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– J’en demande pardon à Votre Majesté, dit d’Artagnan, mais j’ai voulu prendre ses ordres de sa bouche même.

– Vous savez de quoi il s’agit?

– Oui, Madame.

– Vous acceptez la mission que je vous confie?

– Avec reconnaissance.

– C’est bien; soyez ici à minuit.

– J’y serai.

– Monsieur d’Artagnan, dit la reine, je connais trop votre désintéressement pour vous parler de ma reconnaissance dans ce moment-ci, mais je vous jure que je n’oublierai pas ce second service comme j’ai oublié le premier.

– Votre Majesté est libre de se souvenir et d’oublier, et je ne sais pas ce qu’elle veut dire.

Et d’Artagnan s’inclina.

– Allez, monsieur, dit la reine avec son plus charmant sourire, allez et revenez à minuit.

Elle lui fit de la main un signe d’adieu, et d’Artagnan se retira; mais en se retirant il jeta les yeux sur la portière par laquelle était entrée la reine, et au bas de la tapisserie il aperçut le bout d’un soulier de velours.

– Bon, dit-il, le Mazarin écoutait pour voir si je ne le trahissais pas. En vérité, ce pantin d’Italie ne mérite pas d’être servi par un honnête homme.

D’Artagnan n’en fut pas moins exact au rendez-vous; à neuf heures et demie, il entrait dans l’antichambre.

Bernouin attendait et l’introduisit.

Il trouva le cardinal habillé en cavalier. Il avait fort bonne mine sous ce costume, qu’il portait, nous l’avons dit, avec élégance; seulement il était fort pâle et tremblait quelque peu.

– Tout seul? dit Mazarin.

– Oui, Monseigneur.

– Et ce bon M. du Vallon, ne jouirons-nous pas de sa compagnie?

– Si fait, Monseigneur, il attend dans son carrosse.

– Où cela?

– À la porte du jardin du Palais-Royal.

– C’est donc dans son carrosse que nous partons?

– Oui, Monseigneur.

– Et sans autre escorte que vous deux?

– N’est-ce donc pas assez? un des deux suffirait!

– En vérité, mon cher monsieur d’Artagnan, dit Mazarin, vous m’épouvantez avec votre sang-froid.

– J’aurais cru, au contraire, qu’il devait vous inspirer de la confiance.

– Et Bernouin, est-ce que je ne l’emmène pas?

– Il n’y a point de place pour lui, il viendra rejoindre Votre Éminence.

– Allons, dit Mazarin, puisqu’il faut faire en tout comme vous le voulez.

– Monseigneur, il est encore temps de reculer, dit d’Artagnan, et Votre Éminence est parfaitement libre.

– Non pas, non pas, dit Mazarin, partons.

Et tous deux descendirent par l’escalier dérobé, Mazarin appuyant au bras de d’Artagnan son bras que le mousquetaire sentait trembler sur le sien.

Ils traversèrent les cours du Palais-Royal, où stationnaient encore quelques carrosses de convives attardés, gagnèrent le jardin et atteignirent la petite porte.

Mazarin essaya de l’ouvrir à l’aide d’une clef qu’il tira de sa poche, mais la main lui tremblait tellement qu’il ne put trouver le trou de la serrure.

– Donnez, dit d’Artagnan.

Mazarin lui donna la clef, d’Artagnan ouvrit et remit la clef dans sa poche; il comptait rentrer par là.

Le marchepied était abaissé, la porte ouverte; Mousqueton se tenait à la portière, Porthos était au fond de la voiture.

– Montez, Monseigneur, dit d’Artagnan.

Mazarin ne se le fit pas dire à deux fois et il s’élança dans le carrosse.

D’Artagnan monta derrière lui, Mousqueton referma la portière et se hissa avec force gémissements derrière la voiture. Il avait fait quelques difficultés pour partir sous prétexte que sa blessure le faisait encore souffrir, mais d’Artagnan lui avait dit:

– Restez si vous voulez, mon cher monsieur Mouston, mais je vous préviens que Paris sera brûlé cette nuit.

Sur quoi Mousqueton n’en avait pas demandé davantage et avait déclaré qu’il était prêt à suivre son maître et M. d’Artagnan au bout du monde.

La voiture partit à un trot raisonnable et qui ne dénonçait pas le moins du monde qu’elle renfermât des gens pressés. Le cardinal s’essuya le front avec son mouchoir et regarda autour de lui.

Il avait à sa gauche Porthos et à sa droite d’Artagnan; chacun gardait une portière, chacun lui servait de rempart.

En face, sur la banquette de devant, étaient deux paires de pistolets, une paire devant Porthos, une paire devant d’Artagnan; les deux amis avaient en outre chacun son épée au côté.

À cent pas du Palais-Royal une patrouille arrêta le carrosse.

– Qui vive? dit le chef.

– Mazarin! répondit d’Artagnan en éclatant de rire.

Le cardinal sentit ses cheveux se dresser sur sa tête.

La plaisanterie parut excellente aux bourgeois, qui, voyant ce carrosse sans armes et sans escorte, n’eussent jamais cru à la réalité d’une pareille imprudence.

– Bon voyage! crièrent-ils.

Et ils laissèrent passer.

– Hein! dit d’Artagnan, que pense Monseigneur de cette réponse?

– Homme d’esprit! s’écria Mazarin.

– Au fait, dit Porthos, je comprends…

Vers le milieu de la rue des Petits-Champs, une seconde patrouille arrêta le carrosse.

– Qui vive? cria le chef de la patrouille.

– Rangez-vous, Monseigneur, dit d’Artagnan.

Et Mazarin s’enfonça tellement entre les deux amis, qu’il disparut complètement caché par eux.

– Qui vive? reprit la même voix avec impatience.

Et d’Artagnan sentit qu’on se jetait à la tête des chevaux.

Il sortit la moitié du corps du carrosse.

– Eh! Planchet, dit-il.

Le chef s’approcha: c’était effectivement Planchet. D’Artagnan avait reconnu la voix de son ancien laquais.

– Comment! monsieur, dit Planchet, c’est vous?

– Eh! mon Dieu, oui, mon cher ami. Ce cher Porthos vient de recevoir un coup d’épée, et je le reconduis à sa maison de campagne de Saint-Cloud.

– Oh! vraiment? dit Planchet.

– Porthos, reprit d’Artagnan, si vous pouvez encore parler, mon cher Porthos, dites donc un mot à ce bon Planchet.

– Planchet, mon ami, dit Porthos d’une voix dolente, je suis bien malade, et si tu rencontres un médecin, tu me feras plaisir de me l’envoyer.

– Ah! grand Dieu! dit Planchet, quel malheur! Et comment cela est-il arrivé?

– Je te conterai cela, dit Mousqueton.

Porthos poussa un profond gémissement.

– Fais-nous faire place, Planchet, dit tout bas d’Artagnan, ou il n’arrivera pas vivant: les poumons sont offensés, mon ami.

Planchet secoua la tête de l’air d’un homme qui dit: En ce cas, la chose va mal.

Puis, se retournant vers ses hommes:

– Laissez passer, dit-il, ce sont des amis.

La voiture reprit sa marche, et Mazarin, qui avait retenu son haleine, se hasarda à respirer.

– Bricconi! murmura-t-il.

Quelques pas avant la porte Saint-Honoré, on rencontra une troisième troupe; celle-ci était composée de gens de mauvaise mine et qui ressemblaient plutôt à des bandits qu’à autre chose: c’étaient les hommes du mendiant de Saint-Eustache.

– Attention, Porthos! dit d’Artagnan.

Porthos allongea la main vers ses pistolets.

– Qu’y a-t-il? dit Mazarin.

– Monseigneur, je crois que nous sommes en mauvaise compagnie.

Un homme s’avança à la portière avec une espèce de faux à la main.

– Qui vive? demanda cet homme.

– Eh! drôle, dit d’Artagnan, ne connaissez-vous pas le carrosse de M. le Prince?

– Prince ou non, dit cet homme, ouvrez! nous avons la garde de la porte, et personne ne passera que nous ne sachions qui passe.

– Que faut-il faire? demanda Porthos.

– Pardieu! passer, dit d’Artagnan.

– Mais comment passer? dit Mazarin.

– À travers ou dessus. Cocher, au galop.

Le cocher leva son fouet.

– Pas un pas de plus, dit l’homme qui paraissait le chef, ou je coupe le jarret à vos chevaux.

– Peste! dit Porthos, ce serait dommage, des bêtes qui me coûtent cent pistoles pièce.

– Je vous les paierai deux cents, dit Mazarin.

– Oui; mais quand ils auront les jarrets coupés, on nous coupera le cou, à nous.

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