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Les printaniers vivent dans les plaines au sein de villes de tailles réduites. Une agriculture florissante, beaucoup de céréales. Croissance démographique moyenne. Régime politique: monarchique. Technologie: moyenne. Point fort: pas de point fort. Point faible: pas de point faible non plus. Les printaniers sont moyens dans tout ce qu'ils entreprennent. Très liés aux estivaux, ils pensent qu'avec leur aide ils envahiront un jour les hivernaux et les automnaux et s'empareront de leurs technologies. Ainsi ils auront gagné sur tous les tableaux. Devise: «L'équilibre est à mi-chemin entre les deux extrêmes.»

Les estivaux vivent dans de petits villages construits autour des grandes oasis qui transpercent leur désert.

Très peu de technologie. Ils font beaucoup d'enfants. Régime despotique. Tout le monde est aux ordres du Commandeur qui a le droit de vie et de mort sur tous. Point fort: d'immenses cheptels de gros lémuriens alimentés par les céréales des printaniers qu'ils tondent et font grossir pour les manger. Lorsque le taux de croissance démographique se fait trop lourd, le Commandeur lance des croisades en direction des continents voisins afin de conquérir de nouveaux territoires au titre d'espace vital. Même si elles font souvent figure de suicides collectifs, ces croisades ont permis peu à peu aux estivaux de prendre pied sur les trois autres continents où ils ont institué des «zones libérées» qui très lentement grandissent en grignotant les autres territoires. Les croisades se déroulent durant les périodes chaudes car leur adaptation à la canicule favorise les estivaux.

Le sacrifice est considéré comme une valeur essentielle de la culture estivale. Tous les estivaux doivent être capables de se sacrifier pour le rayonnement de leur Commandeur. Devise: «Plus vous souffrirez ici-bas, mieux vous serez récompensés au paradis.»

Malgré la volonté de neutralité des automnaux et des printaniers, les quatre continents sont en permanence en conflit plus ou moins larvé. Les estivaux et les hivernaux sont officiellement en guerre, les automnaux et les printaniers se chargeant de faire pencher alternativement la balance d'un côté ou de l'autre. Le plus souvent, ce sont les conditions météorologiques qui décident du vainqueur.

L'ellipse de Rouge étant plus large que celle de la Terre, les saisons y sont plus longues. Au lieu de durer trois mois, elles s'étendent sur cinquante ans. D'où des années de soixante-treize mille jours, au lieu de trois cent soixante-cinq.

Le demi-siècle d'été profite aux estivaux et contraint les hivernaux à demeurer terrés. Dé même les cinquante ans d'automne bénéficient aux automnaux, les cinquante ans de printemps aux printaniers et les cinquante ans d'hiver aux hivernaux.

À chaque saison qui le favorise, le peuple concerné tente de s'imposer une fois pour toutes. Chacun aimerait avoir le pouvoir d'arrêter le temps et de fixer le climat sur la période à laquelle il est adapté. Mais, inexorablement, le temps s'écoule et contraint les détenteurs momentanés du leadership mondial à laisser la place aux suivants.

Zoz nous invite à continuer à descendre vers Rouge pour voir les capitales des quatre continents. Celle des hivernaux a été construite en altitude, tout en haut d'une montagne. On distingue peu de formes au sol puisque les gens vivent retranchés dans des galeries souterraines climatisées où ils circulent à la lumière de néons. Pour les femmes, la mode est aux minijupes et aux seins exhibés au travers de découpes dans les chemisiers et les vestes, le tout ressemblant beaucoup aux vêtements qui prévalaient sur Terre à l'époque minoenne en Crète.

Le mode de locomotion des hivernaux est un métro dont les rames desservent tous leurs quartiers.

Les automnaux ont construit leur capitale sur un plateau rocailleux qu'ils ont couvert de gratte-ciel. Leurs rues sont obstruées par des embouteillages monstrueux. Ici l'automobile règne en maître. Les gens sont très nerveux. La mode est aux vêtements moulants fabriqués dans une matière plastique commode pour la course à pied et la pratique des sports en général.

Les printaniers ont érigé leur capitale dans une vallée entourée de champs cultivés aux fleurs mauves. Leurs maisons sont des demi-sphères de ciment. Les habitants se pressent sur de grands marchés où le commerce est florissant. Les fermières arborent de grandes jupes pleines de poches où elles entassent le produit de leurs courses. Il y a de nombreux jardins et beaucoup de circulation dans les rues. Le mode de locomotion des printaniers est à base d'attelages tirés par des quadrupèdes ressemblant à des tapirs.

La capitale des estivaux s'étale au milieu d'une oasis. Les multiples plates-formes de l'immense palais du Commandeur surplombent les résidences de ses épouses et des membres de sa famille qui sont souvent ses ministres. Tout autour, les casernes militaires des «volontaires de la mort», lesquelles servent d'abris à la fois à l'armée, à la police et aux redoutables services secrets. Des prisons surpeuplées longent les casernes.

Vient ensuite la ville proprement dite. Les bâtisses sont de plus en plus délabrées. Les quartiers périphériques respirent la misère.

— C'est ici, nous confie Zoz, que le Commandeur recrute l'essentiel de ses «volontaires de la mort» pour ses guerres. Le Commandeur a persuadé les plus pauvres que leur misère était due à l'arrogance des hivernaux. Si bien que les estivaux vivent soudés dans la haine des montagnards.

Dans la capitale estivale tout le monde circule à pied. Pour les hommes et pour les femmes, la mode est au treillis militaire. Les femmes ont le visage marqué de motifs compliqués peints à même la peau…

Freddy s'enquiert s'il y a des juifs sur Rouge.

— Juifs?

Zoz ignore le mot. Le rabbin lui explique tant bien que mal à quoi le terme pourrait correspondre. Zoz est intrigué. Il répond qu'il existe en effet une tribu nomade dotée d'une culture ancienne et qui vit disséminée sur les quatre continents.

— Comment se nomme ce peuple?

— Les relativistes, parce que leur religion est le «relativisme».

Elle prétend que les vérités sont multiples et qu'elles changent selon le temps et l'espace. Politiquement, cette croyance agace les autochtones. Les quatre blocs sont tous assurés de détenir la vérité unique et considèrent les relativistes comme autant de fauteurs de troubles. Ainsi, tous, lors de périodes de croissance, se sont livrés à des persécutions à leur encontre afin de renforcer le nationalisme ambiant. Lorsque les relati-vistes sont persécutés, c'est toujours un signe précurseur d'une confrontation entre deux blocs.

Freddy se tait, soucieux. Je sais ce qu'il pense. Il se demande si l'espèce humaine terrestre ou extraterrestre n'aurait pas où qu'elle soit une grille de rôles sociaux liée à des peuples.

— Les relativistes ont subi des persécutions, dit Zoz. Plusieurs fois, nous avons cru qu'ils allaient dis paraître complètement. Mais régulièrement, les survivants ont muté en rendant leur culture de plus en plus relativiste.

Raoul a soudain une intuition:

— Peut-être que les juifs ou les relativistes sont comme les truites dans les filtrages d'eau douce.

— Les truites? s'étonne le rabbin.

— Bien sûr, dans les systèmes de filtrage d'eau douce on met des truites parce que ce sont les animaux les plus sensibles à la pollution. Dès qu'il y a un produit toxique, les truites sont les premiers poissons à mourir. C'est une sorte de signal d'alerte.

— Je ne vois pas le rapport.

— Les juifs, par leur paranoïa due aux persécutions passées, sont plus sensibles. Du coup, ils réagissent plus rapidement aux totalitarismes montants. Ensuite, c'est un cercle vicieux. Parce que les tyrans savent que les juifs vont les détecter les premiers, ils essaient de s'en débarrasser avant.

Marilyn Monroe enchaîne:

— Raoul a raison. Pour les nazis, les juifs étaient de dangereux gauchistes. Pour les communistes, c'étaient d'arrogants capitalistes. Pour les anarchistes, c'étaient des bourgeois décadents. Pour les bourgeois, des anar chistes déstabilisants. Il est étonnant que dès qu'un pouvoir centralisé et hiérarchisé s'installe, quelle que soit son étiquette, il commence par persécuter les juifs. Nabuchodonosor, Ramsès Il, Néron, Isabelle la Catho lique, Saint Louis, les tsars, Hitler, Staline… Intuitivement les chefs totalitaires savent que, là où il y a des juifs, il y a des individus difficiles à endoctriner car leur pensée est née il y a cinq mille ans et est basée non pas sur le culte d'un chef guerrier charismatique mais sur un livre d'histoires symboliques.

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