Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

45. LES BONS ET LES MÉCHANTS

La sphère des humains… Je comprends que c'est ici que retournent nos œufs chaque fois qu'ils repartent vers le nord-est. Je comprends qu'à être ainsi agglutinées, les âmes déteignent les unes sur les autres et s'harmonisent entre elles. D'où la fameuse phrase dont Edmond Wells me rebat les oreilles: «Il suffît qu'une âme s'élève pour que s'élève l'ensemble de l'humanité.» Serait-ce là la fameuse «noosphère» de Teil-hard de Chardin, là où se mêlent toutes les consciences des hommes?

— Mais si nous, les anges, nous ne faisions rien, est-ce qu'ils évolueraient tout seuls? demande inopinément Raoul.

— Nous sommes les bergers qui regroupons le troupeau dans la bonne direction. Mais c'est sûr, grâce à l'action passée des anges, ils sont déjà dans la bonne direction.

— Alors, dans ce cas, on pourrait peut-être les laisser…

Edmond ne se donne même pas la peine de relever la remarque. Raoul insiste:

— Et pour nous, quel est le prochain degré d'évolution? Le monde des dieux?

Edmond Wells hausse les sourcils.

— Vous me faites rire, vous, les jeunes anges. Vous voulez tout savoir tout de suite. Vous ne parvenez pas à vous dépêtrer de vos vieilles habitudes d'humains. Mais regardez attentivement vos œufs et vous vous rendrez compte de tous ces résidus d'habitudes de mortels qui vous encombrent encore et vous alourdissent. Au lieu de rabâcher des questions d'humains, conduisez-vous en anges!

Là-dessus, au comble de l'exaspération, notre mentor nous tourne le dos et s'en va à grands pas. Il court vers Mère Teresa pour la chapitrer. Du peu que j'entends d'ici, Mère Teresa compte parmi ses clients un chef d'État auquel elle ne cesse de suggérer d'augmenter les taxes sur les grandes fortunes. Edmond Wells lui martèle que ce n'est pas en brimant les riches qu'on rend les pauvres plus heureux.

Je m'approche pour mieux entendre.

— Chère Mère Teresa, par moments, vos raisonnements sont par trop simplistes. Comme le disait un de mes amis, «il ne suffit pas de réussir, il faut également jouir du plaisir de voir les autres échouer». Lui plaisantait, mais vous, vous partagez vraiment cette opinion. Vous êtes persuadée que la misère d'un humain lui sera plus supportable si l'humanité tout entière connaît le même sort. Le but est, au contraire, que tous les humains soient riches!

Mère Teresa affiche une expression d'élève butée convaincue, quoi qu'il en soit, d'avoir raison.

Pour ma part, je pense que Mère Teresa, ayant toujours vécu parmi les indigents, est tentée de reproduire son ancien environnement afin d'y retrouver ses repères. Les pauvres, elle les a toujours connus. Les riches, c'est beaucoup plus compliqué. La sainte femme s'est trouvée contrainte de s'intéresser aux cours de la Bourse, aux aléas de la mode, aux dîners en ville, aux restaurants en vogue, aux dépressions nerveuses, à l'alcoolisme mondain, à l'adultère, à la thalassothérapie, bref, à tous les tracas des riches.

Mère Teresa écoute les remontrances d'Edmond Wells, réfléchit de mauvais gré et annonce:

— Je devrais peut-être inciter mon président à lancer une campagne de régulation des naissances dans les quartiers défavorisés. Ne faites que les enfants dont vous êtes capables de vous occuper sinon ils sombreront dans la drogue et la délinquance. C'est ça que vous voulez?

— Essayez toujours, soupire Edmond Wells. C'est déjà mieux.

Je trouve que notre instructeur est quand même un pédagogue très patient. À sa manière, il respecte le… libre arbitre des anges.

Raoul étend ses bras vers l'horizon et s'envole. Je le suis.

— Edmond Wells sait ce que sont les 7. Il sait forcément ce qu'il y a au-dessus de nous.

— Il ne nous dira rien, tu as déjà vu ses réactions, dis-je.

— Lui restera toujours bouche cousue. Mais il y a son livre…

— Quel livre?

— Son Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu. Celle-là même qu'il a commencée dans sa vie de mortel et poursuit dans sa vie céleste. Tu sais bien, il nous en cite toujours des extraits. Il y accumule tout son savoir, il y évoque tout ce qu'il a découvert et tout ce qui l'intéresse dans l'univers. Les trois premiers tomes, il les a rédigés sur Terre où les mortels peuvent les consulter. Mais le quatrième, il est en train de l'écrire ici.

— Où veux-tu en venir?

Mon ami fait un looping puis revient planer à mes côtés.

— Edmond Wells tient tellement à répandre sa science qu'il a forcément cherché un moyen de matérialiser son quatrième tome à l'instar des trois précédents.

— Edmond Wells ne dispose plus de crayon, de stylo, de machine à écrire ni d'ordinateur. Il peut accumuler toutes les informations qu'il voudra, elles reste ront à jamais dans l'éther.

Ce ne sont pas là arguments à arrêter Raoul.

— Tu ne le crois quand même pas assez fou pour inscrire les grands secrets du Paradis dans quelque manuscrit matériel dissimulé quelque part sur la Terre?

Raoul reste imperturbable.

— Tu te souviens de ce passage de Y Encyclopédie intitulé «La fin des ésotérismes»? Il y était nettement

dit: «Désormais tous les secrets peuvent être exposés au grand public. Car il nous faut nous rendre à l'évidence: ne comprennent que ceux qui ont envie de comprendre.»

Nous tournoyons au-dessus du Paradis.

— Tous les secrets SAUF celui des 7! On ne peut quand même pas imaginer qu'Edmond Wells ait confié à un humain médium, sur Terre, les arcanes du Paradis pour que celui-ci les retranscrive dans un livre…

Mon ami affiche un air ravi, comme s'il attendait que je prononce ces mots.

— Qui sait?

46. ENCYCLOPEDIE

LA FIN DES ÉSOTÉRISMES: Jadis, ceux qui avaient accès à des connaissances fondamentales sur la nature de l'homme ne pouvaient les révéler d'un coup. Les prophètes s'exprimaient donc par paraboles, métaphores, symboles, allusions, sous-entendus. Ils avaient peur que le savoir ne se disperse trop vite. Ils avaient peur d'être mal compris. Ils créaient des initiations pour trier sur le volet ceux qui étaient dignes d'avoir accès aux informations importantes. Ils créaient des hiérarchies de connaissants.

Ces temps sont révolus. Désormais tous les secrets peuvent être exposés au grand public, car il faut nous rendre à l'évidence: ne comprennent que ceux qui ont envie de comprendre. L'«envie de savoir» est le plus puissant moteur humain.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.

47. IGOR. 7 ANS

Le monsieur en uniforme était un policier. Il était beau. Il était grand. Il était fort. Il dégageait une odeur de propre. Il m'a pris dans ses bras.

Il a secoué la neige autour de moi et m'a conduit à l'orphelinat le plus proche. Enfin à l'écart du pire danger. Maman. Cela fait maintenant deux ans que j'y suis.

À l'orphelinat, il y a d'autres enfants rejetés par leurs parents. C'est nous les rebuts de la société, les mal-aimés, les pas souhaités, ceux qui n'auraient jamais dû naître.

M'en fiche. Suis vivant.

Ici, ça ressemble à un refuge pour chiens abandonnés sauf que le vétérinaire passe moins souvent et que la pâtée est moins abondante.

Les autres gamins sont nerveux. Heureusement, je suis fort. Quand il y a des problèmes, je ne réfléchis pas, je fonce et je tape. De préférence au ventre de mes adversaires. Je me suis fait une réputation de brute, mais je préfère ça, car au moins je suis craint. D'abord être craint, ensuite devenir copain. Je pige vite que les gens, quand t'es gentil, ils croient que t'es faible. Je ne suis pas gentil. Je ne suis pas faible.

Nous sommes quatre dans le dortoir. Avec moi, il y a les trois «V».

20
{"b":"105854","o":1}