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Il gagnait du terrain, cependant, et se rapprochait de plus en plus du messager. Tout à coup, celui-ci s’arrêta net et faisant volte-face, le pistolet au poing, attendit de pied ferme; ce que voyant, le chevalier se mit au trot, puis au pas, et enfin, arrivant à quelques pas du messager, s’arrêta de son côté, ôta son chapeau, et se mit à sourire de son air le plus engageant.

Le messager de Fausta demeura stupéfait. Il était impossible d’accueillir à coups de feu un homme qui se présentait avec une telle politesse, et qui, devant le canon du pistolet braqué sur lui à cinq pas, souriait si candidement et sans esquisser le moindre geste de défense. Ceci dénotait tout au moins une bravoure étrange, la témérité d’un homme suprêmement insoucieux de la mort, à moins qu’il ne fût fou. Or, Pardaillan pouvait ressembler à tout ce qu’on voulait, excepté à un fou.

Le messager salua donc à son tour avec une courtoisie qui ne manquait pas d’une certaine grâce, et remit son pistolet dans l’une des fontes de sa selle.

– Monsieur, dit-il, on m’appelle Luigi Cappello, comte toscan. Et vous?

– Moi, monsieur, je me nomme Jean de Margency, comte français.

Les deux hommes ayant ainsi décliné leurs noms et titres, politesse indispensable, se saluèrent une deuxième fois, et comme si dès lors ils eussent pu frayer ensemble, reprirent côte à côte, et au pas, le chemin de Gravelines, car ils se trouvaient sur la route qui allait de Calais à ce village.

– Serait-il indiscret, demanda le comte italien au bout de quelques minutes qu’il employa à examiner son compagnon, serait-il indiscret de vous demander d’où vous venez?

– Mon Dieu, non! fit Pardaillan. Je viens tout bonnement de Paris, et plus spécialement de l’île de la Cité… en passant par la basilique de Saint-Denis.

À ces mots, Luigi Cappello eut un tressaillement, et regardant son compagnon avec fixité, esquissa dans l’air un signe avec sa main. Pardaillan sourit.

– Monsieur le comte, dit-il, je ne répondrai pas au signe de reconnaissance que vous me faites, pour la raison bien simple que j’ignore le signal de réponse que vous attendez sans doute: je ne suis pas des vôtres.

– Fort bien. Seriez-vous, en ce cas, assez obligeant pour me dire où vous allez?…

– Mais… à Dunkerque où vous allez vous-même. Et de Dunkerque, je pousserai, s’il le faut, jusqu’au camp de votre illustre compatriote le généralissime Alexandre Farnèse.

Le messager devint pensif. Cet étranger qui le poursuivait était-il un affilié de Fausta?… mais alors, pourquoi ne connaissait-il pas le signe?… Et d’autre part, comment était-il si bien informé?…

– Monsieur, reprit-il résolument, vous répondez à mes questions avec tant de bonne grâce que je hasarderai à vous en poser une troisième…

– Et même une quatrième, si cela vous plaît, mais à charge de revanche!

– C’est entendu. Donc, pourquoi me suivez-vous depuis Dammartin?…

– Depuis Saint-Denis, rectifia Pardaillan.

– Soit. Pourquoi depuis Saint-Denis êtes-vous sur ma route, et pourquoi, vous ayant dépisté à Amiens, vous êtes-vous arrangé pour retrouver mes traces?

– Mais pour avoir le plaisir de voyager avec vous, d’abord!

– Comment pouviez-vous savoir que j’allais au camp de Farnèse?

– Parce que je l’ai entendu dire à la très noble signora Fausta, répondit paisiblement le chevalier.

– Ah! ah! fit le messager abasourdi.

Puis il reprit:

– Soit encore. Mais vous avez dit que votre acharnement à me rattraper venait du désir que vous aviez de voyager en ma compagnie… d’abord. Il y a donc un autre motif?…

– Monsieur le comte, fit Pardaillan, à mon tour de vous questionner, voulez-vous?

– Faites…

– Savez-vous ce que contient la lettre qui vous a été remise à Saint-Denis de la part de la signora Fausta et à destination d’Alexandre Farnèse?

Le messager fut atterré. Il n’y avait plus de doute dans son esprit. L’étranger n’étant pas, ne pouvant pas être un envoyé de Fausta, c’était un ennemi dangereux qui avait surpris de redoutables secrets.

Il regarda autour de lui. À sa droite, c’étaient les champs. À sa gauche, les falaises au-delà desquelles on entendait se lamenter la mer. Devant lui, à une demi-lieue en tirant un peu sur la droite, un clocher avec quelques chaumières de pêcheurs autour: c’était Gravelines. La solitude était complète, et l’endroit excellent pour se défendre d’un gêneur.

Le messager de Fausta regarda Pardaillan qui souriait toujours.

– Monsieur, dit-il, il me serait difficile de répondre à votre question, parce que n’étant porteur d’aucune lettre, je ne puis vous dire le contenu d’une missive qui n’existe pas.

– Ah! monsieur le comte! fit Pardaillan, vous récompensez bien mal ma franchise. Je vous ai dit la vérité pure… et voici que vous essayez de me tromper!

– Eh bien, gronda le messager en pâlissant, j’ai une lettre, c’est vrai. Après?…

– Je vous demande si vous savez son contenu…

– Non. Et quand je le saurais…

– Vous ne me le diriez pas, c’est entendu. Mais vous ne le savez pas. Et je vais vous le dire…

– Qui êtes-vous, monsieur?… cria le messager chez qui la colère montait d’instant en instant.

– Vous m’avez demandé mon nom, et je vous ai répondu que je m’appelle le comte de Margency. Quant à vous dire qui je suis, c’est autre chose!… La lettre, monsieur, ne parlons que de la lettre! Voici ce qu’elle contient: un ordre de la signora Fausta au généralissime d’avoir à se tenir prêt à entrer en France et à marcher sur Paris avec son armée au premier signe qui lui en sera fait.

Le messager devint très pâle.

– Après? gronda-t-il.

– Après? Eh bien, mon cher monsieur, je ne veux pas que cette lettre arrive au camp de Farnèse, voilà tout!

– Vous ne… voulez pas?…

À ces mots, le messager saisit son pistolet. Pardaillan en fit autant.

– Réfléchissez, dit-il. Remettez-moi cette lettre.

Et il braqua le canon du pistolet sur le messager. Celui-ci haussa les épaules:

– Vous ne songez pas à une chose, dit-il avec un calme que Pardaillan admira. Mais je tiens à vous le dire avant de vous tuer…

– Je suis tout oreilles.

– Eh bien, vous venez de me dire le contenu de la lettre, que j’ignorais. Je pourrais donc, si j’avais peur, vous remettre la missive, et transmettre l’ordre de vive voix…

– Non, fit Pardaillan, car le généralissime n’obéira qu’à un ordre écrit…

– En ce cas, vociféra le messager, je vous tue!…

En même temps il fit feu… Pardaillan, d’un coup d’éperon, fit faire à son cheval un écart qui eût désarçonné un cavalier ordinaire. La balle passa à deux pouces de sa tête. Presque aussitôt, il fit feu à son tour, non pas sur le cavalier, mais sur la monture: la bête frappée au crâne s’affaissa. Dans le même instant, le messager sauta et se trouva à pied, l’épée à la main. Pardaillan avait sauté aussi et tiré sa rapière.

– Monsieur, dit-il gravement, avant de croiser nos deux fers, veuillez m’écouter un instant. Je me suis nommé comte de Margency, et j’en ai le droit. Mais je porte aussi un autre nom: je suis le chevalier de Pardaillan…

– Ah! ah! je m’en étais douté un instant! grommela furieusement le messager.

Et en même temps, il jetait un regard de curiosité et d’inquiétude sur le chevalier.

– Vous me connaissez, dit Pardaillan. Tant mieux. Cela nous évitera les longs discours. Puisque vous me connaissez, monsieur le comte, vous devez savoir que votre maîtresse, votre souveraine a voulu trois ou quatre fois déjà me faire assassiner. La dernière fois, il n’y a pas longtemps, je venais de lui sauver la vie: en signe de gratitude, elle a jeté à mes trousses tous les gens d’armes du duc de Guise… J’aurais pu la tuer. C’était mon droit. Et j’en avais la possibilité. Je n’avais que le bras à allonger. Ce meurtre m’a répugné, je l’avoue. Mais ce qui ne me répugne nullement, c’est de considérer Fausta comme une intraitable ennemie, c’est de renverser ses projets autant qu’il en sera en mon pouvoir, c’est enfin de considérer ses amis et serviteurs comme mes ennemis, depuis le duc de Guise jusqu’à vous. Je lis dans vos yeux l’envie que vous avez de me tuer. Vous ne me tuerez pas, monsieur! Et comme je ne veux pas que sa lettre arrive, comme enfin vous êtes le serviteur d’une femme qui veut ma mort, c’est moi qui vais vous tuer!…

En même temps, Pardaillan tomba en garde. Les fers se croisèrent…

Le comte Luigi, en homme habile, se tint sur la défensive. En somme, il ne s’agissait pas pour lui de tuer un adversaire et de remporter la victoire. Il s’agissait simplement d’écarter ou d’arrêter un adversaire. Il s’agissait de faire parvenir la lettre.

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