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– Oui, l’ordre écrit, dit Porthos, qui commençait à comprendre l’intention de d’Artagnan; on ne vous demande que cela.

Si bonne envie que Mordaunt eût d’avoir recours à la violence, il était homme à très bien reconnaître pour bonnes les raisons que lui donnait d’Artagnan. D’ailleurs sa réputation lui imposait, et, ce qu’il lui avait vu faire le matin venant en aide à sa réputation, il réfléchit. Puis, ignorant complètement les relations de profonde amitié qui existaient entre les quatre Français, toutes ses inquiétudes avaient disparu devant le motif, fort plausible d’ailleurs, de la rançon.

Il résolut donc d’aller non seulement chercher l’ordre, mais encore les deux mille pistoles auxquelles il avait estimé lui-même les deux prisonniers.

Mordaunt remonta donc à cheval, et, après avoir recommandé au sergent de faire bonne garde, il tourna bride et disparut.

– Bon! dit d’Artagnan, un quart d’heure pour aller à la tente, un quart d’heure pour revenir, c’est plus qu’il ne nous en faut.

Puis, revenant à Porthos, sans que son visage exprimât le moindre changement, de sorte que ceux qui l’épiaient eussent pu croire qu’il continuait la même conversation:

– Ami Porthos, lui dit-il en le regardant en face, écoutez bien ceci… D’abord, pas un seul mot à nos amis de ce que vous venez d’entendre; il est inutile qu’ils sachent le service que nous leur rendons.

– Bien, dit Porthos, je comprends.

– Allez-vous-en à l’écurie, vous y trouverez Mousqueton, vous sellerez les chevaux, vous leur mettrez les pistolets dans les fontes, vous les ferez sortir, et vous les conduirez dans la rue d’en bas, afin qu’il n’y ait plus qu’à monter dessus; le reste me regarde.

Porthos ne fit pas la moindre observation, et obéit avec cette sublime confiance qu’il avait en son ami.

– J’y vais, dit-il; seulement, entrerai-je dans la chambre où sont ces messieurs?

– Non, c’est inutile.

– Eh bien! faites-moi le plaisir d’y prendre ma bourse que j’ai laissée sur la cheminée.

– Soyez tranquille.

Porthos s’achemina de son pas calme et tranquille vers l’écurie, et passa au milieu des soldats qui ne purent, tout Français qu’il était, s’empêcher d’admirer sa haute taille et ses membres vigoureux. À l’angle de la rue, il rencontra Mousqueton, qu’il emmena avec lui.

Alors d’Artagnan rentra tout en sifflotant un petit air qu’il avait commencé au départ de Porthos.

– Mon cher Athos, je viens de réfléchir à vos raisonnements, et ils m’ont convaincu; décidément je regrette de m’être trouvé à toute cette affaire. Vous l’avez dit, Mazarin est un cuistre. Je suis donc résolu de fuir avec vous. Pas de réflexions, tenez-vous prêts; vos deux épées sont dans le coin, ne les oubliez pas, c’est un outil qui, dans les circonstances où nous nous trouvons, peut être fort utile; cela me rappelle la bourse de Porthos. Bon! la voilà.

Et d’Artagnan mit la bourse dans sa poche. Les deux amis le regardaient faire avec stupéfaction.

– Eh bien! qu’y a-t-il donc d’étonnant? dit d’Artagnan, je vous le demande. J’étais aveugle: Athos m’a fait voir clair, voilà tout. Venez ici.

Les deux amis s’approchèrent.

– Voyez-vous cette rue? dit d’Artagnan, c’est là que seront les chevaux; vous sortirez par la porte, vous tournerez à gauche, vous sauterez en selle, et tout sera dit; ne vous inquiétez de rien que de bien écouter le signal. Ce signal sera quand je crierai: «Jésus Seigneur!»

– Mais, vous, votre parole que vous viendrez, d’Artagnan! dit Athos.

– Sur Dieu, je vous le jure!

– C’est dit, s’écria Aramis. Au cri de: «Jésus Seigneur!» nous sortons, nous renversons tout ce qui s’oppose à notre passage, nous courons à nos chevaux, nous sautons en selle, et nous piquons; est-ce cela?

– À merveille!

– Voyez, Aramis, dit Athos, je vous le dis toujours, d’Artagnan est le meilleur de nous tous.

– Bon! dit d’Artagnan, des compliments, je me sauve. Adieu.

– Et vous fuyez avec nous, n’est-ce pas?

– Je le crois bien. N’oubliez pas le signal: «Jésus Seigneur!»

Et il sortit du même pas qu’il était entré, en reprenant l’air qu’il sifflotait en entrant à l’endroit où il l’avait interrompu.

Les soldats jouaient ou dormaient; deux chantaient faux dans un coin le psaume: Super flumina Babylonis.

D’Artagnan appela le sergent.

– Mon cher monsieur, lui dit-il, le général Cromwell m’a fait demander par M. Mordaunt; veillez bien, je vous prie, sur les prisonniers.

Le sergent fit signe qu’il ne comprenait pas le français.

Alors d’Artagnan essaya de lui faire comprendre par gestes ce qu’il n’avait pu comprendre par paroles.

Le sergent fit signe que c’était bien.

D’Artagnan descendit vers l’écurie: il trouva les cinq chevaux sellés, le sien comme les autres.

– Prenez chacun un cheval en main, dit-il à Porthos et à Mousqueton, tournez à gauche de façon qu’Athos et Aramis vous voient bien de leur fenêtre.

– Ils vont venir alors? dit Porthos.

– Dans un instant.

– Vous n’avez pas oublié ma bourse?

– Non, soyez tranquille.

– Bon.

Et Porthos et Mousqueton, tenant chacun un cheval en main, se rendirent à leur poste.

Alors d’Artagnan, resté seul, battit le briquet, alluma un morceau d’amadou deux fois grand comme une lentille, monta à cheval, et vint s’arrêter tout au milieu des soldats, en face de la porte.

Là, tout en flattant l’animal de la main, il lui introduisit le petit morceau d’amadou dans l’oreille.

Il fallait être aussi bon cavalier que l’était d’Artagnan pour risquer un pareil moyen, car à peine l’animal eut-il senti la brûlure ardente qu’il jeta un cri de douleur, se cabra et bondit comme s’il devenait fou.

Les soldats, qu’il menaçait d’écraser, s’éloignèrent précipitamment.

– À moi! à moi! criait d’Artagnan. Arrêtez! arrêtez! mon cheval a le vertige.

En effet, en un instant, le sang parut lui sortir des yeux et il devint blanc d’écume.

– À moi! criait toujours d’Artagnan sans que les soldats osassent venir à son aide. À moi! me laisserez-vous tuer? Jésus Seigneur!

À peine d’Artagnan avait-il poussé ce cri, que la porte s’ouvrit, et qu’Athos et Aramis l’épée à la main s’élancèrent. Mais grâce à la ruse de d’Artagnan, le chemin était libre.

– Les prisonniers qui se sauvent! les prisonniers qui se sauvent! cria le sergent.

– Arrête! arrête! cria d’Artagnan en lâchant la bride à son cheval furieux, qui s’élança renversant deux ou trois hommes.

– Stop! stop! crièrent les soldats en courant à leurs armes.

Mais les prisonniers étaient déjà en selle, et une fois en selle ils ne perdirent pas de temps, s’élançant vers la porte la plus prochaine. Au milieu de la rue ils aperçurent Grimaud et Blaisois, qui revenaient cherchant leurs maîtres.

D’un signe Athos fit tout comprendre à Grimaud, lequel se mit à la suite de la petite troupe qui semblait un tourbillon et que d’Artagnan, qui venait par derrière, aiguillonnait encore de la voix. Ils passèrent sous la porte comme des ombres, sans que les gardiens songeassent seulement à les arrêter, et se trouvèrent en rase campagne.

Pendant ce temps, les soldats criaient toujours: Stop! stop! et le sergent, qui commençait à s’apercevoir qu’il avait été dupe d’une ruse, s’arrachait les cheveux.

Sur ces entrefaites, on vit arriver un cavalier au galop et tenant un papier à la main.

C’était Mordaunt, qui revenait avec l’ordre.

– Les prisonniers? cria-t-il en sautant à bas de son cheval.

Le sergent n’eut pas la force de lui répondre, il lui montra la porte béante et la chambre vide. Mordaunt s’élança vers les degrés, comprit tout, poussa un cri comme si on lui eût déchiré les entrailles, et tomba évanoui sur la pierre.

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