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54. IGOR. 7 ANS

Depuis sa victoire sur nous, Piotr a accru ses exigences. Il a étendu son racket à tous les dortoirs. Son couteau à cran d'arrêt lui permet de faire régner sa loi.

À l'atelier, nous travaillons depuis peu à l'empaquetage des cigarettes. Piotr nous a donc ordonné de piquer régulièrement un paquet et de le lui remettre. Il a développé un tel trafic qu'il a réussi à mettre dans le bain plusieurs de nos surveillants adultes.

Piotr s'est entouré d'une garde rapprochée avec des lieutenants qui sèment d'autant plus la terreur dans nos rangs qu'ils jouissent de la bénédiction de nos gardiens. Quand ceux-ci veulent obtenir quoi que ce soit de nous, ils passent par l'intermédiaire de Piotr qui sait comment nous contraindre à obtempérer. Il a inventé toute une échelle de supplices pour les récalcitrants ou ceux qui rechignent à payer ce qu'il appelle l'«impôt piotrien». Cela va des brûlures de cigarettes aux estafilades à coups de couteau en passant par les tannées en tout genre.

J'en ai assez de cet endroit. Même mes amis les trois V, Vassili, Vania et Vladimir, ont fini par se soumettre à l'autorité de Piotr qui exige qu'on le considère comme un «tsarévitch».

Face à son groupe et à son organisation, ma force ne me sert à rien. Que je frappe à peine l'un d'entre eux et tous me tombent sur le râble.

Piotr a élu Vania comme souffre-douleur. Pour un oui ou pour un non, ses acolytes lui infligent gnons et éraflures. On a bien tenté de le protéger à l'occasion, mais alors c'est nous qui avons pris la pâtée et les surveillants n'ont rien fait pour nous protéger.

Vassili a réagi à la situation: «Il faut fuir cet orphelinat d'enfer», a-t-il dit. Nous avons donc décidé de creuser le tunnel pour nous évader. Notre dortoir n'est pas très éloigné du mur d'enceinte. Si tout va bien, on pourra tous les quatre voler librement de nos propres ailes dans un monde sans Piotr, sans ses acolytes et sans nos surveillants.

Ce matin, je suis convoqué chez le directeur. Je m'y rends en traînant les pieds et je le trouve en compagnie d'une grande personne en uniforme. Vu la flopée de médailles que le type arbore sur son plastron, ce doit être un type ultra-important. Le directeur s'adresse à moi d'une voix douce:

— Igor, je suis désolé.

— J'ai rien fait, m'sieur, c'est pas moi, dis-je spontanément en pensant qu'ils ont découvert notre tunnel.

Le directeur fait mine de n'avoir rien entendu.

— Igor, je suis désolé car tu vas devoir quitter cet établissement qui est pour toi, je le sais, comme une famille. Une nouvelle étape s'ouvre devant toi…

— La prison?

— Mais non! se récrie-t-il. L'adoption.

À ce mot, mon cœur s'accélère. Le directeur précise:

— M. Afanassiev, ici présent, a souhaité te rencontrer en vue de t'adopter. Évidemment, tu as ton mot à dire.

M'adopter?

Je considère le bonhomme. Il me sourit avec bonté. Il a l'air gentil. Il a un regard bleu tendre. Et puis toutes ces médailles… Les hommes en uniforme avec plein de médailles m'impressionnent.

Je m'approche. L'homme sent bon. Sans doute que sa femme ne peut pas avoir d'enfants et c'est pour cela qu'ils veulent m'adopter. Mon futur papa me passe un doigt sous le menton.

— Tu verras, tu te plairas chez nous. Ma femme réussit d'excellents gâteaux, au chocolat en particulier.

Des gâteaux! J'en ai l'eau à la bouche. Ici on n'en a que pour l'anniversaire du président et encore, ce sont des gâteaux à la graisse de porc et à la saccharine qui vous laissent un goût écœurant. Chez ces braves gens, j'en mangerai tous les jours, et au chocolat, en plus. Ah, le chocolat… J'imagine déjà ma future nouvelle maman. Une blonde rieuse. Avec de bons gros bras blancs pour pétrir la pâte.

Je croyais que j'étais trop vieux pour être adopté.

— M. Afanassiev est colonel dans l'armée de l'air. Il a droit à des dérogations. Il ne voulait pas de bébé mais un enfant déjà grand et en bonne santé.

Au dortoir, personne n'a voulu croire à mon histoire. Vladimir m'a asséné:

— La triste vérité, c'est qu'ils nous sortent de cette prison pour nous expédier dans des endroits encore pires.

— Ouais, a renchéri Vania. En plus, ils t'ont avoué que tu avais été choisi pour ton physique.

Vladimir en rajoute:

— Un colonel de l'armée de l'air… Il y a plein de trafics de jeunes recrues là-bas. C'est connu.

Je m'enquiers:

— Qu'en penses-tu, Vassili?

Vassili hausse les épaules et propose un poker. Je perds la première partie. Vassili empoche ma mise et se décide à donner son avis de grand sage:

— Je crois que tu ferais mieux de nous aider à creuser le tunnel.

Au début, son indifférence me désarçonne car Vas-sili est toujours de bon conseil, mais cette fois-ci je crois que son égoïsme a pris le dessus.

— Vous êtes tous jaloux parce que je vais avoir un papa et une maman tandis que vous, vous resterez claquemurés ici.

J'ai envie de les planter là, mais je continue le poker. Vladimir enchérit de vingt cigarettes, puis… s'adresse à moi sans me regarder:

— On a besoin de toi pour le tunnel.

J'éclate.

— Le tunnel, on n'y arrivera jamais! Dans un an, vous y serez encore!

Bientôt, je ne serai plus orphelin. Bientôt, j’aurai une vraie famille. Mes copains appartiennent déjà au passé. Notre séparation sera douloureuse, mais plus tôt je couperai mes liens avec les trois V, mieux je me porterai.

Maintenant que j'ai un vrai papa à moi je n'ai plus qu'un vœu: sortir d'ici.

55. ENCYCLOPÉDIE

SORTIR D'ici: Énigme: Comment relier ces neufs points avec quatre traits sans lever le stylo?

L'Empire des anges - pic_2.jpg

Solution:

L'Empire des anges - pic_3.jpg

On est souvent retenu de trouver la solution parce que notre esprit se cantonne au territoire du dessin. Or il n'est nul part indiqué qu'on ne peut pas en sortir.

Moralité: Pour comprendre un système, il faut… s'en extraire.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.

56. PAPADOPOULOS

Edmond Wells annonce la fin de tous les ésotéris-mes; et en effet, ses secrets à lui sont bien mal dissimulés.

Son Ulysse Papadopoulos est un moine ermite. Il s'est construit une maison, y a entassé de grandes réserves de nourriture, de quoi subvenir à ses besoins jusqu'à la fin de ses jours, puis il a muré la porte.

Il n'a pas bâti sa retraite n'importe où. Son refuge a été érigé en l'un des points les plus élevés et les plus reculés des contreforts de la cordillère des Andes, à proximité du site de Cuzco, au Pérou.

Là, Ulysse Papadopoulos médite et écrit. C'est un petit homme à la barbe noire frisottée, aux ongles démesurés et à la propreté relative. Lorsque l'on vit enfermé depuis dix ans dans une pièce de vingt mètres carrés, on finit par renoncer aux efforts vestimentaires ou hygiéniques. Et puis, il n'y a plus que les araignées à visiter le reclus.

Le moine est tout occupé à noter le dernier aphorisme d'Edmond Wells quand nous nous invitons chez lui. Le texte affirme que pour comprendre un système il faut s'en extraire. Cette assertion ravit mon ami Raoul. N'est-ce pas ce que précisément nous sommes en train de faire? Comme nous nous approchons pour mieux déchiffrer la page, Papadopoulos s'arrête subitement d'écrire.

— Qui est là?

La douche froide. Un mortel qui perçoit notre présence! Vite, derrière l'armoire.

Il renifle.

— Je vous sens. Vous êtes là, n'est-ce pas?

Ce petit homme est sûrement un médium hors pair. Il se tourne et se retourne comme un chat ayant entr'aperçu une souris.

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