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– Est-il donc si mal que cela, ce cher Voiture? demanda Aramis à demi caché derrière son rideau de fenêtre.

– Hélas! répondit M. Ménage, il est fort mal, et ce grand homme va peut-être nous quitter, deseret orbem.

– Bon, dit avec aigreur mademoiselle Paulet, lui, mourir! il n’a garde! il est entouré de sultanes comme un Turc. Madame de Saintot est accourue et lui donne des bouillons. La Renaudot lui chauffe ses draps, et il n’y a pas jusqu’à notre amie, la marquise de Rambouillet, qui ne lui envoie des tisanes.

– Vous ne l’aimez pas, ma chère Parthénie! dit en riant Scarron.

– Oh! quelle injustice, mon cher malade! je le hais si peu que je ferais dire avec plaisir des messes pour le repos de son âme.

– Vous n’êtes pas nommée Lionne pour rien, ma chère, dit madame de Chevreuse de sa place, et vous mordez rudement.

– Vous maltraitez fort un grand poète, ce me semble, madame, hasarda Raoul.

– Un grand poète, lui?… Allons, on voit bien, vicomte, que vous arrivez de province, comme vous me le disiez tout à l’heure, et que vous ne l’avez jamais vu. Lui! un grand poète? Eh! il a à peine cinq pieds.

– Bravo! bravo! dit un grand homme sec et noir avec une moustache orgueilleuse et une énorme rapière. Bravo, belle Paulet! il est temps enfin de remettre ce petit Voiture à sa place. Je déclare hautement que je crois me connaître en poésie, et que j’ai toujours trouvé la sienne fort détestable.

– Quel est donc ce capitan, monsieur? demanda Raoul à Athos.

– M. de Scudéry.

– L’auteur de la Clélie et du Grand Cyrus?

– Qu’il a composés de compte à demi avec sa sœur, qui cause en ce moment avec cette jolie personne, là-bas, près de M. Scarron.

Raoul se retourna et vit effectivement deux figures nouvelles qui venaient d’entrer: l’une toute charmante, toute frêle, toute triste, encadrée dans de beaux cheveux noirs, avec des yeux veloutés comme ces belles fleurs violettes de la pensée sous lesquelles étincelle un calice d’or; l’autre femme, semblant tenir celle-ci sous sa tutelle, était froide, sèche et jaune, une véritable figure de duègne ou de dévote.

Raoul se promit bien de ne pas sortir du salon sans avoir parlé à la belle jeune fille aux yeux veloutés qui, par un étrange jeu de la pensée, venait, quoiqu’elle n’eût aucune ressemblance avec elle, de lui rappeler sa pauvre petite Louise qu’il avait laissée souffrante au château de La Vallière, et qu’au milieu de tout ce monde il avait oubliée un instant.

Pendant ce temps, Aramis s’était approché du coadjuteur, qui, avec une mine toute rieuse, lui avait glissé quelques mots à l’oreille. Aramis, malgré sa puissance sur lui-même, ne put s’empêcher de faire un léger mouvement.

– Riez donc, lui dit M. de Retz; on nous regarde.

Et il le quitta pour aller causer avec madame de Chevreuse, qui avait un grand cercle autour d’elle.

Aramis feignit de rire pour dépister l’attention de quelques auditeurs curieux, et, s’apercevant qu’à son tour Athos était allé se mettre dans l’embrasure de la fenêtre où il était resté quelque temps, il s’en fut, après avoir jeté quelques mots à droite et à gauche, le rejoindre sans affectation.

Aussitôt qu’ils se furent rejoints, ils entamèrent une conversation accompagnée de force gestes.

Raoul alors s’approcha d’eux, comme le lui avait recommandé Athos.

– C’est un rondeau de M. Voiture que me débite M. l’abbé, dit Athos à haute voix, et que je trouve incomparable.

Raoul demeura quelques instants près d’eux, puis il alla se confondre au groupe de madame de Chevreuse, dont s’étaient rapprochées mademoiselle Paulet d’un côté et mademoiselle de Scudéry de l’autre.

– Eh bien! moi, dit le coadjuteur, je me permettrai de n’être pas tout à fait de l’avis de M. de Scudéry; je trouve au contraire que M. de Voiture est un poète, mais un pur poète. Les idées politiques lui manquent complètement.

– Ainsi donc? demanda Athos.

– C’est demain, dit précipitamment Aramis.

– À quelle heure?

– À six heures.

– Où cela?

– À Saint-Mandé.

– Qui vous l’a dit?

– Le comte de Rochefort.

Quelqu’un s’approchait.

– Et les idées philosophiques? C’étaient celles-là qui lui manquaient à ce pauvre Voiture. Moi je me range à l’avis de M. le coadjuteur: pur poète.

– Oui certainement, en poésie il était prodigieux, dit Ménage, et toutefois la postérité, tout en l’admirant, lui reprochera une chose, c’est d’avoir amené dans la facture du vers une trop grande licence; il a tué la poésie sans le savoir.

– Tué, c’est le mot, dit Scudéry.

– Mais quel chef-d’œuvre que ses lettres, dit madame de Chevreuse.

– Oh! sous ce rapport, dit mademoiselle de Scudéry, c’est un illustre complet.

– C’est vrai, répliqua mademoiselle Paulet, mais tant qu’il plaisante, car dans le genre épistolaire sérieux il est pitoyable, et s’il ne dit les choses très crûment, vous conviendrez qu’il les dit fort mal.

– Mais vous conviendrez au moins que dans la plaisanterie il est inimitable.

– Oui, certainement, reprit Scudéry en tordant sa moustache; je trouve seulement que son comique est forcé et sa plaisanterie est par trop familière. Voyez sa Lettre de la Carpe au Brochet.

– Sans compter, reprit Ménage, que ses meilleures inspirations lui venaient de l’hôtel Rambouillet. Voyez Zélide et Alcidalis.

– Quant à moi, dit Aramis en se rapprochant du cercle et en saluant respectueusement madame de Chevreuse, qui lui répondit par un gracieux sourire; quant à moi, je l’accuserai encore d’avoir été trop libre avec les grands. Il a manqué souvent à madame la Princesse, à M. le maréchal d’Albert, à M. de Schomberg, à la reine elle-même.

– Comment, à la reine? demanda Scudéry en avançant la jambe droite comme pour se mettre en garde. Morbleu! je ne savais pas cela. Et comment donc a-t-il manqué à Sa Majesté?

– Ne connaissez-vous donc pas sa pièce: Je pensais?

– Non, dit madame de Chevreuse.

– Non, dit mademoiselle de Scudéry.

– Non, dit mademoiselle Paulet.

– En effet, je crois que la reine l’a communiquée à peu de personnes; mais moi je la tiens de mains sûres.

– Et vous la savez?

– Je me la rappellerais, je crois.

– Voyons! voyons! dirent toutes les voix.

– Voici dans quelle occasion la chose a été faite, dit Aramis. M. de Voiture était dans le carrosse de la reine, qui se promenait en tête à tête avec lui dans la forêt de Fontainebleau; il fit semblant de penser pour que la reine lui demandât à quoi il pensait, ce qui ne manqua point.

«- À quoi pensez-vous donc, monsieur de Voiture? demanda Sa Majesté.

«Voiture sourit, fit semblant de réfléchir cinq secondes pour qu’on crût qu’il improvisait, et répondit:

Je pensais que la destinée,

Après tant d’injustes malheurs,

Vous a justement couronnée

De gloire, d’éclat et d’honneurs;

Mais que vous étiez plus heureuse,

Lorsque vous étiez autrefois,

Je ne dirai pas amoureuse!…

La rime le veut toutefois.

Scudéry, Ménage et mademoiselle Paulet haussèrent les épaules.

– Attendez, attendez, dit Aramis, il y a trois strophes.

– Oh! dites trois couplets, dit mademoiselle de Scudéry, c’est tout au plus une chanson.

Je pensais que ce pauvre Amour,

Qui toujours vous prêta ses armes,

Est banni loin de votre cour,

Sans ses traits, son arc et ses charmes;

Et de quoi puis-je profiter,

En pensant près de vous, Marie,

Si vous pouvez si maltraiter

Ceux qui vous ont si bien servie?

– Oh! quant à ce dernier trait, dit madame de Chevreuse, je ne sais s’il est dans les règles poétiques, mais je demande grâce pour lui comme vérité et madame de Hautefort et madame de Sennecey se joindront à moi s’il le faut, sans compter M. de Beaufort.

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