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IX LA PAROLE DE MAUREVERT

Après être rentré dans Paris, la veille, à la suite de sa rencontre avec Pardaillan, Maurevert s’était mis à parcourir la ville, au hasard, pour le besoin de marcher. Il allait d’un pas rapide et souple, d’une démarche de tigre, et les passants le regardaient avec effarement, mais lui n’y prenait pas garde.

Parfois, une sorte de rugissement grondait dans sa gorge, et il se mordait les lèvres jusqu’au sang pour ne pas hurler la joie effroyable qui le soulevait. D’autres fois, au contraire, venant à reconstituer cette minute horrible où, s’étant retourné sur Paris, il s’était vu en face de Pardaillan, il éprouvait le choc en retour de l’épouvante, et se sentait défaillir. Alors il entrait dans le premier cabaret, buvait d’un trait un verre de vin, jetait sur la table une pièce de monnaie, puis reprenait sa marche…

Il tenait Pardaillan!… Enfin! Enfin! Enfin!…

Oh! il le tenait bien, cette fois! Le démon ne pouvait lui échapper. Pas une seconde il ne douta que Pardaillan viendrait au rendez-vous… Le tout, l’essentiel, était de bien combiner cette fois le coup, la trahison suprême…

Pardaillan viendrait!… Il le tenait!… Le long, le terrible cauchemar de terreur enfin effacé!… La revanche! Une revanche infaillible!… Car lui, lui Maurevert! lui ne se fierait ni à la Bastille, ni à Bussi, ni à rien!… Il tenait Pardaillan!… Enfin!… Il allait l’écraser!… En formulant ce cri dans sa pensée, Maurevert frappait violemment du pied, comme si, du talon, il eût écrasé une tête…

Où allait-il? Où se trouvait-il?… Maurevert ne se le demandait pas. Il allait, allait toujours, affolé par cet irrésistible besoin d’aller, de dépenser le trop plein, qui pousse l’homme à qui vient d’arriver bonheur imprévu, un bonheur si grand, qu’il en est terrible et ressemble à une catastrophe…

Il ne méditait pas encore comment il s’emparerait de Pardaillan. Il le tenait!… Et cela, pour le moment, suffisait à cette joie indicible, insensée, qui le soulevait.

Le soir tomba sur Paris… bientôt il fit nuit… Maurevert allait toujours, passant et repassant vingt fois par les mêmes rues sans s’en apercevoir, poussant d’un coup d’épaule les bourgeois qui ne se rangeaient pas assez vite… Et ce fut ainsi que, vers les neuf heures, il heurta tout à coup un passant attardé…

– Insolent! hurla Maurevert, non pour insulter le bourgeois mais pour le besoin de crier.

Et il continua sa route.

– Holà! cria le bourgeois. C’est moi que vous appelez insolent?… Halte! ou je frappe par derrière!…

Maurevert se retourna en grinçant: ce bourgeois était un gentilhomme – un gentilhomme de Guise… un de ses amis…

– Lartigues! gronda Maurevert.

– Maurevert! s’écria le gentilhomme. Quoi! c’est toi?…

Maurevert, les yeux sanglants, considérait cet homme qui était son ami. Cette pensée, comme un éclair, traversa son cerveau:

«Guise me croit à sa mission. Si Guise sait que je suis à Paris, tout est perdu… Lartigues, demain, racontera qu’il m’a vu…»

– C’est toi! reprenait le gentilhomme en riant. J’allais, ma foi, te faire un mauvais parti!… heureusement, je t’ai reconnu à temps…

– Je crois, dit Maurevert froidement, que vous m’avez bousculé et appelé insolent?

– Ah ça!… es-tu fou?…

– Monsieur de Lartigues, quand on m’appelle insolent, il me faut du sang!…

– Hé! par la mordiable, monsieur de Maurevert, puisqu’il vous faut du sang, je vous attendrai demain à huit heures avec deux de mes amis, sur le Pré aux Clercs!

– Ce n’est pas demain, c’est tout de suite! grinça Maurevert.

Ce Lartigues, que nous notons ici en passant, était un noble et brave gentilhomme, bon escrimeur comme tous ceux de son temps; la provocation insensée de Maurevert lui fit monter le rouge à la figure…

– Monsieur, dit-il, je crois que vous avez perdu la tête. En tout cas, vous n’êtes pas poli. Dégainez donc à l’instant!

Dans la même seconde, les deux épées sortirent des fourreaux et les deux adversaires tombèrent en garde.

Il y eut quelques battements brefs, puis Maurevert, avec un juron se fendit à fond. Lartigues lâcha son épée, tournoya sur lui-même, sans un cri s’abattit, rendant le sang par la bouche… Il était mort.

L’épée de Maurevert l’avait atteint au sein droit et avait traversé le poumon de part en part.

Maurevert essuya sa rapière et la remit au fourreau. Alors il regarda autour de lui, et s’aperçut qu’il était dans la Cité, sur les bords du fleuve. Il se baissa, constata que Lartigues ne respirait plus, et le traînant par les jambes jusqu’à la berge, il le poussa dans l’eau.

Maurevert, alors, remonta tranquillement la berge. Chose étrange: ce duel imprévu, ce meurtre l’avait calmé…

Nous avons dû rapidement signaler cet incident bien qu’il ne fasse pas corps avec notre récit, et cela pour ce motif: c’est que nous avons pu noter chez Maurevert une bravoure, une insouciance de la mort, une brutale et violente décision…

Lartigues pouvait très bien le tuer. Maurevert le savait. Pour simplement ne pas compromettre son plan, il n’avait pas hésité à dégainer et s’était battu fort bravement. Il n’en était pas d’ailleurs à son premier, ni même à son dixième duel. Maurevert était donc brave!…

Et la seule idée de se trouver devant Pardaillan, nous l’avons vu maintes fois, le faisait trembler de terreur.

Comment ces deux états d’âme dans le même personnage étaient-ils conciliables?…

C’est ce que nous aurons à montrer…

Maurevert, donc, ayant tué Lartigues, se dirigea tranquillement vers l’auberge du Pressoir de fer; en même temps qu’il recouvrit son calme, il s’était aperçu qu’il avait grand appétit.

Il entra donc à l’auberge, au moment où on allait fermer les portes. Et comme la Roussotte lui faisait observer que l’heure du couvre-feu était passée, et qu’elle ne voulait pas s’attirer une visite du guet, Maurevert répondit par ce même signe mystérieux qu’avait fait Jacques Clément. Puis il ajouta:

– Maintenant, vous pouvez clore fenêtres et porte, et me préparer un bon souper, car je meurs de faim.

La Roussotte et Pâquette, fascinées sans doute par le signe, se hâtèrent d’obéir. Bientôt tout fut cadenassé, et les deux hôtesses, rallumant leurs feux, s’empressèrent de préparer un dîner que Maurevert dépêcha de grand appétit et d’excellente humeur, car tout en mangeant et buvant, il ne cessa de lutiner les deux hôtesses et de plaisanter avec elles.

Puis, brusquement, il laissa inachevée sa bouteille, l’assiette qui était devant lui, et tomba dans une sombre méditation que la Roussotte et Pâquette respectèrent, étonnées et même effrayées qu’elles étaient de ce soudain changement d’attitude.

Enfin, Maurevert se leva et rajusta son épée. Déjà la Roussotte se précipitait pour lui ouvrir la porte. Mais il l’arrêta d’un geste en disant:

– Ce n’est pas par là que je m’en vais…

Et il refit le signe. L’hôtesse s’inclina, marcha devant Maurevert et parvint à cette salle qui communiquait avec le palais de Fausta… Maurevert frappa sur les clous disposés en forme de croix… La porte s’ouvrit… il passa…

Lorsqu’il fut entré, la porte se referma d’elle-même. Dans la lumière douce qui régnait toujours en cette pièce, Maurevert aperçut les deux suivantes favorites, Myrthis et Léa, jolies et gracieuses Chimères qui gardaient l’antre de cette redoutable Chimère qu’était Fausta.

– Votre maîtresse peut-elle me recevoir? demanda-t-il. Est-elle endormie?

Elles le regardèrent d’un air étonné, comme s’il eût été étrange de supposer que Fausta pût se reposer et dormir. Et en effet, à peine avait-il fini de parler, que Fausta parut et prit place dans son fauteuil. Les deux suivantes disparurent à l’instant. Comme toujours, l’entrée de Fausta avait été soudaine et silencieuse.

– Je ne m’attendais pas à voir ce soir le sire de Maurevert, dit-elle.

– En effet, madame, je devrais être à cette heure bien loin de Paris.

– Vous deviez attendre mes ordres à Orléans…

– C’est vrai, madame…

– Un cheval et une voiture vous attendaient sur les pentes de Montmartre: la voiture pour elle, le cheval pour vous.

– J’ai vu le cheval et la voiture, madame; ils étaient bien au rendez-vous que vous m’avez indiqué.

– Je vous avais fait donner une mission par M. de Guise, afin que vous soyez libre de toute entrave, et puissiez gagner huit jours.

– C’est vrai, madame. Et le duc me croit sur la route de Blois où j’ai ordre de noter l’installation du roi et les forces dont il peut disposer à l’occasion.

– Donc, tout était parfaitement combiné pour légitimer votre absence et préparer votre départ. Le duc vous confie une mission qui couvre celle que je vous ai donnée, moi. Je fais disposer pour vous vos relais pour une marche rapide. Tout est prêt. Vous n’avez qu’à partir… Et vous voici! Monsieur de Maurevert, vous jouez un jeu dangereux…

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