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Sa main continue son exploration avec une lenteur gênante.

— As-tu déjà lu les textes érotiques de Jean de La Fontaine?

— Heu… non… c'est bien?

En guise de réponse sa main s'aventure dans des zones très sensibles. Je me laisse faire, aussi impressionné par son initiative que par l'étrangeté de cette situation. Comme un petit animal furtif sa main droite libère mon corps de ses entraves et sa main gauche les différents élastiques, étoffes, et boutons qui emprisonnent le sien.

Ensuite c'est la panique totale, la peur incoercible, suivie d'une réassurance progressive et, au final, un très vif intérêt pour les textes de Jean de La Fontaine que j'ai peut-être trop vite éludés.

70. IGOR. 14 ANS

J'ai commencé à boire. Plus je bois, plus je hais l'Occident. Un jour, il y aura la guerre entre nous et les pays riches de l'Ouest. J'ai hâte de voir ça. Chaque fois que je suis brimé, chaque fois que j'écrase une punaise, chaque fois qu'on m'impose de nouvelles restrictions, je me dis que c'est la faute à la France, à l'Angleterre et aux États-Unis.

Dans un journal qui traînait, j'ai lu un article s u r une jeune fille nommée Venus Sheridan qui a exactement mon âge et qui est top-model millionnaire en Amérique. Je me dis que lorsqu'on aura envahi ces pays décadents, je lui montrerai ce dont est capable un garçon slave robuste et travailleur, pas comme les loques qui l'entourent sûrement là-bas.

La nuit, je contemple les étoiles par la fenêtre. Il y en a forcément une qui est la planète Vénus. Dans ma tête, je fais l'amour avec l'image de ma star américaine. Je sais que je la rencontrerai un jour en chair et en os. Et alors là…

71. VENUS. 14 ANS

«Joyeux anniversaire, Venus.»

Une armée de pique-assiettes, des amies de ma mère, a envahi le salon. Il est hors de question que je sorte de ma chambre. Hier, pour la première fois, j'ai eu mes règles. Croyant me faire plaisir, ma mère m'a dit que j'étais «enfin une vraie femme» à présent, que je pouvais «connaître l'amour des hommes».

Je hais ce corps. Je reste plusieurs jours enfermée dans ma chambre, à refuser de voir quiconque et à tenter de me rasséréner.

Mais l'appel des sunlights est le plus fort. Je me convaincs que la vie continue.

Terminé, les vêtements enfantins. Je suis maintenant une adolescente, une star en herbe qu'on réclame partout. Je tourne un spot de publicité pour une boisson gazeuse. Je suis censée dérober une canette à un beau jeune homme et la boire devant lui pour le provoquer.

Le soir à la maison, ça crie toujours. Mes parents se détestent dorénavant ouvertement. Entre eux, la guerre est déclarée.

J'ai fini par comprendre qu'«oseille» signifie argent et que plus j’en gagne, plus mes parents se disputent. Or ces dollars n'appartiennent ni à papa ni à maman, mais à moi seule.

J'espère bien qu'ils n'y toucheront pas et le placeront sur un livret d'épargne pour qu'il fructifie en attendant que je sois en âge d'en disposer.

Je sais déjà comment je dépenserai mon trésor. Je m'achèterai des bijoux, j'aurai recours à de nouvelles opérations de chirurgie esthétique (une fossette au menton par exemple, voilà qui m'irait bien; Ambrosio fera ça avec talent).

Pour l'instant, j'ai surtout besoin de boules Quies pour les oreilles. Tous les soirs ça hurle. Tous les soirs j'entends papa ou maman clamer: «S'il n'y avait pas la petite, il y a longtemps que je ne serais plus là.»

Ces chicaneries commencent à m'exaspérer.

Il m'est venu un matin une idée pour capter leur attention. Ne plus manger.

Je teste l'effet au repas du soir. Je refuse tous les plats. Leur réaction dépasse toutes mes espérances. Ils me parlent. Rien qu'à moi et tous les deux ensemble. Ça n'est pas arrivé depuis longtemps. Ils me disent: «Il faut que tu manges.» Je réponds: «Pour les mannequins, moins on mange mieux c'est.» Maman dit que non. Papa gronde maman pour m'avoir inculqué toutes ces idées débiles. Ils sont de nouveau au bord de la dispute, mais je les regarde et quelque chose les retient. Ils reviennent à moi pour me convaincre d'avaler au moins quelques bouchées.

J'accepte mais, les jours suivants, je fais monter la tension en réduisant encore plus les portions.

Je suis contente. J'ai trouvé le moyen de contrôler mes parents. Quand je ne mange pas, ils arrêtent de se disputer et, en plus, ils s'intéressent à moi.

Je les tiens!

Bien sûr, c'est difficile de se priver de ce petit plaisir, manger, mais le jeu en vaut la chandelle. D'ailleurs, moins je mange, moins j'ai faim. C'est tout bénéfice pour moi car mon corps entre exactement dans les normes impératives pour réussir dans le métier de top-model. Je deviens tout à fait filiforme, une vraie brindille. Super! Je parviens à agir sur mon corps sans recourir à la chirurgie.

Plus fort encore, depuis que je ne mange plus, mes règles ont disparu. Double récompense. Si seulement j'avais découvert plus tôt cette méthode toute simple pour reprendre à la fois le contrôle de mon corps et celui de mes parents!

Maintenant qu'ils s'intéressent à moi, je ne veux plus jamais les entendre se disputer.

72. LES VŒUX PIEUX

Je m'installe au bord du lac des Conceptions sous un large pin parasol turquoise. Je retourne les paumes de mes mains et retrouve mes trois sphères qui tournent lentement devant moi. Les reflets de mes âmes cha toient. Je multiplie les angles de vues et trace le bilan de leurs quatorze ans. Jacques est mauvais élève, mais il écrit des nouvelles. La rédaction sur le pape ayant bien marché, je lui envoie en rêve des histoires encore plus originales.

Venus est superficielle, mais elle gagne déjà sa vie en posant comme mannequin. Elle veut que ses parents arrêtent de se disputer… humm… je vais les pousser à divorcer.

Igor est coincé dans son centre de redressement mais il se fait facilement des amis et il est déjà très mûr pour son âge. Je vais procéder à un petit effet «billard» pour agir sur son entourage afin de le faire sortir de cet établissement. Il est temps maintenant qu'il rencontre d'autres gens.

La silhouette d'Edmond Wells apparaît devant moi.

— Où en sont tes clients?

Je lui montre ma couvée, tout content de n'avoir pas encore connu de gros pépins.

— Il faut que je t'apprenne quelque chose, me dit mon instructeur. Ces trois-là, ils ne t'ont pas été confiés par hasard. Ils sont révélateurs de ta propre nature, de ton âme profonde. Chacun correspond à l'une de tes propres facettes à améliorer. La somme des personnalités de ses trois clients reconstitue la per sonnalité de l'ange. Igor plus Jacques plus Venus égale Michael. Tu es une trinité.

C'était donc ça! En soignant mes trois œufs, je me livre à une sorte de superpsychanalyse… Edmond Wells, probablement habitué à l'effet de cette révélation, me prend par le bras.

— Ne t'es-tu pas rendu compte de tes points communs avec tes clients? Comme Jacques tu voulais écrire. Comme Igor tu voulais être un dur. Comme Venus tu voulais plaire.

— Ainsi donc Jacques serait mon imagination, Igor mon courage et Venus ma séduction…

— De même que Jacques serait ta lâcheté, Igor ta brutalité et Venus ton narcissisme. Tes clients sont ensemble ta rédemption et ta prise de conscience de ce que tu étais vraiment.

En agissant sur eux, j'agis donc indirectement sur moi-même… Une fois de plus, j'ai l'impression de ne comprendre qu'à demi les règles du jeu tant elles sont complexes. Edmond Wells s'éloigne, Raoul Razorbak s'approche.

— Il t'a dit? Tu piges maintenant? Je ne sais pas qui tire les ficelles là-haut, mais quel divertissement pervers! Ces 7 ou ces dieux s'amusent à nos dépens. Ils nous confrontent à nos différentes facettes et observent comment nous réagissons.

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