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68. ENCYCLOPEDIE

VANUATU: L'archipel de Vanuatu a été découvert au début du dix-septième siècle par les Portugais dans l'une des zones encore inexplorées du Pacifique. Sa population est constituée de quelques dizaines de milliers d'individus, régis par des codes particuliers.

Il n'existe pas, par exemple, de concept de majorité imposant son choix à une minorité. Si les habitants ne sont pas d'accord, ils discuteront entre eux jusqu'à parvenir à l'unanimité. Évidemment, chaque discussion prend du temps. Certains s'entêtent et refusent de se laisser convaincre. C'est pourquoi la population de Vanuatu passe un tiers de ses journées en palabres afin de se persuader du bien-fondé de ses opinions. Lorsqu'un débat concerne un territoire, la discussion peut durer des années, voire des siècles, avant de déboucher sur un consensus. Entre-temps, l'enjeu restera en suspens.

En revanche lorsque enfin, au bout de deux ou trois cents ans, tout le monde se met d'accord, le problème est véritablement résolu et il n'existera pas de rancœur car il n'y aura pas de vaincus.

La civilisation de Vanuatu est d'ordre clanique, chaque clan appartenant à un corps de métier différent. Il y a le clan spécialisé dans la pêche, le clan spécialisé dans l'agriculture, la poterie, etc. Les clans procèdent entre eux à des échanges. Les pêcheurs offriront, par exemple, un accès à la mer en échange de l'accès à une source en forêt.

Les clans étant spécialisés, lorsque naît dans un clan d'agriculteurs un enfant montrant des dons innés pour la poterie, il quittera les siens pour être adopté par une famille de potiers qui l'aidera à exprimer son talent. Il en ira de même pour un enfant de potiers attiré par le métier de la pêche.

Les premiers explorateurs occidentaux ont été choqués en découvrant ces pratiques car ils s'imaginaient de prime abord que les habitants de Vanuatu se volaient leurs enfants les uns les autres. Or il n'y a pas là rapt, mais échange en vue de l'épanouissement optimal de chaque individu.

En cas de conflit privé, les habitants de Vanuatu usent d'un système complexe d'alliances. Si un homme du clan A a violé une fille du clan B, ces deux clans n'entreront pas directement en guerre. Ils feront appel à leur «représentant en guerre», c'est-à-dire à un clan extérieur auquel ils sont liés par serment. Le clan A aura ainsi recours au clan C et le clan B au clan D. Ce système d'intermédiaires jette dans la bataille des gens peu motivés pour s'étriper puisqu'ils ne sont pas directement concernés par les griefs des uns et des autres. Au premier sang versé, chacun préfère renoncer en considérant avoir rempli son devoir envers son allié. À Vanuatu, il n'y a ainsi que des guerres sans haine et sans acharnement par vaine fierté.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.

69. JACQUES. 14 ANS

Le monde scolaire est ma prison. Les W-C sont mon refuge. Quand je m'y retrouve, naturellement j'y fais le point. Mes notes scolaires se sont un peu améliorées, mais sans une très bonne mémoire je ne pourrai jamais exceller.

Martine a quitté le lycée. Le cirque où ses parents travaillent s'en va. Sibélius, son père, est hypnotiseur. Je crois l'avoir déjà vu à la télévision. Après avoir tourné dans la région de Perpignan, les artistes s'envolent pour le Pérou. Avant de me quitter, Martine m'a répété:

— Renforce tes points forts plutôt que de chercher à combler tes points faibles.

Martine est donc partie, et moi j'ai l'impression d'avoir perdu avec elle beaucoup de ma force. En cours, cette année, le professeur de français est une jeune femme à longue chevelure rousse et au chemisier trop serré, Mlle Van Lysebeth. On est tous impressionnés par cette splendide créature. Pour mieux faire connaissance avec nous, elle nous demande d'écrire une nouvelle sur le sujet de notre choix.

Rumeur dans la classe. Le système scolaire en vigueur ne nous a pas habitués à être livrés à nous-mêmes. Des élèves bougonnent. D'autres se plaignent.

— Mais, mademoiselle, on ne sait pas faire ça. Il faut nous indiquer un thème.

— Essayez quand même. Vous verrez bien le résultat.

C'est la première fois qu'un professeur nous laisse la bride sur le cou. Cette liberté nouvelle me convient parfaitement. Je me lance dans une histoire que j'appelle: «Le sous-pape.» J'imagine qu'au prochain conclave, un ordinateur prendra place parmi les papabili. Il n'est pas de meilleur choix qu'un ordinateur pour représenter le christianisme. Plus de compromissions possibles avec les milieux économiques ou politiques. Plus d'ambitions personnelles exacerbées. Les cardinaux engrangent donc tous les grands principes du christianisme dans un programme informatique et le déposent ensuite dans un robot humanoïde qu'ils baptisent «Pie 3,14». Ils ne voient que des avantages à son élection. Seul Pie 3,14 peut être nommé à vie sans crainte qu'il tombe un jour dans la sénilité. Si un déséquilibré lui tire dessus, on pourra toujours rétablir son programme. En plus Pie 3,14 n'est pas confiné dans une période donnée de l'histoire de l'humanité, il peut être informé au fur et à mesure de l'évolution de la société et en tenir compte. Le robot se «réforme» lui-même en permanence pour s'ajuster aux mœurs nouvelles. Et ainsi, grâce à la technologie de pointe, le christianisme devient la religion la plus en phase avec ses adeptes.

Pie 3,14 est évidemment équipé d'un logiciel d'intelligence artificielle qui lui permet de développer sa propre logique à partir de la pensée de Jésus bien comprise et associée à ses propres observations et déductions du monde terrestre.

À la fin de ma nouvelle, Pie 3,14, le pape informatique, commence à percevoir ce qu'est réellement Dieu, ce qui est à mes yeux la véritable mission d'un pape. Le problème, c'est qu'il constate que Dieu aussi est faillible et qu'il serait bien mieux de le remplacer à son tour par un ordinateur… C'est la chute de ma rédaction.

Lorsque, la semaine suivante, Mlle Van Lysebeth nous rend nos copies par notes décroissantes, elle garde la mienne et me demande de rester après le cours.

— C'est étonnant ce que tu écris, dit-elle. Quelle imagination! C'est à la télé que tu vas chercher tout ça?

— Dans les livres plutôt.

— Quels livres?

J'énumère:

— Kafka, Edgar Allan Poe, Tolkien, Lewis Carroll, Jonathan Swift, Stephen King…

— Pourquoi te cantonner à la littérature fantastique et ne pas t'intéresser aussi aux grands classiques?

Elle se penche, fouille dans un tiroir, et me tend le Salammbô de Gustave Flaubert.

— Tiens, lis ça. Une question encore, quelles sont tes notes en français d'habitude?

— Entre 6 et 9 sur 20, mademoiselle, mais… plutôt 6.

Elle me rend ma nouvelle, avec dessus à l'encre rouge un 19/20, agrémenté dans la marge d'un: «Beaucoup d'idées originales. J'ai eu grand plaisir à vous lire.»

Mlle Van Lysebeth aime bien discuter avec moi après son cours. On parle de l'histoire de la littérature dans le monde entier. Que ce soit les enquêtes du juge Ti écrites par Van Gulik ou le Mahâbhârata, elle m'ouvre des horizons nouveaux. Un soir, elle me propose de me raccompagner chez moi en voiture. Je m'étonne parce qu'elle ne prend pas la bonne route mais je n'ose rien dire. Elle stoppe le moteur dans un chemin désert et me fixe droit dans les yeux. Je me tais toujours quand sa main quitte le volant pour se poser sur la mienne.

— Tu iras loin en littérature, affïrme-t-elle.

Puis sa main descend et ouvre ma chemise.

— J'aime être la première. Je suis bien la première, n'est-ce pas?

— Je… enfin… ça dépend en quoi… Euh… c'est-à-dire…, bafouillé-je.

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