Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

— D'ici, j'ai vu votre vie se dérouler ainsi que tous vos films. C'était vraiment… splendide, lui dis-je respectueusement.

— Merci. Si j'avais su… que les anges peuvent voir les films…

Je suis tellement gêné de la voir ainsi échouer.

— La prochaine fois, ça ira mieux, j'en suis persuadé, chuchoté-je à son oreille.

C'est le genre de phrase que des millions d'anges avocats ont déjà dû dire à des cohortes d'âmes per dantes mais, sur le coup, je ne trouve pas mieux comme réconfort.

— Jacques Nemrod.

Son cas est considéré comme sans intérêt. Il a vécu dans l'angoisse. Il était maladroit, lâche, solitaire, indécis. Il s'est pratiquement trompé partout où l'on pouvait se tromper et, sans l'aide de Nathalie Kim, il serait probablement devenu une loque.

Je fourbis mes arguments pour le défendre.

— Il a su utiliser les rêves, les signes et son chat pour percevoir nos messages.

Les archanges font la moue.

— Oui, et alors?

— Il a utilisé le seul talent qu'il avait: l'écriture.

— Tous ses livres ne sont pas bons, dit l'archange Gabriel. Ces délires sur le Paradis, permettez-moi de vous le dire, mon cher Michael, nous ont tout autant agacé que les vôtres.

— Même s'il n'avait commis qu'un seul livre de passable, il a accompli ce pour quoi il était venu.

Les trois archanges réclament une suspension de séance pour discuter tranquillement entre eux. Leurs échanges paraissent vifs. L'interruption se prolonge. J'en profite pour m'approcher de Jacques.

— Michael Pinson, votre ange gardien, pour vous servir.

— Enchanté. Jacques Nemrod. Désolé, j'ai évoqué tout ce folklore dans mes livres, parce que j'étais persuadé que ça n'existait pas. Et eux, ce sont…

— Les archanges, oui. Vous les imaginiez ainsi?

— Pas vraiment. Je n'aurais jamais cru que le Paradis était aussi «kitsch». Dans mon roman, j'avais décrit un lieu beaucoup plus d'avant-garde, façon 2001: l'Odyssée de l'espace.

– Évidemment. Remarquez qu'en général personne ne se plaint. Vous ne me croirez pas d'ailleurs si je vous dis…

Je suspends ma phrase. Les archanges reviennent.

— Jacques était à 350, il passe à 541.

— 541? Mais pourquoi pas 542 ou 550?

— C'est le jugement des archanges.

Je sens une colère monter en moi. Moi qui n'ai jamais su me mettre en colère dans ma vie de chair, je sens que c'est le moment ou jamais. Et puis, c'est plus facile de se mettre en colère pour les autres que pour soi. Je prends un peu d'élan puis m'élance en demandant à l'esprit d'Emile Zola de continuer à m'éclairer.

— Et moi, je dis que ce jugement est inique, scandaleux, antisocial. Je dis que c'est une mascarade de justice qui se livre dans le lieu le plus sacré de tous etque…

J'essaie de me remémorer tous les trucs d'Emile Zola. S'il réussit, c'est qu'on peut réussir. C'est peut-être cela qu'il y a de formidable avec les archanges, c'est qu'ils sont finalement assez «humains». Je sens bien que je les surprends. Voyant que ça marche, je m'avance. Ils me voient venir, mais ne savent pourtant pas comment me contrer.

Je me souviens de la phrase de Murray Benett, l'avocat, compagnon temporaire de ma Venus. «Les clients coupables sont beaucoup plus intéressants à défendre que les innocents.»

C'est quitte ou double. Si je rate ce procès, il me faudra attendre encore combien de clients avant de pouvoir passer la porte d'Émeraude?

Si Jacques a pu bondir de 200 points, c'est qu'il est un client sauvable! Et puis ça embêterait tellement Raoul si je gagnais le pari de sauver un client avec lequel j’ai testé la carotte davantage que le bâton. Il ne faut pas lâcher le morceau. Enfonçons le clou.

— Mon client a été certes maladroit, mais il avait sa technique à lui. Toujours se tromper pour déduire la bonne formule. Un peu comme au jeu du Mastermind, c'est quand on a tout faux qu'on peut trouver la bonne voie.

— Mais il n'a rien trouvé du tout. Il a cherché, mais chercher cela vient du latin circare, aller autour.

— Il a trouvé une voie originale qui est la sienne et qui, comme l'a signalé l'un de ses concurrents, le célèbre Auguste Mérignac, devrait faire florès plus tard. Même euh… si c'est dans très longtemps.

Pas brillant… J'enchaîne sur une série de «j'accuse» qui achève d'énerver les trois juges. Au summum de mes efforts, je lâche enfin:

— J'accuse cette cour de ne pas faire correctement son travail, j'accuse les archanges Gabriel, Raphaël et Michel de…

— Assez! dit un archange. Si vous voulez sauver votre client, donnez-nous des faits.

C'est alors que j'ai un flash; les sphères du destin. Je propose qu'on examine objectivement l'influence de Jacques sur les sphères. Elle est de 0,000016 %.

— C'est peu…, relance l'archange Gabriel.

C'est là que je donne le coup de grâce.

— Oui, mais une goutte d'eau peut faire deborder l'océan, chaque âme qui s'élève élève l'humanité entière!

Cette fois, les trois juges hésitent.

De guerre lasse, ils m'accordent les 600 points. Jacques Nemrod est donc délivré de sa prison de chair, même si ce n'est que de justesse.

J'ai réussi quant à moi à sortir une âme du cycle des réincarnations!

— Euh, dit mon petit écrivain, me prenant par le coude, je fais quoi maintenant?

Il ne songe même pas à me féliciter. Quels égoïstes, ces clients!

«Je sais ce qu 'il y a après la mort. C'est très simple, d'un côté le Paradis pour les personnes qui se sont bien comportées, les gentils, de l'autre, l'Enfer pour les méchants. Le Paradis, c'est blanc. L'Enfer, c'est noir. En Enfer, les gens souffrent. Au Paradis, ils sont heureux.»

Source: individu interrogé dans la rue au hasard d'un microtrottoir.

201. ADIEUX À MES AMIS

Je me dirige vers la porte d'Émeraude, aussi guilleret qu'Emile Zola jadis. Enfin je vais savoir. Qu'y a-t-il au-dessus?

En chemin, je suis arrêté par Edmond Wells qui m'assène de grandes tapes dans le dos.

— Je suis fier de toi. J'ai toujours pensé que tu réussirais.

— Je ne sais comment vous remercier.

— Tu n'as de merci à dire qu'à toi-même. Tu l'ignorais, mais c'est toi qui m'as choisi comme instructeur, tout comme les enfants choisissent leurs parents.

— Et vous, Edmond Wells, qu'allez-vous faire à présent?

Il me confie que ce qui préoccupe essentiellement les anges pour l'heure c'est la mise au point d'un nouveau levier, le sixième: le «minéral-assisté».

— Tout a commencé avec le minéral et c'est peut-être avec le minéral que tout va continuer. L'alliance homme-minéral, matérialisé par l'informatique, est un nouveau terrain de conscience, m'explique-t-il.

— Minéral? Vous voulez parler du silicium contenu dans les puces des ordinateurs?

— Bien sûr, des cristaux aussi. Les cristaux de quartz qui servent à cadencer les flux d'électrons sont à la pierre ce que l'homme sage est à l'homme brut. L'union de la roche-cristal et de l'homme-conscient produit l'ordinateur-vivant. C'est une voie d'évolution.

— Mais les ordinateurs sont des objets inertes! Il suffit de les débrancher pour que tout s'arrête.

— Détrompe-toi, Michael. Grâce à Internet, il existe maintenant des programmes qui comme des virus prolifèrent sur le réseau et peuvent se nicher dans n'importe quel circuit de machine à laver ou de distributeur de billets de banque. De là, ils se reproduisent comme des animaux, mutent, évoluent sans que l'homme intervienne. Le seul moyen de les arrêter serait d'éteindre simultanément toutes les machines du monde, ce qui est désormais impossible. Après la «biosphère», «l'idéosphère», voici qu'apparaît la «computo-sphère».

Je ne savais pas qu'au Paradis aussi on pouvait se passionner pour l'informatique.

87
{"b":"105854","o":1}