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Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.

148. VENUS. 22 ANS ET DEMI

Maintenant ma carrière est sur les rails. Je me suis fait refaire les seins et quand je m'allonge sur le dos, les pointes restent dressées vers le ciel telles des pyramides égyptiennes.

Un coiffeur visagiste a coupé mes cheveux et un dentiste «paysagiste des mâchoires» s'est chargé d'un traitement spécial pour me blanchir les dents. Les métiers de la médecine sont décidément en passe de devenir des métiers d'art.

Dans les kiosques, ma silhouette et mon visage démultipliés ornent régulièrement les couvertures de magazines. Un sondage me classe parmi les dix femmes les plus sexy du monde. Inutile de dire qu'avec cette carte de visite j'ai tous les types à mes pieds. Je jette donc mon dévolu sur celui qui est toujours classé le numéro un des sex-symbols masculins, Richard Cuningham. L'idole de ma jeunesse.

Je charge Billy Watts d'arranger l'affaire. Il s'empresse d'obtempérer car son médium lui a confirmé que je formerais bientôt un couple avec Cuningham. Mon agent convainc facilement celui de Cuningham et, quelques jours plus tard, tout est convenu, signé, négocié, ratifié. Je dois rencontrer Richard «par hasard» dans un restaurant japonais de Santa Monica. Tous les photographes ont été avertis par un buzz du genre: «Ne le répétez à personne mais il paraît que…»

Je porte pour l'occasion des vêtements rouges car il a déclaré dans une interview aimer les femmes qui s'habillent en rouge. Pour sa part, il a eu la délicatesse de se parfumer avec «Euphorie», le parfum français que je représente.

Nos agents mangent à une table non loin et passent au crible la liste de leurs autres clients masculins et féminins qu'ils pourraient mettre en couple. Je regarde Richard. Il me semble mieux que dans ses films. Etonnant comme sa peau est lisse. Et ce n'est pas de la chirurgie esthétique! Il doit utiliser une crème révolutionnaire, un truc que je ne connais pas. L'avoir devant moi en chair et en os, après l'avoir vu si souvent à la devanture des cinémas et dans des magazines, m'intimide un peu. Pour sa part, il mate mes seins neufs. Je ne suis pas mécontente de les rentabiliser aussi vite. On commande des sushis puis vient l'instant terrible où l'on doit engager une conversation. Nous ne savons pas quoi nous dire.

— Euh, votre agent… il est bien? demande Richard. Il prend combien?

— Heu… 12 % sur tout ce que je fais. Et le vôtre?

— Le mien me prend 15 %.

— Peut-être devriez-vous renégocier?

— C'est-à-dire que le mien s'occupe de tout. Il remplit mes factures, mes feuilles d'impôts, il paye mes courses, avec lui je peux même me permettre de ne jamais avoir d'argent sur moi. Je crois que la dernière fois où je me suis servi d'un porte-monnaie c'était il y a dix ans, avant mon succès dans le film Nue contre toi.

— Ah… Nue contre toi?

— Oui…

— Mmmh…

Que dire ensuite? Silence gênant. Heureusement, on

nous apporte les plats et nous mangeons. Ce n'est qu'au dessert que nous trouvons un deuxième thème de conversation. Nous parlons des cosmétiques qui entraînent des allergies et de ceux que tous les types de peaux supportent bien. Enfin détendu, il me dresse la liste de tous les ragots qu'il connaît dans le métier, qui couche avec qui, et quelles sont les perversions des célébrités. Ça, c'est vraiment passionnant. Le genre de conversation qu'on n'a pas avec n'importe quel quidam.

— Je vous trouve très belle, articule-t-il en y met tant une intonation très professionnelle.

Bon, il n'a pas vu tout ce qui cloche chez moi. J'en connais les détails par cœur: mes oreilles aux lobes trop courts, mes cils effrangés, mon gros orteil qui fait angle avec le reste du pied, mes genoux un peu cagneux…

Après le repas, il me conduit dans un palace où il a ses entrées et nous nous apprêtons à faire l'amour. D'abord, il plie ses affaires proprement sur une chaise puis il commande du Champagne et règle au mieux les lumières pour créer une ambiance tamisée.

— Alors, tu as le trac, petite? me demande-t-il.

— Un peu, éludé-je.

— Tu te rappelles ce que je fais à Gloria Ryan dans D'amour et d'eau fraîche, le truc avec le coussin, tu veux qu'on fasse pareil?

— Désolée, je n'ai pas vu ce film. Que faites-vous avec le coussin, au juste?

Il déglutit, puis il pose la question qui a l'air de le préoccuper depuis le début de notre rencontre.

— Lesquels de mes films tu as vus?

J'en cite une bonne dizaine.

— Tu n'as pas vu Les Larmes de l'horizon? ni Point trop n'en faut? ni C'est comme ça et puis c'est tout? Ce sont mes meilleurs. Même les critiques sont unanimes sur ces trois-là.

— Ahhh…

— On peut les trouver en DVD, je pense. Bon, et parmi les films où tu m'as vu, quel est ton préféré?

— Nue contre toi, dis-je, baissant les yeux.

Moi aussi, je sais faire l'actrice.

Il en profite pour me déshabiller. Par précaution, j'ai choisi pour dessous ma tenue en dentelle de soie «Ravage». Ça, c'est mon petit film à moi. Ça lui fait de l'effet. Il me pétrit aussitôt la poitrine à travers l'étoffe, embrasse mon cou, caresse longuement mes cuisses. Je l'arrête avant qu'il ne touche mes genoux cagneux. Puis je le caresse à mon tour. Je découvre quelques tatouages sur son corps, ce sont des reproductions d'affiches des trois films préférés qu'il m'a cités. Un moyen subtil de faire sa propre promotion.

Puis nos corps se posent l'un sur l'autre. Il ne me conduit pas à l'orgasme. Il est trop attentif à son propre plaisir pour s'occuper du mien.

Les jours qui suivent, je réalise que Richard n'est probablement pas l'homme idéal évoqué par la médium Ludivine. Mais je suis consciente que le fréquenter me propulse dans le show-business. Je décide donc de devenir Mme Cuningham. Autre avantage, toutes mes rivales en seront vertes de jalousie et rien que pour ça, ça en vaut la peine.

Je redoutais que ce mariage ne me fasse perdre les faveurs du grand public mais au contraire ma cote grimpe encore. Trois jours après la noce, je suis invitée au journal de 20 heures, présenté par le légendaire Chris Petters. Quelle consécration! Chris Petters, l'idole des ménagères de moins de cinquante ans, est le journaliste le plus célèbre depuis l'avènement de sa chaîne d'information américaine en continu qui couvre toute la planète. C'est lui qui dit au monde ce qu'il doit penser de tout ce qui se passe sur les cinq continents. C'est à lui que les tyrans les plus cruels remettent des otages éperdus de reconnaissance après des mois passés dans des caves enchaînés à des radiateurs, car même les tyrans regardent le journal de Chris Petters.

J'arrive au studio avec un peu de retard, conformément à mon nouveau statut de star, et le journaliste est là pour m'accueillir avec son célébrissime sourire. Il affirme que c'est un grand honneur pour lui de recevoir une star telle que moi. Il me dit suivre ma carrière depuis le début et avoir toujours su que j'irais loin.

Dans mon fauteuil, près de lui, je commente les images: la guerre en Tchétchénie (je persiste à me déclarer farouchement contre toutes les guerres), les maladies sexuellement transmissibles (je suis pour la sexualité mais pas au prix de la mort), la pollution (c'est scandaleux tous ces industriels qui polluent), les tremblements de terre (c'est affreux tous ces gens qui meurent parce que les promoteurs n'ont pas construit de maisons assez solides, on devrait les mettre en prison), l'amour (il n'y a rien de plus beau), Richard (c'est le meilleur des hommes, nous sommes très heureux et nous voulons beaucoup d'enfants).

Après l'émission, Chris Petters me dit qu'il souhaiterait avoir mon adresse pour m'envoyer l'enregistrement de l'émission sur une cassette. Le soir même, alors que, fourbue, je m'apprête à profiter d'un bon sommeil, j'entends frapper à ma porte. Comme je vis toujours seule (le mariage avec Richard est plus médiatique que réel), je regarde dans l'œilleton. C'est Chris Petters. J'ouvre.

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