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123. VENUS

Les notes tombent. Elles sont plutôt sévères. La meilleure moyenne pour l'instant tourne autour de 5,4 sur 10. Ça y est, c'est mon tour. Les jurés annoncent l'un après l'autre leur verdict: 4. 5. 6. 5… Je conserve un sourire plaqué sur le visage mais je suis effondrée. Si personne ne m'estime supérieure à ces chiffres minables, je suis perdue. Quelle injustice! Je déteste ces gens avec leurs mines hypocrites. En plus la fille la mieux notée pour le moment est bourrée de cellulite. Ils ne s'en sont donc pas aperçus?

124. ENCYCLOPEDIE

IDÉOSPHÈRE: Les idées sont comme des êtres vivants. Elles naissent, elles croissent, elles prolifèrent, elles sont confrontées à d'autres idées et elles finissent par mourir.

Et si les idées comme les êtres vivants avaient leur propre évolution? Et si les idées se sélectionnaient entre elles pour éliminer les plus faibles et reproduire les plus fortes comme dans le darwinisme? Dans Le Hasard et la Nécessité , en 1970, Jacques Monod émet l'hypothèse que les idées pourraient avoir une autonomie et, comme les êtres organiques, être capables de se reproduire et de se multiplier.

En 1976, dans Le Gène égoïste, Richard Dawkins évoque le concept d'«idéosphère».

L'idéosphère serait au monde des idées ce que la biosphère est au monde des êtres vivants.

Dawkins écrit: «Lorsque vous plantez une idée fertile dans mon esprit, vous parasitez littéralement mon cerveau, le transformant en véhicule pour la propagation de cette idée.» Et il cite à l'appui le concept de Dieu, une idée qui est née un jour et n'a plus cessé d'évoluer et de se propager, relayée et amplifiée par la parole, l'écriture, puis la musique, puis l'art, les prêtres la reproduisant et l'interprétant de façon à l'adapter à l'espace et au temps dans lesquels ils vivent.

Mais les idées, plus que les êtres vivants, mutent vite. Par exemple le concept, l'idée de communisme, née de l'esprit de Karl Marx, s'est répandue dans un temps très court dans l'espace jusqu'à toucher la moitié de la planète. Elle a évolué, a muté, puis s'est finalement réduite pour ne concerner que de moins en moins de personnes comme une espèce animale en voie de disparition.

Mais en même temps, elle a contraint l'idée de «capitalisme» à muter elle aussi.

Du combat des idées dans l'idéosphère surgit notre civilisation.

Actuellement les ordinateurs sont en passe de donner aux idées une accélération de mutation. Grâce à Internet, une idée peut se répandre plus vite dans l'espace et le temps et être plus rapidement encore confrontée à ses rivales ou à ses prédatrices.

C'est excellent pour répandre les bonnes idées, mais aussi pour les mauvaises, car dans la notion d'idée il n'y a pas de notion «morale».

En biologie non plus d'ailleurs, l'évolution n'obéit pas à une morale. Voilà pourquoi il faudra peut-être réfléchir à deux fois avant de répandre les idées qui «traînent». Car elles sont plus puissantes désormais que les hommes qui les inventent et que ceux qui les véhiculent.

Enfin, c'est juste une idée…

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.

125. JACQUES

Le quatrième éditeur me contacte par téléphone et m'encourage à persévérer. «L'écriture nécessite une grande expérience de la vie. Il est impossible qu'à dix-sept ans et demi vous en ayez suffisamment», dit-il.

Le cinquième éditeur me reproche mes scènes de batailles, guère prisées du public féminin. Il me rappelle que le lectorat est dans son immense majorité féminin et que femmes et jeunes filles préfèrent de loin les scènes romantiques. Pourquoi ne pas réfléchir à une version «love story chez les rats»?

Je regarde mes rats: un mâle est précisément en train de copuler avec une femelle. Il lui mord très fort le cou jusqu'au sang, lui écrase la tête et lui bloque la croupe avec ses griffes pour mieux s'y emboîter. La pauvre couine de douleur, mais le mâle n'en semble que plus excité.

Une love story romantique chez les rats? Ce ne serait pas réaliste…

126. IGOR

Cinq. Six. Sept. Et dix, qui fait la manche. J'ai abattu tous les soldats ennemis qui se sont aventurés dans ma rue. Il est midi. Le ciel est blanc. Le village fume et les mouches s'acharnent sur la viande encore tiède des combattants.

Les ennemis sont morts, mais les amis aussi. Je ne vois plus un seul des nôtres. Je pousse le hurlement du loup. Ce cri de ralliement n'est suivi d'aucune réponse. Je crois que j'ai eu de la chance. Je crois qu'il y a quelqu'un là-haut, au ciel, qui me protège. Bien sûr, je suis rapide mais j'ai quand même évité plusieurs fois comme par miracle de marcher sur une mine ou de recevoir une balle perdue.

Ouais, j'ai sûrement un ange gardien. Saint Igor, merci.

Je sais que je vais être rapatrié au camp pour y être réincorporé dans un nouveau commando de Loups et enchaîner d'autres missions pareilles à celle-ci. La guerre, c'est la seule chose que je sache bien faire. Chacun son truc. Je remets les haut-parleurs sur mes oreilles et je me repasse la Nuit sur le mont Chauve.

Soudain, j'entends un hurlement de loup. Est-ce un vrai loup?

Non, c'est Stanislas. Il a raison, il doit avoir lui aussi un ange gardien.

127. VENUS

Encore un 5 sur 10. Tout va se jouer sur le dernier vote. Celui du boxeur.

— 10 sur 10, annonce-t-il.

Est-ce possible? Ai-je bien entendu?

D'un coup, ma moyenne grimpe en flèche. À cet instant, j'ai la meilleure note. J'exulte d'abord puis me reprends. Toutes les filles ne sont pas encore passées. Une autre peut me doubler.

Dans un brouillard, j'entends les autres chiffres tomber. En tête, je suis toujours en tête. Ça y est, tout le monde est passé, personne n'a fait mieux.

Je suis… je suis… Miss Univers.

J'embrasse les jurés. Les caméras de télévision me filment. Tout le pays me voit. On me tend une bouteille de Champagne et j'arrose tout le monde sous les flashes des photographes.

J'ai gagné!

Je parle dans le micro:

— Je tiens à remercier tout spécialement ma mère sans qui jamais je n'aurais trouvé le courage d'entreprendre ce long cheminement vers la… perfection.

Au moment où je les prononce, je sens que ce sont les mots qu'il faut dire pour plaire au public et aux téléspectateurs. Mais, entre nous, s'il y a quelqu'un à qui je dois dire merci, c'est à moi et rien qu'à moi.

Sur scène, mes ex-rivales viennent me congratuler. Dans le public, maman pleure de joie et Esteban me lance des bisous dans les airs.

Après c'est: interviews, félicitations, photos. Je suis au zénith.

Ensuite, dehors, les gens me reconnaissent et me réclament des autographes.

Épuisée, je regagne l'hôtel avec un Esteban plus admiratif que jamais.

J'ai gagné!

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