Nous bifurquons.
À l'est, une autre entrée qui, elle, présente des reflets de diamant vert. Tout est lumineux et translucide, toujours parcouru de reflets. Noirs pour l'eau du lac, turquoise pour les arbres, blanc nacré pour le sol.
— La porte de Saphir constitue l'entrée du pays des anges, c'est par là que tu es venu.
Edmond Wells me désigne la grotte aux éclats verts, à l'est.
— Celle d'Émeraude, ici, c'est la sortie, c'est par là que tu partiras quand tu auras terminé ta mission d'ange. Allons discuter dans les plaines de l'ouest. J'y connais un coin tranquille où nous serons à l'aise pour notre première session d'enseignement.
Le secret des chiffres est l'objet de la première leçon d'Edmond Wells. Il m'explique que la forme des chiffres utilisés en Occident est d'origine indienne et nous indique le parcours de l'évolution de la vie. Le trait horizontal représente: l'attachement; la courbe: l'amour; le croisement: le choix.
1: le minéral. Un simple trait vertical sans courbe ni ligne horizontale. Pas d'attachement, pas d'amour. Le minéral n'a pas de sensibilité.
2: le végétal. Une ligne d'attachement au sol: la racine qui le fixe au sol. Au-dessus, une courbe d'amour tournée vers le ciel: la feuille ou la fleur aiment la lumière.
3: l'animal. Deux courbes d'amour. L'animal aime la terre et il aime le ciel. Mais faute de trait horizontal, il n'est fixé à rien. Il est donc ballotté par ses émotions.
J'ai l'impression d'avoir déjà entendu cette énumé-ration. Pourquoi me la répète-t-on? Me prendrait-on donc pour un être stupide?
— Ce message que nous apporte la forme des chiffres indiens, reprend Edmond Wells, il te paraît simple, et pourtant il est porteur de tous les mystères, de tous les secrets, de tous les arcanes de l'évolution de la conscience. C'est pourquoi il est essentiel de le répéter et d'y revenir sans cesse. Le monde évolue conformément à la symbolique des chiffres indiens.
Edmond Wells revient à ses dessins sur notre plancher de nuages.
— 4: l'humain. Une croix le symbolise. C'est qu'il a le choix. Il est au carrefour où l'on décide de la nouvelle direction à prendre. L'humain a alors l'alternative entre redescendre au stade animal du 3 ou s'élever vers le stade du dessus.
Du bout des doigts, mon instructeur esquisse un 5.
— 5: le sage. Il présente une ligne horizontale d'attachement au ciel et une courbe d'amour vers la terre. Il plane dans sa tête et il aime le monde…
— On dirait l'inverse du 2, lui dis-je, m'impliquant enfin dans la leçon.
— … le 5 tend à évoluer vers… toujours davantage de conscience. Toujours davantage de liberté. Toujours davantage de complexité. Le 5 veut se libérer de la prison de la chair, laquelle lui impose peur et douleur.
Il veut devenir un 6.
Il inscrit un 6.
— 6 n'est qu'une seule courbe. Une courbe d'amour car l'ange aime. Regarde cette spirale. Son amour part en haut du ciel, redescend en bas vers la terre et remonte en son centre. C'est un amour qui fait le tour de tout pour l'amener à s'aimer lui-même.
— Tous les 6 sont ainsi?
— Non. Tous les 6 en sont capables, c'est tout. Et je compte bien te transformer afin que tu parviennes à devenir un 6 digne de ce nom.
— Et le 7?
Edmond Wells se renfrogne aussitôt.
— Aujourd'hui, ta leçon s'arrête au 6. Tu ne peux connaître que ce que tu es. Concentre-toi sur ta tâche présente plutôt que de te disperser. Je ne suis pas une machine à répondre à toutes les questions. Viens!
Il s'élève de nouveau au-dessus du sol. Il faut que je m'habitue à ce pouvoir de diriger mon corps sur trois dimensions, comme en plongée sous-marine. Si ce n'est qu'en plongée sous-marine tous les mouvements sont alourdis et ralentis par le frottement de l'eau, alors qu'ici chaque geste est fluide.
Il est d'autres nouveautés auxquelles je dois aussi m'accoutumer, par exemple à ne pas respirer. Je constate que, presque inconsciemment, mon corps a toujours été bercé par le rythme de mes poumons. Métronome discret, il scandait toute mon existence. Ici, il s'est effacé. Je suis dans un temps sans fin, dans un corps immatériel.
Edmond Wells m'annonce qu'à présent nous allons choisir les pions avec lesquels je jouerai ma partie. Il m'entraîne au-dessus du lac noir central en forme de cœur. À bien Je regarder, je distingue des images qui se reflètent sur sa surface. Le lac forme comme un vaste écran horizontal découpé par une mosaïque de milliers de petits écrans. Sur chacun: des corps humains nus enlacés s'agitent. Inutile de frotter mes yeux absents. Je ne rêve pas, ce sont bien là des couples en train de faire l'amour.
— C'est le coin… films pornos?
Il hausse les épaules.
— C'est le lac des Conceptions que nous avons sur volé tout à l'heure. C'est ici que tu vas choisir les parents des êtres dont tu auras la charge.
Autour de nous d'autres anges, flanqués de leur instructeur, volettent et observent eux aussi les petites images qui ondoient à la surface du lac.
— En les regardant faire l'amour?
— En effet. Mais auparavant, je vais te livrer encore un grand secret. La recette d'une âme.
8. ENCYCLOPEDIE
RECETTE D'UNE ÂME: Au départ l'âme d'un être humain est déterminée par trois facteurs: l'hérédité, le karma, le libre arbitre. Leurs proportions de départ sont réparties généralement ainsi:
25 % hérédité.
25 % karma.
50 % libre arbitre.
L'hérédité: cela signifie qu'une âme, en début de parcours, est influencée pour un quart par la qualité des gènes, la qualité de l'éducation, le lieu de vie, la qualité du milieu de vie déterminé par ses parents.
Le karma: cela signifie qu'une âme, en début de parcours, est influencée pour un quart par des éléments qui subsistent de sa vie précédente, désirs inassouvis, erreurs, blessures, etc., qui hantent toujours son inconscient.
Le libre arbitre: cela signifie qu'une âme, en début de parcours, décide pour moitié librement ce qu'elle fait sans aucune influence extérieure.
25 %, 25 %, 50 %, telles sont les proportions de départ. Avec ses 50 % de libre arbitre, un être peut ensuite modifier cette recette. Soit il peut s'affranchir de l'influence de son hérédité en se soustrayant très jeune à l'emprise de ses parents. Soit il peut s'affranchir de son karma en refusant de tenir compte de ses pulsions inconscientes. Ou, au contraire, il peut renoncer à son libre arbitre en acceptant de n'être que le jouet de ses parents et de son inconscient.
Ainsi la boucle est bouclée. Paradoxe suprême, l'homme peut même avec son libre arbitre renoncer à… son libre arbitre.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.