Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Ah! misérable! s’écria d’Artagnan, prenant cet homme pour un larron et mettant l’épée à la main.

– Monsieur, s’écria l’homme, au nom du ciel, remettez votre épée au fourreau et ne me tuez pas sans m’entendre! Je ne suis pas un voleur, tant s’en faut! je suis un honnête bourgeois bien établi, ayant pignon sur rue. Je me nomme…

Eh! mais, je ne me trompe pas, vous êtes monsieur d’Artagnan!

– Et toi Planchet! s’écria le lieutenant.

– Pour vous servir, monsieur, dit Planchet au comble du ravissement, si j’en étais encore capable.

– Peut-être, dit d’Artagnan; mais que diable fais-tu à courir sur les toits à sept heures du matin dans le mois de janvier?

– Monsieur, dit Planchet, il faut que vous sachiez… Mais, au fait, vous ne devez peut-être pas le savoir.

– Voyons, quoi? dit d’Artagnan. Mais d’abord mets une serviette devant la vitre et tire les rideaux.

Planchet obéit, puis quand il eut fini:

– Eh bien? dit d’Artagnan.

– Monsieur, avant toute chose, dit le prudent Planchet, comment êtes-vous avec M. de Rochefort?

– Mais à merveille. Comment donc! Rochefort, mais tu sais bien que c’est maintenant un de mes meilleurs amis?

– Ah! tant mieux.

– Mais qu’a de commun Rochefort avec cette manière d’entrer dans ma chambre?

– Ah! voilà, monsieur! il faut vous dire d’abord que M. de Rochefort est…

Planchet hésita.

– Pardieu, dit d’Artagnan, je le sais bien, il est à la Bastille.

– C’est-à-dire qu’il y était, répondit Planchet.

– Comment, il y était! s’écria d’Artagnan; aurait-il eu le bonheur de se sauver?

– Ah! monsieur, s’écria à son tour Planchet, si vous appelez cela du bonheur, tout va bien; il faut donc vous dire qu’il paraît qu’hier on avait envoyé prendre M. de Rochefort à la Bastille.

– Et pardieu! je le sais bien, puisque c’est moi qui suis allé l’y chercher!

– Mais ce n’est pas vous qui l’y avez reconduit, heureusement pour lui; car si je vous eusse reconnu parmi l’escorte, croyez, monsieur, que j’ai toujours trop de respect pour vous…

– Achève donc, animal! voyons, qu’est-il donc arrivé?

– Eh bien! il est arrivé qu’au milieu de la rue de la Ferronnerie, comme le carrosse de M. de Rochefort traversait un groupe de peuple, et que les gens de l’escorte rudoyaient les bourgeois, il s’est élevé des murmures; le prisonnier a pensé que l’occasion était belle, il s’est nommé et a crié à l’aide. Moi j’étais là, j’ai reconnu le nom du comte de Rochefort; je me suis souvenu que c’était lui qui m’avait fait sergent dans le régiment de Piémont; j’ai dit tout haut que c’était un prisonnier, ami de M. le duc de Beaufort. On s’est émeuté, on a arrêté les chevaux, on a culbuté l’escorte. Pendant ce temps-là j’ai ouvert la portière, M. de Rochefort a sauté à terre et s’est perdu dans la foule. Malheureusement en ce moment-là une patrouille passait, elle s’est réunie aux gardes et nous a chargés. J’ai battu en retraite du côté de la rue Tiquetonne, j’étais suivi de près, je me suis réfugié dans la maison à côté de celle-ci; on l’a cernée, fouillée, mais inutilement; j’avais trouvé au cinquième une personne compatissante qui m’a fait cacher sous deux matelas. Je suis resté dans ma cachette, ou à peu près, jusqu’au jour, et, pensant qu’au soir on allait peut-être recommencer les perquisitions, je me suis aventuré sur les gouttières, cherchant une entrée d’abord, puis ensuite une sortie dans une maison quelconque, mais qui ne fût point gardée. Voilà mon histoire, et sur l’honneur, monsieur, je serais désespéré qu’elle vous fût désagréable.

– Non pas, dit d’Artagnan, au contraire, et je suis, ma foi, bien aise que Rochefort soit en liberté; mais sais-tu bien une chose: c’est que si tu tombes dans les mains des gens du roi, tu seras pendu sans miséricorde?

– Pardieu, si je le sais! dit Planchet; c’est bien ce qui me tourmente même, et voilà pourquoi je suis si content de vous avoir retrouvé; car si vous voulez me cacher, personne ne le peut mieux que vous.

– Oui, dit d’Artagnan, je ne demande pas mieux, quoique je ne risque ni plus ni moins que mon grade, s’il était reconnu que j’ai donné asile à un rebelle.

– Ah! monsieur, vous savez bien que moi je risquerais ma vie pour vous.

– Tu pourrais même ajouter que tu l’as risquée, Planchet. Je n’oublie que les choses que je dois oublier, et quant à celle-ci, je veux m’en souvenir. Assieds-toi donc là, mange tranquille, car je m’aperçois que tu regardes les restes de mon souper avec un regard des plus expressifs.

– Oui, monsieur, car le buffet de la voisine était fort mal garni en choses succulentes, et je n’ai mangé depuis hier midi qu’une tartine de pain et de confitures. Quoique je ne méprise pas les douceurs quand elles viennent en leur lieu et place, j’ai trouvé le souper un peu bien léger.

– Pauvre garçon! dit d’Artagnan; eh bien! voyons, remets-toi!

– Ah! monsieur, vous me sauvez deux fois la vie, dit Planchet.

Et il s’assit à la table, où il commença à dévorer comme aux beaux jours de la rue des Fossoyeurs.

D’Artagnan continuait de se promener de long en large; il cherchait dans son esprit tout le parti qu’il pouvait tirer de Planchet dans les circonstances où il se trouvait. Pendant ce temps, Planchet travaillait de son mieux à réparer les heures perdues.

Enfin il poussa ce soupir de satisfaction de l’homme affamé, qui indique qu’après avoir pris un premier et solide acompte il va faire une petite halte.

– Voyons, dit d’Artagnan, qui pensa que le moment était venu de commencer l’interrogatoire, procédons par ordre; sais-tu où est Athos?

– Non, monsieur, répondit Planchet.

– Diable! Sais-tu où est Porthos?

– Pas davantage.

– Diable, diable!

– Et Aramis?

– Non plus.

– Diable, diable, diable!

– Mais, dit Planchet de son air narquois, je sais où est Bazin.

– Comment! tu sais où est Bazin?

– Oui, monsieur.

– Et où est-il?

– À Notre-Dame.

– Et que fait-il à Notre-Dame?

– Il est bedeau.

– Bazin bedeau à Notre-Dame! Tu en es sûr?

– Parfaitement sûr; je l’ai vu, je lui ai parlé.

– Il doit savoir où est son maître.

– Sans aucun doute.

D’Artagnan réfléchit, puis il prit son manteau et son épée et s’apprêta à sortir.

– Monsieur, dit Planchet d’un air lamentable, m’abandonnez-vous ainsi? songez que je n’ai d’espoir qu’en vous!

– Mais on ne viendra pas te chercher ici, dit d’Artagnan.

– Enfin, si on y venait, dit le prudent Planchet, songez que pour les gens de la maison, qui ne m’ont pas vu entrer, je suis un voleur.

– C’est juste, dit d’Artagnan; voyons, parles-tu un patois quelconque?

– Je parle mieux que cela, monsieur, dit Planchet, je parle une langue; je parle le flamand.

– Et où diable l’as-tu appris?

– En Artois, où j’ai fait la guerre deux ans. Écoutez Goeden morgen, mynheer! ith ben begeeray te weeten the gesond bects omstand.

– Ce qui veut dire?

– Bonjour, monsieur! je m’empresse de m’informer de l’état de votre santé.

– Il appelle cela une langue! Mais, n’importe, dit d’Artagnan, cela tombe à merveille.

D’Artagnan alla à la porte, appela un garçon et lui ordonna de dire à la belle Madeleine de monter.

– Que faites-vous, monsieur, dit Planchet, vous allez confier notre secret à une femme!

– Sois tranquille, celle-là ne soufflera pas le mot.

En ce moment l’hôtesse entra. Elle accourait l’air riant, s’attendant à trouver d’Artagnan seul; mais, en apercevant Planchet, elle recula d’un air étonné.

– Ma chère hôtesse, dit d’Artagnan, je vous présente monsieur votre frère qui arrive de Flandre, et que je prends pour quelques jours à mon service.

– Mon frère! dit l’hôtesse de plus en plus étonnée.

– Souhaitez donc le bonjour à votre sœur, master Peter.

– Vilkom, zuster! dit Planchet.

17
{"b":"125143","o":1}