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– Non, monsieur, pas pour le moment du moins.

– Messieurs, agréez mes remerciements pour votre complaisance, dit le jeune homme en s’éloignant.

– Que dites-vous de ce questionneur? dit Aramis.

– Je dis que c’est un provincial qui s’ennuie ou un espion qui s’informe.

– Et vous lui avez répondu ainsi?

– Rien ne m’autorisait à lui répondre autrement. Il était poli avec moi, je l’ai été avec lui.

– Mais cependant si c’est un espion…

– Que voulez-vous que fasse un espion? nous ne sommes plus au temps du cardinal de Richelieu, qui, sur un simple soupçon, faisait fermer les ports.

– N’importe, vous avez eu tort de lui répondre comme vous avez fait, dit Aramis, en suivant des yeux le jeune homme qui disparaissait derrière les dunes.

– Et vous, dit Athos, vous oubliez que vous avez commis une bien autre imprudence, c’était celle de prononcer le nom de lord de Winter. Oubliez-vous que c’est à ce nom que le jeune homme s’est arrêté?

– Raison de plus, quand il vous a parlé, de l’inviter à passer son chemin.

– Une querelle, dit Athos.

– Et depuis quand une querelle vous fait-elle peur?

– Une querelle me fait toujours peur lorsqu’on m’attend quelque part et que cette querelle peut m’empêcher d’arriver. D’ailleurs, voulez-vous que je vous avoue une chose? moi aussi je suis curieux de voir ce jeune homme de près.

– Et pourquoi cela?

– Aramis, vous allez vous moquer de moi; Aramis, vous allez dire que je répète toujours la même chose; vous allez m’appeler le plus peureux des visionnaires.

– Après?

– À qui trouvez-vous que cet homme ressemble?

– En laid ou en beau? demanda en riant Aramis.

– En laid, et autant qu’un homme peut ressembler à une femme.

– Ah! pardieu! s’écria Aramis, vous m’y faites penser. Non, certes, vous n’êtes pas visionnaire, mon cher ami, et, à présent que je réfléchis, oui, vous avez ma foi raison: cette bouche fine et rentrée, ces yeux qui semblent toujours aux ordres de l’esprit et jamais à ceux du cœur. C’est quelque bâtard de Milady.

– Vous riez, Aramis!

– Par habitude, voilà tout; car, je vous le jure, je n’aimerais pas plus que vous à rencontrer ce serpenteau sur mon chemin.

– Ah! voici de Winter qui vient, dit Athos.

– Bon, il ne manquerait plus qu’une chose, dit Aramis, c’est que ce fussent maintenant nos laquais qui se fissent attendre.

– Non, dit Athos, je les aperçois, ils viennent à vingt pas derrière milord. Je reconnais Grimaud à sa tête raide et à ses longues jambes. Tony porte nos carabines.

– Alors nous allons nous embarquer de nuit? demanda Aramis en jetant un coup d’œil sur l’occident, où le soleil ne laissait plus qu’un nuage d’or qui semblait s’éteindre peu à peu en se trempant dans la mer.

– C’est probable, dit Athos.

– Diable! reprit Aramis, j’aime peu la mer le jour, mais encore moins la nuit; le bruit des flots, le bruit des vents, le mouvement affreux du bâtiment, j’avoue que je préférerais le couvent de Noisy.

Athos sourit de son sourire triste, car il écoutait ce que lui disait son ami tout en pensant évidemment à autre chose, et s’achemina vers de Winter.

Aramis le suivit.

– Qu’a donc notre ami? dit Aramis, il ressemble aux damnés de Dante, à qui Satan a disloqué le cou et qui regardent leurs talons. Que diable a-t-il donc à regarder ainsi derrière lui?

En les apercevant à son tour, de Winter doubla le pas et vint à eux avec une rapidité surprenante.

– Qu’avez-vous donc, milord, dit Athos, et qui vous essouffle ainsi?

– Rien, dit de Winter, rien. Cependant, en passant près des dunes, il m’a semblé…

Et il se retourna de nouveau.

Athos regarda Aramis.

– Mais partons, continua de Winter, partons, le bateau doit nous attendre, et voici notre sloop à l’ancre, le voyez-vous d’ici? Je voudrais déjà être dessus.

Et il se retourna encore.

– Ah çà! dit Aramis, vous oubliez donc quelque chose?

– Non, c’est une préoccupation.

– Il l’a vu, dit tout bas Athos à Aramis.

On était arrivé à l’escalier qui conduisait à la barque. De Winter fit descendre les premiers les laquais qui portaient les armes, les crocheteurs qui portaient les malles, et commença à descendre après eux.

En ce moment, Athos aperçut un homme qui suivait le bord de la mer parallèle à la jetée, et qui hâtant sa marche comme pour assister de l’autre côté du port, séparé de vingt pas à peine, à leur embarquement.

Il crut, au milieu de l’ombre qui commençait à descendre, reconnaître le jeune homme qui les avait questionnés.

– Oh! oh! se dit-il, serait-ce décidément un espion et voudrait-il s’opposer à notre embarquement?

Mais comme, dans le cas où l’étranger aurait eu ce projet, il était déjà un peu tard pour qu’il fût mis à exécution, Athos, à son tour, descendit l’escalier, mais sans perdre de vue le jeune homme. Celui-ci, pour couper court, avait paru sur une écluse.

– Il nous en veut assurément, dit Athos, mais embarquons-nous toujours, et, une fois en pleine mer, qu’il y vienne.

Et Athos sauta dans la barque, qui se détacha aussitôt du rivage et qui commença de s’éloigner sous l’effort de quatre vigoureux rameurs.

Mais le jeune homme se mit à suivre ou plutôt à devancer la barque. Elle devait passer entre la pointe de la jetée, dominée par le fanal qui venait de s’allumer, et un rocher qui surplombait. On le vit de loin gravir le rocher de manière à dominer la barque lorsqu’elle passerait.

– Ah çà! dit Aramis à Athos, ce jeune homme est décidément un espion.

– Quel est ce jeune homme? demanda de Winter en se retournant.

– Mais celui qui nous a suivis, qui nous a parlé et qui nous a attendus là-bas: voyez.

De Winter se retourna et suivit la direction du doigt d’Aramis. Le phare inondait de clarté le petit détroit où l’on allait passer et le rocher où se tenait debout le jeune homme, qui attendait la tête nue et les bras croisés.

– C’est lui! s’écria lord de Winter en saisissant le bras d’Athos, c’est lui; j’avais bien cru le reconnaître et je ne m’étais pas trompé.

– Qui, lui? demanda Aramis.

– Le fils de Milady, répondit Athos.

– Le moine! s’écria Grimaud.

Le jeune homme entendit ces paroles; on eût dit qu’il allait se précipiter, tant il se tenait à l’extrémité du rocher, penché sur la mer.

– Oui, c’est moi, mon oncle; moi, le fils de Milady; moi, le moine; moi, le secrétaire et l’ami de Cromwell, et je vous connais, vous et vos compagnons.

Il y avait dans cette barque trois hommes qui étaient braves, certes, et desquels nul homme n’eût osé contester le courage; eh bien, à cette voix, à cet accent, à ce geste, ils sentirent le frisson de la terreur courir dans leurs veines.

Quant à Grimaud, ses cheveux étaient hérissés sur sa tête, et la sueur lui coulait du front.

– Ah! dit Aramis, c’est là le neveu, c’est le moine, c’est là le fils de Milady, comme il le dit lui-même?

– Hélas! oui, murmura de Winter.

– Alors, attendez! dit Aramis.

Et il prit, avec le sang-froid terrible qu’il avait dans les suprêmes occasions, un des deux mousquets que tenait Tony, l’arma et coucha en joue cet homme qui se tenait debout sur ce rocher comme l’ange des malédictions.

– Feu! cria Grimaud hors de lui.

Athos se jeta sur le canon de la carabine et arrêta le coup qui allait partir.

– Que le diable vous emporte! s’écria Aramis, je le tenais si bien au bout de mon mousquet; je lui eusse mis la balle en pleine poitrine.

– C’est bien assez d’avoir tué la mère, dit sourdement Athos.

– La mère était une scélérate, qui nous avait tous frappés en nous ou dans ceux qui nous étaient chers.

– Oui, mais le fils ne nous a rien fait, lui.

Grimaud, qui s’était soulevé pour voir l’effet du coup, retomba découragé en frappant des mains.

Le jeune homme éclata de rire.

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