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— Sans moi, tu es fichue. Notre société est devenue tellement juridique que les producteurs te dévoreront toute crue.

Je prends le risque. N'ayant nullement l'intention d'adhérer à son «club des ex», je le prie, en outre, de ne pas chercher à me revoir. Là, il s'emporte. Il déclare que je lui suis entièrement redevable de ma réussite. «Sans moi tu ne serais jamais devenue une actrice inspirée.» En conséquence, il exige la moitié de tout ce que j'ai gagné pendant notre vie commune. J'y consens sans rechigner. C'est vrai qu'il m'a rendu la vie si difficile et que je me suis sentie tellement à l'étroit sur mon territoire en peau de chagrin que, cette année, j’ai accepté le plus de rôles possible et donc beaucoup accru mes revenus. Mes migraines ont repris de plus belle. Je supplie Billy Watts, mon agent, de trouver une solution.

— Il n'y en a que deux, dit-il. La première, la plus classique, c'est de te rendre à Paris chez le professeur Jean-Benoît Dupuis, le spécialiste français de la migraine et de la spasmophilie. La seconde consiste à consulter mon nouveau médium.

— Tu n'es plus avec Ludivine?

— Après le succès de ses consultations individuelles, elle a créé un groupe de réflexion et, comme il a eu beaucoup de succès, elle a malheureusement enchaîné par la fondation d'une secte. La GVF. «Les Gardiens de la Vraie Foi.» Ils ne sont pas méchants, mais ils se réunissent en costume, les cotisations sont chères et ceux qui veulent en sortir sont «excommuniés». Ça a suffi à me refroidir. Maintenant ils exigent d'être reconnus comme une religion à part entière.

— Et qui est ton nouveau surdoué?

— Ulysse Papadopoulos. C'est un ancien moine ermite. Il lui est arrivé des choses extraordinaires, paraît-il. Depuis, il a un don. Il converse directement avec les anges. Il te permettra d'entrer en contact avec ton ange gardien, lequel t'expliquera pourquoi tu es continuellement en proie à de tels maux de tête.

— Tu crois qu'on peut converser directement avec son ange gardien sans le… comment dire?… déranger dans son boulot d'ange?

166. ENCYCLOPÉDIE

RESPIRATION: Les femmes et les hommes ne perçoivent pas le monde de la même manière. Pour la plupart des hommes, les événements évoluent de manière linéaire. Les femmes, par contre, peuvent concevoir le monde dans sa forme ondulatoire. Probablement parce qu'elles ont tous les mois la preuve que ce qui se construit peut se déconstruire et se reconstruire ensuite à nouveau, elles perçoivent l'univers comme une pulsation permanente. Inconsciemment est inscrit dans leur corps ce secret fondamental: tout ce qui grandit finit par diminuer, tout ce qui monte finit par descendre. Tout «respire» et il ne faut pas avoir peur que l'expiration succède à l'inspiration. La pire chose serait de vou loir retenir sa respiration ou de la bloquer. Ce serait l'étouffement assuré.

Les récentes découvertes en astronomie montrent de même que notre univers issu du big-bang et qu'on a toujours perçu comme un univers en expansion permanente pourrait lui aussi se concentrer jusqu'à un big-crunch, sorte de concentration maximale de la matière, débouchant peut-être à nouveau sur… un deuxième big-bang. Même l'univers dans ce cas «respirerait».

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.

167. RETOUR

Retour vers le Paradis. Les distances entre les deux galaxies sont tellement incommensurables que je ne crois pas que nous reviendrons voir Zoz de sitôt. Nous volons vite et, pourtant, nous avons l'impression de progresser comme des escargots.

Tout en volant, nous méditons sur les implications de notre découverte. Nous avons exploré une seconde planète habitée par des humains, mais il doit en exister encore beaucoup d'autres. Rien que dans l'amas de galaxies qui comprend la nôtre et celle de Zoz, je sais que s'en entassent 326 782. Même si elles ne comprennent pas toutes un paradis au centre et que seules 10 % en possèdent un et donc une planète habitée par des humanoïdes, il subsiste encore 32 000 planètes peuplées de gens avec lesquels nous pourrions discuter.

Nous cherchions nos dieux, nous cherchions d'où venait Nathalie Kim, nous avons trouvé autre chose qui ne répond à aucune de ces deux questions. Reste maintenant à savoir si les âmes transitent d'un Paradis à l'autre. Et si oui, pourquoi?

Notre horizon géographique et spirituel s'élargit. Je redoutais que ma vie d'ange ne soit monotone, elle devient tonique. Rien que d'y penser, mes responsabilités me reviennent à l'esprit.

Pourvu qu'il ne soit rien arrivé de catastrophique à mes clients!

168. IGOR. 25 ANS

Après mon suicide, je suis mort et je suis sorti de mon corps. Il y avait en haut la fameuse lumière que je connaissais déjà mais je ne me suis pas élevé vers elle. En moi, quelque chose protestait: «Tu dois demeurer ici jusqu'à ce que justice te soit rendue. Alors seulement tu pourras monter.»

Maintenant je suis une âme errante. Je me suis transformé en une entité immatérielle. Je suis transparent et impalpable. Je ne savais trop quoi faire au début. Je suis donc resté près de ma dépouille et j'ai attendu. Une ambulance est arrivée. Un brancardier a jeté un œil sur mon cadavre en bouillie et s'est retourné pour vomir.

D'autres personnes en uniforme blanc sont venues et ont enfourné mon ancien corps dans un sac en plastique après en avoir recherché les lambeaux épars sur la chaussée. Elles m'ont emmené à la morgue. Tatiana paraissait très affligée par ma disparition mais ça ne l'a pas empêchée de pratiquer une autopsie et de placer mon fichu nombril guéri dans un flacon de formol afin de l'exhiber à tout le monde. Dans le genre veuve éplo-rée, il y a mieux.

Voilà, je suis un fantôme. Comme je n'ai plus peur de mourir, j'observe plus sereinement les êtres et les choses. Autrefois, la peur de la mort était inscrite en moi comme un bruit de fond permanent qui m'empêchait d'être vraiment tranquille. Maintenant je n'ai plus ça, mais je vis avec des regrets.

Je me suis suicidé. J'ai eu tort. Beaucoup d'hommes se plaignent de souffrir dans leur chair. Ils ne connaissent pas leur chance. Eux, au moins, ils ont un corps. Les gens devraient savoir que chacun de leur bobo est une preuve qu'ils possèdent un corps. Tandis que nous, les âmes errantes, nous ne ressentons plus rien.

Ah, si je retrouvais un corps, je m'enchanterais de la moindre de mes cicatrices. Je la rouvrirais de temps en temps pour vérifier qu'il y a bien du sang dessous et que la blessure me fait toujours souffrir. Combien ne donnerais-je pas pour ressentir ne serait-ce qu'un petit ulcère à l'estomac, ou même un aphte, ou une démangeaison de piqûre de moustique!

Quelle bourde j'ai faite en me suicidant! Pour quelques minutes d'exaspération, me voilà âme errante pour des siècles et des siècles.

Au début, j'ai tenté de prendre mon nouveau sort à la légère. C'est agréable de voler et de percer les murailles. Je peux m'introduire partout. Je peux me faire fantôme en Ecosse et agiter des draps pour affoler les touristes. Je peux être esprit de la Forêt pour complaire aux chamans de Sibérie. Je peux me glisser dans des séances de spiritisme et faire tourner les tables. Je peux aller dans les églises et accomplir des miracles. J'ai d'ailleurs joué à Lourdes, rien que pour vérifier mon pouvoir d'âme errante sur la matière.

L'état d'âme errante présente encore d'autres avantages. J'assiste gratuitement à des concerts, et placé aux premières loges en plus. Je me faufile au cœur de batailles décisives. Même au beau milieu d'un champignon atomique, je n'ai plus rien à craindre.

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