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– Ma rapière, Mouston, dit Porthos.

– Mais c’est tout un attirail de guerre, monsieur! dit celui-ci; nous allons donc faire campagne? Alors dites-le moi tout de suite, je prendrai mes précautions en conséquence.

– Avec nous, Mouston, vous le savez, reprit d’Artagnan, les précautions sont toujours bonnes à prendre. Ou vous n’avez pas grande mémoire, ou vous avez oublié que nous n’avons pas l’habitude de passer nos nuits en bals et en sérénades.

– Hélas! c’est vrai, dit Mousqueton en s’armant de pied en cap, mais je l’avais oublié.

Ils partirent d’un trait assez rapide et arrivèrent au Palais-Cardinal vers les sept heures un quart. Il y avait foule dans les rues, car c’était le jour de la Pentecôte, et cette foule regardait passer avec étonnement ces deux cavaliers, dont l’un était si frais qu’il semblait sortir d’une boîte, et l’autre si poudreux qu’on eût dit qu’il quittait un champ de bataille.

Mousqueton attirait aussi les regards des badauds, et comme le roman de Don Quichotte était alors dans toute sa vogue, quelques-uns disaient que c’était Sancho qui, après avoir perdu un maître, en avait trouvé deux.

En arrivant à l’antichambre, d’Artagnan se trouva en pays de connaissance. C’étaient des mousquetaires de sa compagnie qui justement étaient de garde. Il fit appeler l’huissier et montra la lettre du cardinal qui lui enjoignait de revenir sans perdre une seconde. L’huissier s’inclina et entra chez Son Éminence.

D’Artagnan se tourna vers Porthos, et crut remarquer qu’il était agité d’un léger tremblement. Il sourit, et s’approchant de son oreille, il lui dit:

– Bon courage, mon brave ami! ne soyez pas intimidé; croyez-moi, l’œil de l’aigle est fermé, et nous n’avons plus affaire qu’au simple vautour. Tenez-vous raide comme au jour du bastion Saint-Gervais, et ne saluez pas trop bas cet Italien, cela lui donnerait une pauvre idée de vous.

– Bien, bien, répondit Porthos.

L’huissier reparut.

– Entrez, messieurs dit-il, Son Éminence vous attend.

En effet, Mazarin était assis dans son cabinet, travaillant à raturer le plus de noms possible sur une liste de pensions et de bénéfices. Il vit du coin de l’œil entrer d’Artagnan et Porthos et quoique son regard eût pétillé de joie à l’annonce de l’huissier, il ne parut pas s’émouvoir.

– Ah! c’est vous, monsieur le lieutenant? dit-il, vous avez fait diligence, c’est bien; soyez le bienvenu.

– Merci, Monseigneur. Me voilà aux ordres de Votre Éminence, ainsi que M. du Vallon, celui de mes anciens amis, celui qui déguisait sa noblesse sous le nom de Porthos.

Porthos salua le cardinal.

– Un cavalier magnifique, dit Mazarin.

Porthos tourna la tête à droite et à gauche, et fit des mouvements d’épaule pleins de dignité.

– La meilleure épée du royaume, Monseigneur, dit d’Artagnan, et bien des gens le savent qui ne le disent pas et qui ne peuvent pas le dire.

Porthos salua d’Artagnan.

Mazarin aimait presque autant les beaux soldats que Frédéric de Prusse les aima plus tard. Il se mit à admirer les mains nerveuses, les vastes épaules et l’œil fixe de Porthos. Il lui sembla qu’il avait devant lui le salut de son ministère et du royaume, taillé en chair et en os. Cela lui rappela que l’ancienne association des mousquetaires était formée de quatre personnes.

– Et vos deux autres amis? demanda Mazarin.

Porthos ouvrait la bouche, croyant que c’était l’occasion de placer un mot à son tour. D’Artagnan lui fit un signe du coin de l’œil.

– Nos autres amis sont empêchés en ce moment, ils nous rejoindront plus tard.

Mazarin toussa légèrement.

– Et monsieur, plus libre qu’eux, reprendra volontiers du service? demanda Mazarin.

– Oui, Monseigneur, et cela par un dévouement, car M. de Bracieux est riche.

– Riche? dit Mazarin, à qui ce seul mot avait toujours le privilège d’inspirer une grande considération.

– Cinquante mille livres de rente, dit Porthos.

C’était la première parole qu’il avait prononcée.

– Par pur dévouement, reprit Mazarin avec son fin sourire, par pur dévouement alors?

– Monseigneur ne croit peut-être pas beaucoup à ce mot-là? demanda d’Artagnan.

– Et vous, monsieur le Gascon? dit Mazarin en appuyant ses deux coudes sur son bureau et son menton dans ses deux mains.

– Moi, dit d’Artagnan, je crois au dévouement comme à un nom de baptême, par exemple, qui doit être naturellement suivi d’un nom de terre. On est d’un naturel plus ou moins dévoué, certainement; mais il faut toujours qu’au bout d’un dévouement il y ait quelque chose.

– Et votre ami, par exemple, quelle chose désirerait-il avoir au bout de son dévouement?

– Eh bien! Monseigneur, mon ami a trois terres magnifiques: celle du Vallon, à Corbeil; celle de Bracieux, dans le Soissonnais, et celle de Pierrefonds dans le Valois; or, Monseigneur, il désirerait que l’une de ses trois terres fût érigée en baronnie.

– N’est-ce que cela? dit Mazarin, dont les yeux pétillèrent de joie en voyant qu’il pouvait récompenser le dévouement de Porthos sans bourse délier; n’est-ce que cela? la chose pourra s’arranger.

– Je serai baron! s’écria Porthos en faisant un pas en avant.

– Je vous l’avais dit, reprit d’Artagnan en l’arrêtant de la main, et Monseigneur vous le répète.

– Et vous, monsieur d’Artagnan, que désirez-vous?

– Monseigneur, dit d’Artagnan, il y aura vingt ans au mois de septembre prochain que M. le cardinal de Richelieu m’a fait lieutenant.

– Oui, et vous voudriez que le cardinal Mazarin vous fît capitaine.

D’Artagnan salua.

– Eh bien! tout cela n’est pas chose impossible. On verra, messieurs, on verra. Maintenant, monsieur du Vallon, dit Mazarin, quel service préférez-vous? celui de la ville? celui de la campagne?

Porthos ouvrit la bouche pour répondre.

– Monseigneur, dit d’Artagnan, M. du Vallon est comme moi, il aime le service extraordinaire, c’est-à-dire des entreprises qui sont réputées comme folles et impossibles.

Cette gasconnade ne déplut pas à Mazarin, qui se mit à rêver.

– Cependant, je vous avoue que je vous avais fait venir pour vous donner un poste sédentaire. J’ai certaines inquiétudes. Eh bien! qu’est-ce que cela? dit Mazarin.

En effet, un grand bruit se faisait entendre dans l’antichambre, et presque en même temps la porte du cabinet s’ouvrit; un homme couvert de poussière se précipita dans la chambre en criant:

– Monsieur le cardinal? où est monsieur le cardinal?

Mazarin crut qu’on voulait l’assassiner, et se recula en faisant rouler son fauteuil. D’Artagnan et Porthos firent un mouvement qui les plaça entre le nouveau venu et le cardinal.

– Eh! monsieur, dit Mazarin, qu’y a-t-il donc, que vous entrez ici comme dans les halles?

– Monseigneur, dit l’officier à qui s’adressait ce reproche, deux mots, je voudrais vous parler vite et en secret. Je suis M. de Poins, officier aux gardes, en service au donjon de Vincennes.

L’officier était si pâle et si défait, que Mazarin, persuadé qu’il était porteur d’une nouvelle d’importance, fit signe à d’Artagnan et à Porthos de faire place au messager.

D’Artagnan et Porthos se retirèrent dans un coin du cabinet.

– Parlez, monsieur, parlez vite, dit Mazarin, qu’y a-t-il donc?

– Il y a, Monseigneur, dit le messager, que M. de Beaufort vient de s’évader du château de Vincennes.

Mazarin poussa un cri et devint à son tour plus pâle que celui qui lui annonçait cette nouvelle; il retomba sur son fauteuil presque anéanti.

– Évadé! dit-il, M. de Beaufort évadé?

– Monseigneur, je l’ai vu fuir du haut de la terrasse.

– Et vous n’avez pas tiré dessus?

– Il était hors de portée.

– Mais M. de Chavigny, que faisait-il donc?

– Il était absent.

– Mais La Ramée?

– On l’a trouvé garrotté dans la chambre du prisonnier, un bâillon dans la bouche et un poignard près de lui.

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