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Vania est un petit Ukrainien que son père alcoolique a trop bercé contre le mur.

Vladimir est le gros de la bande. Je ne sais pas comment il s'arrange pour être obèse avec ce qu'on nous donne à manger ici.

Vassili, c'est le silencieux du groupe. Lorsqu'il se décide à parler, c'est toujours pour dire des trucs intéressants, mais il ne parle pas souvent. C'est lui qui nous a appris à jouer au poker.

C'est formidable le poker. En une soirée, on atteint l'apogée du bonheur ou le plus bas du malheur, le tout en accéléré. Lorsque Vassili joue, son visage devient de marbre. Il dit: «Ce qui compte, ce n'est pas de disposer de bonnes ou de mauvaises cartes mais de savoir jouer avec les mauvaises.» Il dit encore: «Ce qui compte, ce n'est pas le jeu que tu as en main mais le jeu que ton adversaire se figure que tu as.» Vassili mâchouille perpétuellement une brindille.

Il nous apprend à envoyer de faux signaux de joie ou de déception afin de mieux tromper les autres sur la qualité de notre jeu. Grâce à lui, je suis à l'école du poker et elle m'apprend beaucoup, je développe un grand talent d'observation. Ça me plaît bien. Le monde est plein de petits détails qui nous fournissent toutes les informations nécessaires.

Vassili dit:

— Certains joueurs professionnels sont tellement forts qu'ils ne regardent même plus leurs cartes. Ainsi ils sont sûrs que leur visage ne les trahira pas.

— Mais alors, comment savent-ils qui a gagné?

— Ils l'apprennent au dernier moment. Lorsque les jeux sont faits, ils retournent leur jeu et découvrent s'ils avaient une bonne ou une mauvaise main.

Vassili, lui, n'a pas été abandonné. Ses. parents ne l'ont pas roué de coups. Lui, il a fugué à l'âge de six ans. La police l'a attrapé mais ils n'ont jamais pu lui faire avouer ni qui il était ni d'où il venait. Alors, comme les flics ont autre chose à faire que de se lancer dans de grandes enquêtes sur les fugueurs, ils l'ont mis avec nous.

Vassili n'évoque jamais ses origines. Si ça se trouve il avait des parents riches, mais il ne veut plus les revoir. Il les a quittés comme ça, sur un coup de tête, pour l'aventure. Vassili, c'est vraiment la classe.

Parfois des enfants de l'orphelinat s'en vont, adoptés par des gens qui veulent être parents. Au début cela me faisait rêver. Tout à coup, des parents qui se pointent pour nous sauver… Mais j'ai vite compris que c'était un miroir aux alouettes. Il y a des rumeurs qui circulent. Il paraîtrait que les soi-disant enfants adoptés sont généralement jetés dans des réseaux de prostitution enfantine ou recrutés par des ateliers clandestins où on les emploie à coudre des ballons de football ou à monter des jouets pour les petits Occidentaux.

Je déteste les enfants occidentaux. Il n'y a pas que dehors qu'on travaille pour eux. Dans les sous-sols de l'orphelinat, il y a des supposés «ateliers d'éveil aux travaux manuels» où on nous fait assembler des poupées ou des composants électroniques. On nous exploite pour pas un sou, oui!

Lorsque des copains font leur baluchon pour être adoptés, on se moque d'eux et on leur lance sur le chemin: «Alors, prostitution ou travail clandestin?» Mais, en fait, nous sommes jaloux parce que eux ont probablement trouvé des parents et pas nous.

Hier, Vania s'est fait empoigner par la bande à Piotr. Il est arrivé en larmes. Piotr l'a obligé à lui montrer notre coffre-fort et ils ont volé toutes nos cigarettes. Ça ne va pas se passer comme ça.

Nous nous rendons immédiatement dans le dortoir de Piotr. La porte n'est pas fermée, mais à l'intérieur, personne. Tout est trop calme. Il y a un piège quelque part, c'est sûr.

Une araignée qui remonte à toute vitesse au plafond me semble un signe. Un signe inquiétant. L'araignée, le piège.

Trop tard. Piotr et ses copains s'étaient cachés sous les lits. Ils surgissent et nous menacent avec un couteau à cran d'arrêt.

L'araignée avait raison.

Contre une arme blanche, mes jolis poings ne servent à rien. Nous restons les bras ballants tandis que Piotr ordonne à ses acolytes de nous déshabiller et de mettre le feu à nos vêtements. Il annonce qu'à partir de maintenant, quand nous volerons des cigarettes, nous devrons leur en donner la moitié, sinon il y aura encore des représailles.

— Si vous voulez la paix, les petits, vous n'avez qu'à payer.

Puis il se tourne vers moi, joue de la pointe du couteau autour de mon nombril et proclame:

— Toi, un jour, je t'arrangerai le portrait.

Je ne peux rien faire contre son couteau. Nous passons nus devant les autres enfants. L'histoire a vite fait le tour de l'orphelinat et nous savons que nous avons perdu la face.

Dehors il neige, c'est la période des fêtes, mais ici personne ne croit au Père Noël. Si le Père Noël existait, il nous aurait apporté des parents qui nous auraient gardés. Quand même, pour la Noël, nous avons droit chacun à une orange et à des osselets en véritables vertèbres de mouton mal nettoyées. J'épluche mon orange et je fais un vœu. Si un Père Noël m'écoute quelque part: «que Piotr reçoive un bon coup de couteau dans le bide».

48. VENUS. 7 ANS

Cette nuit j'ai fait un drôle de rêve. J'ai rêvé que des enfants se battaient et que l'un d'eux se tournait vers moi et me lançait: «Toi, un jour, je t'arrangerai le portrait.»

J'ai regardé hier soir à la télévision une émission sur la chirurgie esthétique. C'est sans doute ce qui a provoqué ce cauchemar. On y expliquait précisément comment on arrangeait le portrait. Maman était littéralement rivée à l'écran. D'habitude quand il y a du sang à la télé, mes parents m'obligent à aller me coucher, mais là ils étaient tellement fascinés qu'ils ont oublié de le faire.

Maman a déclaré qu'elle aimerait bien elle aussi passer sur la table d'opération pour se faire remodeler le visage. Elle a dit qu'il vaut mieux ne pas trop attendre, plus on est jeune meilleur est le résultat.

Papa a rétorqué que l'opération coûtait beaucoup trop cher, mais maman a répondu que la beauté n'a pas de prix, surtout quand elle constitue un capital professionnel. Papa a déclaré que, pour lui aussi, son physique était un atout indispensable mais qu'il préférait l'entretenir et raffermir ses chairs par le sport plutôt que par le bistouri.

Papa a reproché à maman de se laisser aller et d'être trop dépensière. Après, il a voulu lui donner un bisou mais maman l'a repoussé. Elle a dit qu'il ne la regardait plus, sinon, il aurait vu ses rides et il lui aurait lui-même proposé d'y remédier. Elle a dit qu'une femme n'est jamais parfaite et qu'à partir d'un certain âge elle est responsable de son visage.

C'est vrai, ça? La beauté n'est donc pas un trésor acquis une fois pour toutes?

Ils se sont disputés. Maman a reproché à papa de fréquenter une poule plus jeune qu'elle. Pourtant, je n'ai jamais remarqué le moindre oiseau dans l'appartement. Papa a déclaré qu'il n'avait pas de poule, qu'il en avait par-dessus la tête de ses soupçons. Maman a riposté que, de toute façon, toute femme a le droit de prendre soin de son physique et que, s'il refusait de lui payer l'opération, elle ne se gênerait pas pour tirer un chèque sur leur compte commun.

Papa a dit: «Tu n'as pas intérêt à faire ça.» Ils ont prononcé la phrase rituelle: «Pas devant la petite», et après, ils sont allés dans leur chambre. Ils ont continué à crier. Des objets se sont brisés par terre ou contre les murs. Et puis c'a été le silence.

Il y a beaucoup de choses que je trouve bizarres dans le comportement des adultes. Je suis restée encore un peu devant la télévision pour regarder la suite du magazine.

Après, dans ma chambre, comme souvent le soir, je me suis assise devant le miroir et j'ai réfléchi. Si maman a besoin de la chirurgie esthétique pour être encore plus belle, alors moi aussi.

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