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– La reine daigne-t-elle se conduire d’après mes avis?

– Dites.

– Que Votre Majesté veuille renvoyer M. de Comminges, en lui ordonnant de se renfermer, lui et ses hommes, dans le corps de garde et les écuries.

Comminges regarda d’Artagnan de ce regard envieux avec lequel tout courtisan voit poindre une fortune nouvelle.

– Vous avez entendu, Comminges? dit la reine.

D’Artagnan alla à lui, il avait reconnu avec sa sagacité ordinaire ce coup d’œil inquiet.

– Monsieur de Comminges, lui dit-il, pardonnez-moi; nous sommes tous deux serviteurs de la reine, n’est-ce pas? c’est mon tour de lui être utile, ne m’enviez donc pas ce bonheur.

Comminges s’inclina et sortit.

– Allons, se dit d’Artagnan, me voilà avec un ennemi de plus!

– Et maintenant, dit la reine en s’adressant à d’Artagnan, que faut-il faire? car, vous l’entendez, au lieu de se calmer le bruit redouble.

– Madame, répondit d’Artagnan, le peuple veut voir le roi, il faut qu’il le voie.

– Comment, qu’il le voie! où cela! sur le balcon?

– Non pas, Madame, mais ici, dans son lit, dormant.

– Oh! Votre Majesté, M. d’Artagnan a toute raison! s’écria Laporte.

La reine réfléchit et sourit en femme à qui la duplicité n’est pas étrangère.

– Au fait, murmura-t-elle.

– Monsieur Laporte, dit d’Artagnan, allez à travers les grilles du Palais-Royal annoncer au peuple qu’il va être satisfait et que, dans cinq minutes, non seulement il verra le roi, mais encore qu’il le verra dans son lit; ajoutez que le roi dort et que la reine prie que l’on fasse silence pour ne point le réveiller.

– Mais pas tout le monde, une députation de deux ou quatre personnes?

– Tout le monde, Madame.

– Mais ils nous tiendront jusqu’au jour, songez-y.

– Nous en aurons pour un quart d’heure. Je réponds de tout, Madame; croyez-moi, je connais le peuple c’est un grand enfant qu’il ne s’agit que de caresser. Devant le roi endormi, il sera muet, doux et timide comme un agneau.

– Allez, Laporte, dit la reine.

Le jeune roi se rapprocha de sa mère.

– Pourquoi faire ce que ces gens demandent? dit-il.

– Il le faut, mon fils, dit Anne d’Autriche.

– Mais alors, si on me dit il le faut, je ne suis donc plus roi?

La reine resta muette.

– Sire, dit d’Artagnan, Votre Majesté me permettra-t-elle de lui faire une question?

Louis XIV se retourna, étonné qu’on osât lui adresser la parole; la reine serra la main de l’enfant.

– Oui, monsieur, dit-il.

– Votre Majesté se rappelle-t-elle avoir, lorsqu’elle jouait dans le parc de Fontainebleau ou dans les cours du palais de Versailles, vu tout à coup le ciel se couvrir et entendu le bruit du tonnerre?

– Oui, sans doute.

– Eh bien! ce bruit du tonnerre, si bonne envie que Votre Majesté eût encore de jouer, lui disait: «Rentrez, sire, il le faut.»

– Sans doute, monsieur; mais aussi l’on m’a dit que le bruit du tonnerre, c’était la voix de Dieu.

– Eh bien! sire, dit d’Artagnan, écoutez le bruit du peuple, et vous verrez que cela ressemble beaucoup à celui du tonnerre.

En effet, en ce moment une rumeur terrible passait emportée par la brise de la nuit.

Tout à coup elle cessa.

– Tenez, sire, dit d’Artagnan, on vient de dire au peuple que vous dormiez; vous voyez bien que vous êtes toujours roi.

La reine regardait avec étonnement cet homme étrange que son courage éclatant faisait l’égal des plus braves, que son esprit fin et rusé faisait l’égal de tous.

Laporte entra.

– Eh bien, Laporte? demanda la reine.

– Madame, répondit-il, la prédiction de M. d’Artagnan s’est accomplie, ils se sont calmés comme par enchantement. On va leur ouvrir les portes, et dans cinq minutes ils seront ici.

– Laporte, dit la reine, si vous mettiez un de vos fils à la place du roi, nous partirions pendant ce temps.

– Si Sa Majesté l’ordonne, dit Laporte, mes fils, comme moi, sont au service de la reine.

– Non pas, dit d’Artagnan, car si l’un d’eux connaissait Votre Majesté et s’apercevait du subterfuge, tout serait perdu.

– Vous avez raison, monsieur, toujours raison, dit Anne d’Autriche. Laporte, couchez le roi.

Laporte posa le roi tout vêtu comme il était dans son lit, puis il le recouvrit jusqu’aux épaules avec le drap.

La reine se courba sur lui et l’embrassa au front.

– Faites semblant de dormir, Louis, dit-elle.

– Oui, dit le roi, mais je ne veux pas qu’un seul de ces hommes me touche.

– Sire, je suis là, dit d’Artagnan, et je vous réponds que si un seul avait cette audace, il la payerait de sa vie.

– Maintenant, que faut-il faire? demanda la reine, car je les entends.

– Monsieur Laporte, allez au-devant d’eux, et leur recommandez de nouveau le silence. Madame, attendez-là à la porte. Moi je suis au chevet du roi, tout prêt à mourir pour lui.

Laporte sortit, la reine se tint debout près de la tapisserie, d’Artagnan se glissa derrière les rideaux.

Puis on entendit la marche sourde et contenue d’une grande multitude d’hommes; la reine souleva elle-même la tapisserie en mettant un doigt sur sa bouche.

En voyant la reine, ces hommes s’arrêtèrent dans l’attitude du respect.

– Entrez, messieurs, entrez, dit la reine.

Il y eut alors parmi tout ce peuple un mouvement d’hésitation qui ressemblait à de la honte: il s’attendait à la résistance, il s’attendait à être contrarié, à forcer les grilles et à renverser les gardes; les grilles s’étaient ouvertes toutes seules, et le roi, ostensiblement du moins, n’avait à son chevet d’autre garde que sa mère.

Ceux qui étaient en tête balbutièrent et essayèrent de reculer.

– Entrez donc, messieurs, dit Laporte, puisque la reine le permet.

Alors un plus hardi que les autres se hasardant dépassa le seuil de la porte et s’avança sur la pointe du pied. Tous les autres l’imitèrent, et la chambre s’emplit silencieusement, comme si tous ces hommes eussent été les courtisans les plus humbles et les plus dévoués. Bien au-delà de la porte on apercevait les têtes de ceux qui, n’ayant pu entrer, se haussaient sur la pointe des pieds. D’Artagnan voyait tout à travers une ouverture qu’il avait faite au rideau; dans l’homme qui entra le premier il reconnut Planchet.

– Monsieur, lui dit la reine, qui comprit qu’il était le chef de toute cette bande, vous avez désiré voir le roi et j’ai voulu le montrer moi-même. Approchez, regardez-le et dites si nous avons l’air de gens qui veulent s’échapper.

– Non certes, répondit Planchet un peu étonné de l’honneur inattendu qu’il recevait.

– Vous direz donc à mes bons et fidèles Parisiens, reprit Anne d’Autriche avec un sourire à l’expression duquel d’Artagnan ne se trompa point, que vous avez vu le roi couché et dormant, ainsi que la reine prête à se mettre au lit à son tour.

– Je le dirai, Madame, et ceux qui m’accompagnent le diront tous ainsi que moi, mais…

– Mais quoi? demanda Anne d’Autriche.

– Que Votre Majesté me pardonne, dit Planchet, mais est-ce bien le roi qui est couché dans ce lit?

Anne d’Autriche tressaillit.

– S’il y a quelqu’un parmi vous tous qui connaisse le roi, dit-elle, qu’il s’approche et qu’il dise si c’est bien Sa Majesté qui est là.

Un homme enveloppé d’un manteau, dont en se drapant il se cachait le visage, s’approcha, se pencha sur le lit et regarda.

Un instant d’Artagnan crut que cet homme avait un mauvais dessein, et il porta la main à son épée; mais dans le mouvement que fit en se baissant l’homme au manteau, il découvrit une portion de son visage, et d’Artagnan reconnut le coadjuteur.

– C’est bien le roi, dit cet homme en se relevant. Dieu bénisse Sa Majesté!

– Oui, dit à demi-voix le chef, oui, Dieu bénisse Sa Majesté!

Et tous ces hommes, qui étaient entrés furieux, passant de la colère à la pitié, bénirent à leur tour l’enfant royal.

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