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Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.

29. GESTION DES CLIENTS

Edmond Wells m'attend à l'entrée de la porte de Saphir. Il tique un peu en apercevant Raoul, comprenant que cet ange peu orthodoxe m'a accompagné sur Terre, mais, comme il n'est pas son ange instructeur direct, il reste circonspect.

– Ça s'est bien passé, tes baptêmes? demande-t-il nonchalamment.

— Pas de problème!

Edmond Wells me propose de nous rendre vers la zone sud-ouest. Autour de nous d'autres anges discutent en tête à tête en s'ébattant comme des couples d'hirondelles. Mon mentor étend les bras pour virer sec vers la gauche, je le suis.

— Il est maintenant temps de t'apprendre le boulot proprement dit.

Il choisit un coin tranquille dans les montagnes et nous atterrissons.

— Tu dois orienter tes clients sur la bonne voie. Pour chacun, la route est différente. Ils se sont fixé, il y a longtemps déjà, les missions de leur âme. Ce sont des buts particuliers et différents pour chacun et, à chaque vie, ils essaient de s'améliorer dans cette direction. Or tu ne sais rien de ces missions. Tu peux, certes, les déduire à partir de leur comportement, mais le seul critère objectif de leur évolution demeure le décompte des points lors du Jugement. Celui qui adopte la bonne direction verra à sa pesée sa note s'améliorer de vie en vie. N'oublie pas, 600 points et le client sort du jeu.

— Comment puis-je les aider?

Il prend mes mains, les retourne et fait venir mes trois petits ballons lumineux. La clarté mouvante des trois écrans sphériques danse sur nos visages transparents.

— Tu disposes de cinq leviers: 1) les intuitions; 2) les rêves; 3) les signes; 4) les médiums; 5) les chats.

J'enregistre. Il poursuit:

— L'intuition. Tu aiguilles ton client vers ce qu'il doit faire, mais l'indication lui parvient de manière si atténuée qu'elle lui est à peine perceptible.

— Les rêves?

– Évidemment, nous serions tentés de leur apporter directement par le biais du rêve les solutions à leurs problèmes. Or, nous n'en avons pas le droit. Nous devons passer par un discours onirique au cours duquel nous glissons l'indication sous une forme symbolique. Si ton client est en danger, par exemple, tu lui feras rêver qu'il perd ses dents ou ses cheveux. Le problème avec les rêves, c'est que soit ils les oublient au réveil, soit ils les comprennent de travers. Pour faire passer le message, il faut parfois s'y reprendre plusieurs nuits de suite à J'aide d'histoires symboliques différentes mais en conservant toujours le même noyau d'information. Le grand talent des anges consiste à être les metteurs en scène des rêves. Chaque client a son propre monde de références qu'il importe d'utiliser à bon escient. C'est pour cela que tous les ouvrages répertoriant une symbolique générale des rêves sont nuls et non avenus. Il caresse l'œuf de Venus.

— Les signes?

— Ils fonctionnent à la manière des intuitions. Il s'agit d'interventions directes, mais qui ne marchent pas à tous les coups. Autrefois, les humains prenaient leurs décisions en observant un vol d'oiseaux ou en consultant les entrailles d'un poulet. Pour nous, c'était plus facile. À présent, c'est à nous d'inventer des signes. Un chien qui aboie pour signaler qu'il ne faut pas se diriger par là… Une porte rouillée qui refuse de tourner sur ses gonds…

— Les médiums?

– À utiliser avec parcimonie. Les médiums sont des humains qui ont reçu la faculté de percevoir les voix des anges. Mais deux écueils demeurent. D'abord, ils nous comprennent parfois de travers. Ensuite, il leur arrive de profiter de leur don pour exercer un ascendant sur les êtres qui les écoutent. À n'utiliser donc que dans les cas désespérés.

— Et… les chats?

— Les chats sont pour la plupart un peu médiums. Avantage sur les humains, ils ne tirent de leurs facultés ni pouvoir ni argent. En revanche, inconvénient majeur: ils ne parlent pas et ne peuvent lancer d'avertissements directs.

Je réfléchis. Mes moyens d'intervention me semblent en effet assez modestes pour lutter contre le spectre du libre arbitre.

— Il existe d'autres leviers?

Edmond Wells caresse la bulle d'Igor.

— Ces cinq leviers adroitement utilisés permettent déjà d'obtenir quelques fort bons résultats.

Je m'étire.

— Super, j'ai toujours rêvé de piloter des humains. De vrais hommes, une vraie femme, c'est beaucoup plus excitant qu'un jeu vidéo de simulation du genre «essayez de faire survivre votre personnage en milieu hostile».

— Attention, tu n'as pas le droit de faire n'importe quoi. Tu as un grand devoir envers tes clients. Tu dois exaucer leurs vœux. Et quand je dis leurs vœux, cela signifie absolument tous leurs vœux.

— Même ceux contraires à leurs intérêts?

— C'est là que réside l'énorme privilège de leurs 50 % de libre arbitre. Il t'est interdit d'y toucher. Tu dois respecter jusqu'aux plus aberrants de leurs désirs.

Raoul avait raison. Notre ennemi n'est pas le diable, ou un quelconque méchant céleste. Notre ennemi est le libre arbitre des hommes.

30. JACQUES. 1 AN

Je vis ma vie de bébé.

Je n'aime pas quand les parents m'attrapent sous les bras. J'aime quand ils me saisissent par le siège et que je peux m'asseoir dans la paume de leurs mains.

Papa me lance souvent en l'air. Je risque de m'écra-ser au plafond. Ça me fait peur. Pourquoi les papas se sentent-ils obligés de lancer leurs gosses en l'air?

Tout m'angoisse. J'ai envie de me cacher sous les couvertures et que les autres me laissent en paix.

Une petite fille m'a été présentée comme étant ma sœur. Elle a l'air contente de me voir car elle n'arrête pas de me mettre des choses dans la bouche en me disant: «Allez, bébé, il faut manger.» Elle me cale dans la poussette de sa poupée et court partout en hurlant: «Bébé est sale! Il faut lui donner un bain et lui shampouiner les yeux!»

Elle n'est pas la seule fillette ici à se prétendre ma sœur. Il y en a d'autres, que je perçois comme autant de présences intéressantes, mais potentiellement dangereuses. Certaines m'appliquent des bisous, d'autres me tirent les cheveux. Il y en a qui me donnent le biberon et d'autres qui me font des chatouilles.

J'ai découvert que, dans la famille, nous avions aussi un chat. Il m'apparaît comme étant l'entité la plus sereine de la maison. Sa fourrure est aussi veloutée que la peluche de mes nounours et il en sort un bruit de ronronnement grave qui me plaît.

Mes sœurs essaient de me montrer comment marcher. Je suis déjà tombé une fois et le souvenir de mes bleus me rend méfiant quant à de nouvelles tentatives. La station debout m'inquiète. À quatre pattes, on chute de moins haut.

À part le chat, comme éléments rassurants dans la maisonnée, il y a aussi le pot et la télévision. Lorsque je suis sur le pot, personne ne vient me déranger. La télé, elle, a pour propriété de bouger tout le temps et, en plus, elle ronronne comme le chat.

À la télé, il y a des histoires en permanence. J'adore les histoires. Elles me font oublier mes angoisses.

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