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Aramis mangea rapidement un morceau, but un verre de vin et changea d’habits.

– Maintenant, dit-il, je, me rends chez Sa Grandeur. Chargez-vous de préparer les armes, Porthos; surveillez bien votre bourreau, d’Artagnan.

– Soyez tranquille, Grimaud a relevé Mousqueton, et il a le pied dessus.

– N’importe, redoublez de surveillance et ne demeurez pas un instant inactif.

– Inactif! Mon cher, demandez à Porthos: je ne vis pas, je suis sans cesse sur mes jambes, j’ai l’air d’un danseur. Mordioux! que j’aime la France en ce moment, et qu’il est bon d’avoir une patrie à soi, quand on est si mal dans celle des autres.

Aramis les quitta comme il avait quitté Athos, c’est-à-dire en les embrassant; puis il se rendit chez l’évêque Juxon, auquel il transmit sa requête. Juxon consentit d’autant plus facilement à emmener Aramis, qu’il avait déjà prévenu qu’il aurait besoin d’un prêtre, au cas certain où le roi voudrait communier, et surtout au cas probable où le roi désirerait entendre une messe.

Vêtu comme Aramis l’était la veille, l’évêque monta dans sa voiture. Aramis, plus déguisé encore par sa pâleur et sa tristesse que par son costume de diacre, monta près de lui. La voiture s’arrêta à la porte de White-Hall; il était neuf heures du matin à peu près. Rien ne semblait changé; les antichambres et les corridors, comme la veille, étaient pleins de gardes. Deux sentinelles veillaient à la porte du roi, deux autres se promenaient devant le balcon sur la plate-forme de l’échafaud, où le billot était déjà posé.

Le roi était plein d’espérance; en revoyant Aramis, cette espérance se changea en joie. Il embrassa Juxon, il serra la main d’Aramis. L’évêque affecta de parler haut et devant tout le monde de leur entrevue de la veille. Le roi lui répondit que les paroles qu’il lui avait dites dans cette entrevue avaient porté leur fruit, et qu’il désirait encore un entretien pareil. Juxon se retourna vers les assistants et les pria de le laisser seul avec le roi. Tout le monde se retira.

Dès que la porte se fut refermée:

– Sire, dit Aramis avec rapidité, vous êtes sauvé! Le bourreau de Londres a disparu; son aide s’est cassé la cuisse hier sous les fenêtres de Votre Majesté. Ce cri que nous avons entendu, c’était le sien. Sans doute on s’est déjà aperçu de la disparition de l’exécuteur; mais il n’y a de bourreau qu’à Bristol, et il faut le temps de l’aller chercher. Nous avons donc au moins jusqu’à demain.

– Mais le comte de La Fère? demanda le roi.

– À deux pieds de vous, sire. Prenez le poker du brasier et frappez trois coups, vous allez l’entendre vous répondre.

Le roi, d’une main tremblante, prit l’instrument et frappa trois coups à intervalles égaux. Aussitôt des coups sourds et ménagés, répondant au signal donné, retentirent sous le parquet.

– Ainsi, dit le roi, celui qui me répond là…

– Est le comte de La Fère, sire, dit Aramis. Il prépare la voie par laquelle Votre Majesté pourra fuir. Parry, de son côté, soulèvera cette dalle de marbre, et un passage sera tout ouvert.

– Mais, dit Parry, je n’ai aucun instrument.

– Prenez ce poignard, dit Aramis; seulement prenez garde de le trop émousser, car vous pourrez bien en avoir besoin pour creuser autre chose que la pierre.

– Oh! Juxon, dit Charles, se retournant vers l’évêque et lui prenant les deux mains, Juxon, retenez la prière de celui qui fut votre roi…

– Qui l’est encore et qui le sera toujours, dit Juxon en baisant la main du prince.

– Priez toute votre vie pour ce gentilhomme que vous voyez, pour cet autre que vous entendez sous nos pieds, pour deux autres encore qui, quelque part qu’ils soient, veillent, j’en suis sûr, à mon salut.

– Sire répondit Juxon, vous serez obéi. Chaque jour il y aura, tant que je vivrai, une prière offerte à Dieu pour ces fidèles amis de Votre Majesté.

Le mineur continua quelque temps encore son travail, qu’on sentait incessamment se rapprocher. Mais tout à coup un bruit inattendu retentit dans la galerie. Aramis saisit le poker et donna le signal de l’interruption.

Ce bruit se rapprochait: c’était celui d’un certain nombre de pas égaux et réguliers. Les quatre hommes restèrent immobiles; tous les yeux se fixèrent sur la porte, qui s’ouvrit lentement et avec une sorte de solennité.

Des gardes étaient formés en haie dans la chambre qui précédait celle du roi. Un commissaire du parlement, vêtu de noir et plein d’une gravité de mauvais augure, entra, salua le roi, et déployant un parchemin, lui lut son arrêt comme on a l’habitude de le faire aux condamnés qui vont marcher à l’échafaud.

– Que signifie cela? demanda Aramis à Juxon.

Juxon fit un signe qui voulait dire qu’il était en tout point aussi ignorant que lui.

– C’est donc pour aujourd’hui? demanda le roi avec une émotion perceptible seulement pour Juxon et Aramis.

– N’étiez-vous point prévenu, sire, que c’était pour ce matin? répondit l’homme vêtu de noir.

– Et, dit le roi, je dois périr comme un criminel ordinaire, de la main du bourreau de Londres?

– Le bourreau de Londres a disparu, sire, dit le commissaire du parlement; mais à sa place un homme s’est offert. L’exécution ne sera donc retardée que du temps seulement que vous demanderez pour mettre ordre à vos affaires temporelles et spirituelles.

Une légère sueur qui perla à la racine des cheveux de Charles fut la seule trace d’émotion qu’il donna en apprenant cette nouvelle.

Mais Aramis devint livide. Son cœur ne battait plus: il ferma les yeux et appuya sa main sur une table. En voyant cette profonde douleur, Charles parut oublier la sienne.

Il alla à lui, lui prit la main et l’embrassa.

– Allons, ami, dit-il avec un doux et triste sourire, du courage.

Puis se retournant vers le commissaire:

– Monsieur, dit-il, je suis prêt. Vous le voyez, je ne désire que deux choses qui ne vous retarderont pas beaucoup, je crois: la première, de communier; la seconde, d’embrasser mes enfants et de leur dire adieu pour la dernière fois; cela me sera-t-il permis?

– Oui, sire, répondit le commissaire du parlement.

Et il sortit.

Aramis, rappelé à lui, s’enfonçait les ongles dans la chair, un immense gémissement sortit de sa poitrine.

– Oh! Monseigneur, s’écria-t-il en saisissant les mains de Juxon, où est Dieu? où est Dieu?

– Mon fils, dit avec fermeté l’évêque, vous ne le voyez point, parce que les passions de la terre le cachent.

– Mon enfant, dit le roi à Aramis, ne te désole pas ainsi. Tu demandes ce que fait Dieu? Dieu regarde ton dévouement et mon martyre, et, crois-moi, l’un et l’autre auront leur récompense; prends-t’en donc de ce qui arrive aux hommes, et non à Dieu. Ce sont les hommes qui me font mourir, ce sont les hommes qui te font pleurer.

– Oui, sire, dit Aramis, oui, vous avez raison; c’est aux hommes qu’il faut que je m’en prenne, et c’est à eux que je m’en prendrai.

– Asseyez-vous, Juxon, dit le roi en tombant à genoux, car il vous reste à m’entendre, et il me reste à me confesser. Restez, monsieur, dit-il à Aramis qui faisait un mouvement pour se retirer; restez, Parry, je n’ai rien à dire, même dans le secret de la pénitence, qui ne puisse se dire en face de tous; restez, et je n’ai qu’un regret, c’est que le monde entier ne puisse pas m’entendre comme vous et avec vous.

Juxon s’assit, et le roi, agenouillé devant lui comme le plus humble des fidèles, commença sa confession.

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