winter agité d’une inquiétude plus grande que celle qu’il voulait laisser paraître, et vous n’avez peut-être pas de laquais?

– J’ai Tony, un bon, mais naïf garçon.

– Holà! Olivain, Grimaud, Blaisois, qu’on prenne le mousqueton et qu’on appelle M. le vicomte.

Blaisois était ce grand garçon, moitié laquais, moitié paysan, que nous avons entrevu au château de Bragelonne, venant annoncer que le dîner était servi et qu’Athos avait baptisé du nom de sa province.

Cinq minutes après cet ordre donné, Raoul entra.

– Vicomte, dit-il, vous allez escorter milord jusqu’à son hôtellerie et ne le laisserez approcher par personne.

– Ah! comte, dit de Winter, pour qui donc me prenez-vous?

– Pour un étranger qui ne connaît point Paris, dit Athos, et à qui le vicomte montrera le chemin.

De Winter lui serra la main.

– Grimaud, dit Athos, mets-toi à la tête de la troupe, et gare au moine.

Grimaud tressaillit, puis il fit un signe de tête et attendit le départ en caressant avec une éloquence silencieuse la crosse de son mousqueton.

– À demain, comte, dit de Winter.

– Oui, milord.

La petite troupe s’achemina vers la rue Saint-Louis, Olivain tremblant comme Sosie à chaque reflet de lumière équivoque; Blaisois assez ferme parce qu’il ignorait qu’on courût un danger quelconque; Tony regardant à droite et à gauche, mais ne pouvant dire une parole, attendu qu’il ne parlait pas français.

De Winter et Raoul marchaient côte à côte et causaient ensemble.

Grimaud, qui, selon l’ordre d’Athos, avait précédé le cortège le flambeau d’une main et le mousqueton de l’autre, arriva devant l’hôtellerie de de Winter, frappa du poing à la porte, et, lorsqu’on fut venu ouvrir, salua milord sans rien dire.

Il en fut de même pour le retour; les yeux perçants de Grimaud ne virent rien de suspect qu’une espèce d’ombre embusquée au coin de la rue Guénégaud et du quai; il lui sembla qu’en passant il avait déjà remarqué ce guetteur de nuit qui attirait ses yeux. Il piqua vers lui; mais, avant qu’il pût l’atteindre, l’ombre avait disparu dans une ruelle où Grimaud ne pensa point qu’il était prudent de s’engager.

On rendit compte à Athos du succès de l’expédition; et comme il était dix heures du soir, chacun se retira dans son appartement.

Le lendemain, en ouvrant les yeux, ce fut le comte à son tour qui aperçut Raoul à son chevet. Le jeune homme était tout habillé et lisait un livre nouveau de M. Chapelain.

– Déjà levé, Raoul? dit le comte.

– Oui, monsieur, répondit le jeune homme avec une légère hésitation, j’ai mal dormi.

– Vous, Raoul! vous avez mal dormi? quelque chose vous préoccupait donc? demanda Athos.

– Monsieur, vous allez dire que j’ai bien grande hâte de vous quitter quand je viens d’arriver à peine, mais…

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