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XXXIII DUCHESSE DE GUISE

La scène qui va suivre se passe dans la nuit du 21 décembre 1588, en cet hôtel si bien gardé où nous avons vu Maurevert assister à une réunion de conjurés. Mais cette fois, ce n’est plus dans les greniers de l’hôtel que nous conduisons le lecteur…

Au premier étage, un de ces immenses salons d’autrefois occupait presque toute la longueur de l’hôtel, avec six fenêtres donnant sur la cour d’honneur. Précédant ce salon, et lui servant pour ainsi dire d’antichambre, se trouvait une pièce de modestes dimensions. C’est là que nous pénétrons, vers dix heures du soir.

Une femme assise dans un fauteuil s’entretenait avec un homme debout devant elle. L’homme venait de fournir une longue course. Ses habits étaient tachés de boue. Il semblait très fatigué.

Cette femme, c’était Fausta.

Cet homme, c’était un courrier qui arrivait de Rome.

Fausta conservait cette physionomie impénétrable qui avait fini par devenir sa vraie physionomie. Mais son regard qui brillait d’un éclat plus fiévreux, une légère rougeur qui couvrait ses joues eussent appris à ceux qui la connaissaient bien quelle profonde émotion elle essayait de cacher. L’homme parlait. Et voici ce qu’il disait:

– Je suis arrivé à Rome le 20 de novembre, porteur de vos instructions orales et écrites. Faut-il vous dire quelles démarches j’ai dû faire?

– Passe, et arrive au principal. Sois bref et clair.

– Ce fut le cardinal Rovenni qui au bout de trois jours m’introduisit auprès de Sixte. Je n’avais pas le choix des moyens et je dus accepter l’aide que m’offrit le traître, dans l’espoir, sans doute, de se réconcilier avec vous.

– Peu importe qui t’a aidé…

– Donc, je vis le pape. Je l’ai vu quatre fois de suite. La première fois, lorsque je lui ai dit que j’étais votre envoyé, il commença par me faire saisir et déclara que ma mort seule était un châtiment suffisant de mon audace. Je fus jeté dans un cachot du château Saint-Ange… Là, Sixte vint me voir le lendemain, et brusquement me demanda ce que la révoltée, rebelle, relapse, hérétique pouvait avoir à lui communiquer. Je lui répondis que j’apportais la paix, mais que je ne dirais rien tant que je serais détenu prisonnier, et que vous représentant, je voulais traiter de puissance à puissance…

– Et que dit alors le vieux gardeur de pourceaux?

– Il me tourna le dos et sortit en disant: «Qu’il crève comme un chien!…» Mais le lendemain, des gardes m’ouvrirent le cachot. Je fus conduis dans un oratoire où Sixte était seul. Il m’examina longtemps, puis d’un ton rude, il me dit: «Parle, tu es libre…» Alors j’exposai votre renonciation. Je répétai vos offres. Il écouta attentivement. Je l’assurai que jamais vous ne reviendriez en Italie, et que vous feriez tous vos efforts pour sauvegarder sa puissance temporelle ou spirituelle. J’ajoutai que j’avais mis en lieu sûr un parchemin signé de vous ratifiant toutes les renonciations que j’énumérais de vive voix… Alors, il me demanda ce que vous attendiez en retour, et je lui répondis: «Une chose unique, une bulle de divorce cassant le mariage du duc de Guise et de Catherine de Clèves…» Il ne parut pas surpris… Il me dit de revenir trois jours plus tard. Au jour dit, je me présentai au Vatican, et je revis Sixte seul à seul… Longtemps il se promena sans me regarder. Puis, tout à coup, il s’arrêta devant moi et me dit: «Où sont ces parchemins que tu dois me remettre?…» Je lui répondis que je les apporterais dès que je serais d’accord avec lui. Alors il ouvrit une cassette, en tira un étui d’argent. De l’étui, il sortit un parchemin et le mit sous mes yeux… C’était la bulle de divorce… Puis il remit le parchemin dans l’étui, et me tendit l’étui en me disant: «Je suis plus confiant que ta maîtresse. Voici ce qu’elle me demande, et ma bénédiction par-dessus le marché. Va me chercher les papiers que tu m’as promis…» Je les sortis de ma poitrine, je mis un genou à terre et les lui tendis en disant: «Je les avais sur moi, Sainteté…» Il sourit, et prenant les parchemins, les parcourut d’un regard indifférent. Mais au soupir qu’il poussa, je vis combien il était heureux… Je sortis alors du Vatican, et bientôt je repris à franc étrier la route de France.

En achevant ce récit, l’homme mit un genou sur le tapis, comme il avait fait devant le pape, sortit de son pourpoint un étui d’argent qu’il portait attaché par une chaînette placée autour du cou. Fausta prit l’étui sans que rien pût faire comprendre si elle était satisfaite, ou simplement émue.

– C’est bien, dit-elle, retire-toi, et va te reposer. Tu as agi en fidèle serviteur et en bon diplomate.

L’homme se releva, s’inclina devant Fausta et disparut. Alors Fausta demeura pensive.

Elle considérait cet étui d’argent d’un regard morne, et comme s’il eût contenu sa condamnation. Enfin, elle l’ouvrit, en tira un parchemin scellé aux armes pontificales de Sixte-Quint, et le lut attentivement par deux fois.

C’était bien ce que le messager avait annoncé: l’acte cassant le mariage du duc de Guise et de Catherine de Clèves. Il n’y manquait que la signature du duc.

Lorsqu’elle eut terminé cette lecture, Fausta appela. Sa suivante Myrthis parut.

– Est-ce qu’il est venu? demanda-t-elle.

– Pas encore, répondit la suivante.

– Et le vieux Bourbon?

– Il ne doit venir qu’à onze heures et demie.

– Quand il arrivera, fais-le entrer où tu sais, ainsi que Mayenne et le cardinal de Guise. Je pense que tout a été apprêté dans le grand salon?

– Vos instructions ont été suivies à la lettre.

– Dès que le duc arrivera, fais-le entrer ici. Et les autres, là…

Myrthis se retira. Fausta alla ouvrir la porte qui ouvrait sur le grand salon. Il régnait là une demi-obscurité. Deux flambeaux étaient allumés. Mais cette faible lumière suffisait sans doute à Fausta, qui, de la porte, sans s’avancer, examina quelques minutes l’immense salle déserte.

Alors, elle poussa un long soupir, referma la porte avec beaucoup de soin, et revint se placer dans le fauteuil qu’elle occupait tout à l’heure.

– Le 23, à dix heures du soir! murmura-t-elle sourdement, résumant dans ce mot les pensées qui l’assiégeaient.

Cela voulait dire: Ce jour-là, Henri de Valois sera mort. Ce jour-là, Henri de Guise sera roi, et moi reine de France.

– Reine! poursuivit-elle. Reine de ce beau royaume, dotée d’une puissance qui, dans mes mains, peut devenir un instrument redoutable! Oui, c’est quelque chose… mais ce n’est pas tout!…

– Monseigneur le duc de Guise! annonça une voix.

Fausta releva lentement la tête, et vit le duc qui s’inclinait devant elle. Il était nerveux, agité. Cette fièvre spéciale qui saisit les grands criminels au moment de l’action irréparable mettait une flamme sombre dans son regard, et sur son front couvert d’une ardente rougeur, la large cicatrice de sa blessure apparaissait livide.

– Me voici à vos ordres, madame, dit le duc d’une voix où perçait une sourde impatience. Mais vraiment n’eût-il pas mieux valu ne plus nous voir jusqu’au jour…

Il s’interrompit.

– Jusqu’au jour où Henri III va succomber, acheva la Fausta avec une froideur glaciale.

Le duc s’inclina.

– C’est-à-dire, continua-t-elle, jusqu’au jour où je dois unir ma destinée à la vôtre, duc!

Guise tressaillit. Il y eut entre ces deux personnages un moment de silence gros de menaces. Ainsi, dans les ciels de plomb qui pèsent parfois sur la terre, règnent de ces silences angoissants, à la minute qui précède le coup de tonnerre. Voyant que Guise ne relevait pas les paroles qu’elle venait de prononcer, Fausta reprit:

– Ainsi, mon duc, tout est prêt… grâce à moi. Le filet est bien tendu. La trame en est serrée. Valois doit mourir. Ce que vous n’eussiez jamais osé préparer, je l’ai préparé, moi. J’ai distribué à chacun son rôle. J’ai disposé le guet-apens de façon que pas même l’intervention divine ne puisse sauver Valois, c’est-à-dire vous empêcher d’être roi, vous!

– Tout cela est vrai, madame, dit Henri de Guise d’une voix altérée, et ses sourcils se froncèrent. C’est vrai, là où nous autres hommes nous hésitions, vous avez déployé l’audace froide et l’implacable méthode d’une grande conquérante. Là où nos cerveaux, à nous autres batailleurs, s’obscurcissaient, le vôtre a vu clair. Vous avez tout prévu, tout agencé dans les moindres détails. Je le confesse, madame… Si Valois meurt, c’est peut-être mon bras qui le frappe, mais c’est vous qui le tuez.

– Je voulais vous entendre dire ces vérités, dit Fausta. Mais vous savez que ce n’est pas tout. Vous savez que j’ai envoyé un courrier à Alexandre Farnèse. D’après les dates que j’avais prévues, Alexandre Farnèse, à cette heure, est sûrement en France et marche sur Paris. J’ai donc fait plus que de déblayer le trône: je vous donne une armée…

– C’est encore vrai, madame. Mais n’avons-nous pas déjà convenu ce que nous devons faire de cette armée?

– Oui, réduire le Béarnais, ramener à vous les huguenots qui sont de rudes soldats, entreprendre la conquête de l’Italie d’abord, des Flandres ensuite…

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