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– Qui se rattache à celui-là?

– Oui et non.

– Ma foi, dit madame de Chevreuse, dites toujours; d’un homme comme vous je risque tout.

Athos salua.

– Aramis, continua-t-il, était lié avec une jeune lingère de Tours.

– Une jeune lingère de Tours? dit madame de Chevreuse.

– Oui une cousine à lui, qu’on appelait Marie Michon.

– Ah! je la connais, s’écria madame de Chevreuse, c’est celle à laquelle il écrivait du siège de La Rochelle pour la prévenir d’un complot qui se tramait contre ce pauvre Buckingham.

– Justement, dit Athos; voulez-vous bien me permettre de vous parler d’elle?

Madame de Chevreuse regarda Athos.

– Oui, dit-elle, pourvu que vous n’en disiez pas trop de mal.

– Je serais un ingrat, dit Athos, et je regarde l’ingratitude, non pas comme un défaut ou un crime, Mais comme un vice, ce qui est bien pis.

– Vous, ingrat envers Marie Michon, monsieur? dit madame de Chevreuse essayant de lire dans les yeux d’Athos. Mais comment cela pourrait-il être? Vous ne l’avez jamais connue personnellement.

– Eh! madame, qui sait? reprit Athos. Il y a un proverbe populaire qui dit qu’il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas, et les proverbes populaires sont quelquefois d’une justesse incroyable.

– Oh! continuez, monsieur, continuez! dit vivement madame de Chevreuse; car vous ne pouvez vous faire une idée combien cette conversation m’amuse.

– Vous m’encouragez, dit Athos; je vais donc poursuivre. Cette cousine d’Aramis, cette Marie Michon, cette jeune lingère, enfin, malgré sa condition vulgaire, avait les plus hautes connaissances; elle appelait les plus grandes dames de la cour ses amies, et la reine, toute fière qu’elle est, en sa double qualité d’Autrichienne et d’Espagnole, l’appelait sa sœur.

– Hélas, dit madame de Chevreuse avec un léger soupir et un petit mouvement de sourcils qui n’appartenait qu’à elle, les choses sont bien changées depuis ce temps-là.

– Et la reine avait raison, continua Athos; car elle lui était fort dévouée, dévouée au point de lui servir d’intermédiaire avec son frère le roi d’Espagne.

– Ce qui, reprit la duchesse, lui est imputé aujourd’hui à grand crime.

– Si bien, continua Athos, que le cardinal, le vrai cardinal, l’autre, résolut un beau matin de faire arrêter la pauvre Marie Michon et de la faire conduire au château de Loches.

Heureusement que la chose ne put se faire si secrètement que la chose ne transpirât; le cas était prévu: si Marie Michon était menacée de quelque danger, la reine devait lui faire parvenir un livre d’heures relié en velours vert.

– C’est cela, monsieur! vous êtes bien instruit.

– Un matin le livre vert arriva apporté par le prince de Marcillac. Il n’y avait pas de temps à perdre. Par bonheur, Marie Michon et une suivante qu’elle avait, nommée Ketty, portaient admirablement les habits d’hommes. Le prince leur procura, à Marie Michon un habit de cavalier, à Ketty un habit de laquais, leur remit deux excellents chevaux, et les deux fugitives quittèrent rapidement Tours, se dirigeant vers l’Espagne, tremblant au moindre bruit, suivant les chemins détournés, parce qu’elles n’osaient suivre les grandes routes, et demandant l’hospitalité quand elles ne trouvaient pas d’auberge.

– Mais, en vérité, c’est que c’est cela tout à fait! s’écria madame de Chevreuse en frappant ses mains l’une dans l’autre. Il serait vraiment curieux…

Elle s’arrêta.

– Que je suivisse les deux fugitives jusqu’au bout de leur voyage? dit Athos. Non, madame, je n’abuserai pas ainsi de vos moments, et nous ne les accompagnerons que jusqu’à un petit village du Limousin situé entre Tulle et Angoulême, un petit village que l’on nomme Roche-l’Abeille.

Madame de Chevreuse jeta un cri de surprise et regarda Athos avec une expression d’étonnement qui fit sourire l’ancien mousquetaire.

– Attendez, madame, continua Athos, car ce qu’il me reste à vous dire est bien autrement étrange que ce que je vous ai dit.

– Monsieur, dit madame de Chevreuse, je vous tiens pour sorcier, je m’attends à tout; mais en vérité…

n’importe, allez toujours.

– Cette fois la journée avait été longue et fatigante; il faisait froid; c’était le 11 octobre; ce village ne présentait ni auberge ni château, les maisons des paysans étaient pauvres et sales. Marie Michon était une personne fort aristocrate; comme la reine sa sœur, elle était habituée aux bonnes odeurs et au linge fin elle résolut donc de demander l’hospitalité au presbytère.

Athos fit une pause.

– Oh! continuez, dit la duchesse, je vous ai prévenu que je m’attendais à tout.

– Les deux voyageuses frappèrent à la porte; il était tard; le prêtre, qui était couché, leur cria d’entrer; elles entrèrent, car la porte n’était point fermée. La confiance est grande dans les villages. Une lampe brûlait dans la chambre où était le prêtre. Marie Michon, qui faisait bien le plus charmant cavalier de la terre, poussa la porte, passa la tête et demanda l’hospitalité.

«- Volontiers, mon jeune cavalier, dit le prêtre, si vous voulez vous contenter des restes de mon souper et de la moitié de ma chambre.

«Les deux voyageuses se consultèrent un instant; le prêtre les entendit éclater de rire, puis le maître ou plutôt la maîtresse répondit:

«- Merci, monsieur le curé, j’accepte.

«- Alors, soupez et faites le moins de bruit possible, répondit le prêtre, car moi aussi j’ai couru toute la journée et ne serais pas fâché de dormir cette nuit.

Madame de Chevreuse marchait évidemment de surprise en étonnement et d’étonnement en stupéfaction; sa figure, en regardant Athos, avait pris une expression impossible à rendre; on voyait qu’elle eût voulu parler, et cependant elle se taisait, de peur de perdre une des paroles de son interlocuteur.

– Après? dit-elle.

– Après? dit Athos. Ah! voilà justement le plus difficile.

– Dites, dites, dites! On peut tout me dire à moi. D’ailleurs cela ne me regarde pas, et c’est l’affaire de mademoiselle Marie Michon.

– Ah! c’est juste, dit Athos. Eh bien! donc, Marie Michon soupa avec sa suivante, et, après avoir soupé, selon la permission qui lui avait été donnée, elle rentra dans la chambre où reposait son hôte, tandis que Ketty s’accommodait sur un fauteuil dans la première pièce, c’est-à-dire dans celle où l’on avait soupé.

– En vérité, monsieur, dit madame de Chevreuse, à moins que vous ne soyez le démon en personne, je ne sais pas comment vous pouvez connaître tous ces détails.

– C’était une charmante femme que cette Marie Michon, reprit Athos, une de ces folles créatures à qui passent sans cesse dans l’esprit les idées les plus étranges, un de ces êtres nés pour nous damner tous tant que nous sommes. Or, en pensant que son hôte était prêtre, il vint à l’esprit de la coquette que ce serait un joyeux souvenir pour sa vieillesse, au milieu de tant de souvenirs joyeux qu’elle avait déjà, que celui d’avoir damné un abbé.

– Comte, dit la duchesse, ma parole d’honneur, vous m’épouvantez!

– Hélas! reprit Athos, le pauvre abbé n’était pas un saint Ambroise, et, je le répète, Marie Michon était une adorable créature.

– Monsieur, s’écria la duchesse en saisissant les mains d’Athos, dites-moi tout de suite comment vous savez tous ces détails, ou je fais venir un moine du couvent des Vieux-Augustins et je vous exorcise.

Athos se mit à rire.

– Rien de plus facile, madame. Un cavalier, qui lui-même était chargé d’une mission importante, était venu demander une heure avant vous l’hospitalité au presbytère et cela au moment même où le curé, appelé auprès d’un mourant, quittait non seulement sa maison, mais le village pour toute la nuit. Alors l’homme de Dieu, plein de confiance dans son hôte, qui d’ailleurs était gentilhomme, lui avait abandonné maison, souper et chambre. C’était donc à l’hôte du bon abbé, et non à l’abbé lui-même, que Marie Michon était venue demander l’hospitalité.

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