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Cela fit passer deux ou trois bonnes journées à M. de Beaufort.

Cependant, le duc avait remarqué parmi ses gardes un homme porteur d’une assez bonne figure, et il l’amadouait d’autant plus qu’à chaque instant Grimaud lui déplaisait davantage. Or, un matin qu’il avait pris cet homme à part, et qu’il était parvenu à lui parler quelque temps en tête à tête, Grimaud entra, regarda ce qui se passait, puis s’approchant respectueusement du garde et du prince, il prit le garde par le bras.

– Que me voulez-vous? demanda brutalement le duc.

Grimaud conduisit le garde à quatre pas et lui montra la porte.

– Allez, dit-il.

Le garde obéit.

– Oh! mais, s’écria le prince, vous m’êtes insupportable: je vous châtierai.

Grimaud salua respectueusement.

– Monsieur l’espion, je vous romprai les os! s’écria le prince exaspéré.

Grimaud salua en reculant.

– Monsieur l’espion, continua le duc, je vous étranglerai de mes propres mains.

Grimaud salua en reculant toujours.

– Et cela, reprit le prince, qui pensait qu’autant valait en finir de suite, pas plus tard qu’à l’instant même.

Et il étendit ses deux mains crispées vers Grimaud, qui se contenta de pousser le garde dehors et de fermer la porte derrière lui.

En même temps il sentit les mains du prince qui s’abaissaient sur ses épaules, pareilles à deux tenailles de fer; il se contenta, au lieu d’appeler ou de se défendre, d’amener lentement son index à la hauteur de ses lèvres et de prononcer à demi-voix, en colorant sa figure de son plus charmant sourire, le mot:

– Chut!

C’était une chose si rare de la part de Grimaud qu’un geste, qu’un sourire et qu’une parole, que Son Altesse s’arrêta tout court, au comble de la stupéfaction.

Grimaud profita de ce moment pour tirer de la doublure de sa veste un charmant petit billet à cachet aristocratique, auquel sa longue station dans les habits de Grimaud n’avait pu faire perdre entièrement son premier parfum, et le présenta au duc sans prononcer une parole.

Le duc, de plus en plus étonné, lâcha Grimaud, prit le billet, et, reconnaissant l’écriture:

– De madame de Montbazon? s’écria-t-il.

Grimaud fit signe de la tête que oui.

Le duc déchira rapidement l’enveloppe, passa sa main sur ses yeux, tant il était ébloui, et lut ce qui suit:

«Mon cher duc,

Vous pouvez vous fier entièrement au brave garçon qui vous remettra ce billet, car c’est le valet d’un gentilhomme qui est à nous, et qui nous l’a garanti comme éprouvé par vingt ans de fidélité. Il a consenti à entrer au service de votre exempt et à s’enfermer avec vous à Vincennes, pour préparer et aider à votre fuite, de laquelle nous nous occupons.

Le moment de la délivrance approche; prenez patience et courage en songeant que, malgré le temps et l’absence, tous vos amis vous ont conservé les sentiments qu’ils vous avaient voués.

Votre toute et toujours affectionnée,

«MARIE DE MONTBAZON.»

«P.-S. - Je signe en toutes lettres, car ce serait par trop de vanité de penser qu’après cinq ans d’absence vous reconnaîtriez mes initiales.»

Le duc demeura un instant étourdi. Ce qu’il cherchait depuis cinq ans sans avoir pu le trouver, c’est-à-dire un serviteur, un aide, un ami, lui tombait tout à coup du ciel au moment où il s’y attendait le moins. Il regarda Grimaud avec étonnement et revint à sa lettre qu’il relut d’un bout à l’autre.

– Oh! chère Marie, murmura-t-il quand il eut fini, c’est donc bien elle que j’avais aperçue au fond de son carrosse! Comment, elle pense encore à moi après cinq ans de séparation! Morbleu! voilà une constance comme on n’en voit que dans l’Astrée.

Puis se retournant vers Grimaud:

– Et toi, mon brave garçon, ajouta-t-il, tu consens donc à nous aider?

Grimaud fit signe que oui.

– Et tu es venu ici pour cela?

Grimaud répéta le même signe.

– Et moi qui voulais t’étrangler! s’écria le duc.

Grimaud se prit à sourire.

– Mais attends, dit le duc.

Et il fouilla dans sa poche.

– Attends, continua-t-il en renouvelant l’expérience infructueuse une première fois, il ne sera pas dit qu’un pareil dévouement pour un petit-fils de Henri IV restera sans récompense.

Le mouvement du duc de Beaufort dénonçait la meilleure intention du monde. Mais une des précautions qu’on prenait à Vincennes était de ne pas laisser d’argent aux prisonniers.

Sur quoi Grimaud, voyant le désappointement du duc, tira de sa poche une bourse pleine d’or et la lui présenta.

– Voilà ce que vous cherchez, dit-il.

Le duc ouvrit la bourse et voulut la vider entre les mains de Grimaud, mais Grimaud secoua la tête.

– Merci, Monseigneur, ajouta-t-il en se reculant, je suis payé.

Le duc tombait de surprise en surprise.

Le duc lui tendit la main; Grimaud s’approcha et la lui baisa respectueusement. Les grandes manières d’Athos avaient déteint sur Grimaud.

– Et maintenant, demanda le duc, qu’allons-nous faire?

– Il est onze heures du matin, reprit Grimaud. Que Monseigneur, à deux heures, demande à faire une partie de paume avec La Ramée, et envoie deux ou trois balles par-dessus les remparts.

– Eh bien, après?

– Après… Monseigneur s’approchera des murailles et criera à un homme qui travaille dans les fossés de les lui renvoyer.

– Je comprends, dit le duc.

Le visage de Grimaud parut exprimer une vive satisfaction: le peu d’usage qu’il faisait d’habitude de la parole lui rendait la conversation difficile.

Il fit un mouvement pour se retirer.

– Ah çà! dit le duc, tu ne veux donc rien accepter?

– Je voudrais que Monseigneur me fît une promesse.

– Laquelle? parle.

– C’est que, lorsque nous nous sauverons, je passerai toujours et partout le premier; car si l’on rattrape Monseigneur, le plus grand risque qu’il coure est d’être réintégré dans sa prison, tandis que si l’on m’attrape, moi, le moins qui puisse m’arriver, c’est d’être pendu.

– C’est trop juste, dit le duc, et, foi de gentilhomme, il sera fait comme tu demandes.

– Maintenant, dit Grimaud, je n’ai plus qu’une chose à demander à Monseigneur: c’est qu’il continue de me faire l’honneur de me détester comme auparavant.

– Je tâcherai, dit le duc.

On frappa à la porte.

Le duc mit son billet et sa bourse dans sa poche et se jeta sur son lit. On savait que c’était sa ressource dans ses grands moments d’ennui. Grimaud alla ouvrir: c’était La Ramée qui venait de chez le cardinal, où s’était passée la scène que nous avons racontée.

La Ramée jeta un regard investigateur autour de lui, et voyant toujours les mêmes symptômes d’antipathie entre le prisonnier et son gardien, il sourit plein d’une satisfaction intérieure.

Puis se retournant vers Grimaud:

– Bien, mon ami, lui dit-il, bien. Il vient d’être parlé de vous en bon lieu, et vous aurez bientôt, je l’espère, des nouvelles qui ne vous seront point désagréables.

Grimaud salua d’un air qu’il tâcha de rendre gracieux et se retira, ce qui était son habitude quand son supérieur entrait.

– Eh bien, Monseigneur! dit La Ramée avec son gros rire, vous boudez donc toujours ce pauvre garçon?

– Ah! c’est vous, La Ramée, dit le duc; ma foi, il était temps que vous arrivassiez. Je m’étais jeté sur mon lit et j’avais tourné le nez au mur pour ne pas céder à la tentation de tenir ma promesse en étranglant ce scélérat de Grimaud.

– Je doute pourtant, dit La Ramée en faisant une spirituelle allusion au mutisme de son subordonné, qu’il ait dit quelque chose de désagréable à Votre Altesse.

– Je le crois pardieu bien! un muet d’Orient. Je vous jure qu’il était temps que vous revinssiez, La Ramée, et que j’avais hâte de vous revoir.

– Monseigneur est trop bon, dit La Ramée, flatté du compliment.

– Oui, continua le duc; en vérité, je me sens aujourd’hui d’une maladresse qui vous fera plaisir à voir.

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