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– Eh bien! dit Aramis quand ils furent seuls, que dites-vous de cette affaire, mon cher comte?

– Mauvaise, répondit Athos, très mauvaise.

– Mais vous l’avez accueillie avec enthousiasme?

– Comme j’accueillerai toujours la défense d’un grand principe, mon cher d’Herblay. Les rois ne peuvent être forts que par la noblesse, mais la noblesse ne peut être grande que par les rois. Soutenons donc les monarchies, c’est nous soutenir nous-mêmes.

– Nous allons nous faire assassiner là-bas, dit Aramis. Je hais les Anglais, ils sont grossiers comme tous les gens qui boivent de la bière.

– Valait-il donc mieux rester ici, dit Athos, et nous en aller faire un tour à la Bastille ou au donjon de Vincennes, comme ayant favorisé l’évasion de M. de Beaufort? Ah! ma foi, Aramis, croyez-moi, il n’y a point de regret à avoir. Nous évitons la prison et nous agissons en héros, le choix est facile.

– C’est vrai; mais, en toute chose, mon cher, il faut en revenir à cette première question, fort sotte, je le sais, mais fort nécessaire: Avez-vous de l’argent?

– Quelque chose comme une centaine de pistoles, que mon fermier m’avait envoyées la veille de mon départ de Bragelonne; mais là-dessus je dois en laisser une cinquantaine à Raoul: il faut qu’un jeune gentilhomme vive dignement. Je n’ai donc que cinquante pistoles à peu près: et vous?

– Moi, je suis sûr qu’en retournant toutes mes poches et en ouvrant tous mes tiroirs je ne trouverai pas dix louis chez moi. Heureusement que lord de Winter est riche.

– Lord de Winter est momentanément ruiné, car c’est Cromwell qui touche ses revenus.

– Voilà où le baron Porthos serait bon, dit Aramis.

– Voilà où je regrette d’Artagnan, dit Athos.

– Quelle bourse ronde!

– Quelle fière épée!

– Débauchons-les.

– Ce secret n’est pas le nôtre, Aramis; croyez-moi donc, ne mettons personne dans notre confidence. Puis, en faisant une pareille démarche, nous paraîtrions douter de nous-mêmes. Regrettons à part nous, mais ne parlons pas.

– Vous avez raison. Que ferez-vous d’ici à ce soir? Moi je suis forcé de remettre deux choses.

– Est-ce choses qui puissent se remettre?

– Dame! il le faudra bien.

– Et quelles étaient-elles?

– D’abord un coup d’épée au coadjuteur, que j’ai rencontré hier soir chez madame de Rambouillet, et que j’ai trouvé monté sur un singulier ton à mon égard.

– Fi donc! une querelle entre prêtres! un duel entre alliés!

– Que voulez-vous, mon cher! il est ferrailleur, et moi aussi; il court les ruelles, et moi aussi; sa soutane lui pèse, et j’ai, je crois, assez de la mienne; je crois parfois qu’il est Aramis et que je suis le coadjuteur, tant nous avons d’analogie l’un avec l’autre. Cette espèce de Sosie m’ennuie et me fait ombre; d’ailleurs, c’est un brouillon qui perdra notre parti. Je suis convaincu que si je lui donnais un soufflet, comme j’ai fait ce matin à ce petit bourgeois qui m’avait éclaboussé, cela changerait la face des affaires.

– Et moi, mon cher Aramis, répondit tranquillement Athos, je crois que cela ne changerait que la face de M. de Retz. Ainsi, croyez-moi, laissons les choses comme elles sont: d’ailleurs, vous ne vous appartenez plus ni l’un ni l’autre: vous êtes à la reine d’Angleterre et lui à la Fronde; donc, si la seconde chose que vous regrettez de ne pouvoir accomplir n’est pas plus importante que la première…

– Oh! celle-là était fort importante.

– Alors faites-la tout de suite.

– Malheureusement je ne suis pas libre de la faire à l’heure que je veux. C’était au soir, tout à fait au soir.

– Je comprends, dit Athos en souriant, à minuit?

– À peu près.

– Que voulez-vous, mon cher, ce sont choses qui se remettent, que ces choses-là, et vous la remettrez, ayant surtout une pareille excuse à donner à votre retour…

– Oui, si je reviens.

– Si vous ne revenez pas, que vous importe? Soyez donc un peu raisonnable. Voyons, Aramis, vous n’avez plus vingt ans, mon cher ami.

– À mon grand regret, mordieu! Ah! si je les avais!

– Oui, dit Athos, je crois que vous feriez de bonnes folies! Mais il faut que nous nous quittions: j’ai, moi, une ou deux visites à faire et une lettre à écrire; revenez donc me prendre à huit heures, ou plutôt voulez-vous que je vous attende à souper à sept?

– Fort bien; j’ai, moi, dit Aramis, vingt visites à faire et autant de lettres à écrire.

Et sur ce ils se quittèrent. Athos alla faire une visite à madame de Vendôme, déposa son nom chez madame de Chevreuse, et écrivit à d’Artagnan la lettre suivante:

«Cher ami, je pars avec Aramis pour une affaire d’importance. Je voudrais vous faire mes adieux, mais le temps me manque. N’oubliez pas que je vous écris pour vous répéter combien je vous aime.

«Raoul est allé à Blois, et il ignore mon départ; veillez sur lui en mon absence du mieux qu’il vous sera possible, et si par hasard vous n’avez pas de mes nouvelles d’ici à trois mois, dites-lui qu’il ouvre un paquet cacheté à son adresse, qu’il trouvera à Blois dans ma cassette de bronze, dont je vous envoie la clef.

«Embrassez Porthos pour Aramis et pour moi. Au revoir, peut-être adieu.»

Et il fit porter la lettre par Blaisois.

À l’heure convenue, Aramis arriva: il était en cavalier et avait au côté cette ancienne épée qu’il avait tirée si souvent et qu’il était plus que jamais prêt à tirer.

– Ah çà! dit-il, je crois que décidément nous avons tort de partir ainsi, sans laisser un petit mot d’adieu à Porthos et à d’Artagnan.

– C’est chose faite, cher ami, dit Athos, et j’y ai pourvu; je les ai embrassés tous deux pour vous et pour moi.

– Vous êtes un homme admirable, mon cher comte, dit Aramis, et vous pensez à tout.

– Eh bien! avez-vous pris votre parti de ce voyage?

– Tout à fait; et maintenant que j’y ai réfléchi, je suis aise de quitter Paris en ce moment.

– Et moi aussi, répondit Athos; seulement je regrette de ne pas avoir embrassé d’Artagnan, mais le démon est si fin qu’il eût deviné nos projets.

À la fin du souper, Blaisois rentra.

– Monsieur, voilà la réponse de M. d’Artagnan.

– Mais je ne t’ai pas dit qu’il y eût réponse, imbécile! dit Athos.

– Aussi étais-je parti sans l’attendre, mais il m’a fait rappeler et il m’a donné ceci.

Et il présenta un petit sac de peau tout arrondi et tout sonnant.

Athos l’ouvrit et commença par en tirer un petit billet conçu en ces termes:

«Mon cher comte,

«Quand on voyage, et surtout pour trois mois, on n’a jamais assez d’argent; or, je me rappelle nos temps de détresse, et je vous envoie la moitié de ma bourse: c’est de l’argent que je suis parvenu à faire suer au Mazarin. N’en faites donc pas un trop mauvais usage, je vous en supplie.

«Quant à ce qui est de ne plus vous revoir, je n’en crois pas un mot; quand on a votre cœur et votre épée, on passe-partout.

«Au revoir donc, et pas adieu.

«Il va sans dire que du jour où j’ai vu Raoul je l’ai aimé comme mon enfant; cependant croyez que je demande bien sincèrement à Dieu de ne pas devenir son père, quoique je fusse fier d’un fils comme lui.

«VOTRE D’ARTAGNAN.»

«P.-S. - Bien entendu que les cinquante louis que je vous envoie sont à vous comme à Aramis, à Aramis comme à vous.»

Athos sourit, et son beau regard se voila d’une larme. D’Artagnan, qu’il avait toujours tendrement aimé, l’aimait donc toujours, tout mazarin qu’il était.

– Voilà, ma foi, les cinquante louis, dit Aramis en versant la bourse sur une table, tous à l’effigie du roi Louis XIII. Eh bien, que faites-vous de cet argent, comte, le gardez-vous ou le renvoyez-vous?

– Je le garde, Aramis, et je n’en aurais pas besoin que je le garderais encore. Ce qui est offert de grand cœur doit être accepté de grand cœur. Prenez-en vingt-cinq, Aramis, et donnez-moi les vingt-cinq autres.

– À la bonne heure, je suis heureux de voir que vous êtes de mon avis. Là, maintenant, partons-nous?

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